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«Chaque graffiti porte un style, une histoire, une personnalité»


En 2019, avec son acolyte Spike, Stick, amoureux des projets d’envergure, s’est réapproprié la friche d’Esch-Schifflange avec le projet Schmelz.

Pilier de la scène du graffiti au Luxembourg, Stick côtoie et observe la scène locale depuis 30 ans. À l’occasion de Back to the Books, l’artiste raconte sa discipline fétiche et dresse son état des lieux au Luxembourg. «Wild !»

Les journées de Stick ne lui laissent aucun répit : à quelques jours de la 5e édition de Back to the Books, le rendez-vous des graffeurs organisé par I Love Graffiti aux Rotondes, Sader, à la tête de l’ASBL, est à l’hôpital à la suite d’un accident.

Pas question pour autant d’annuler l’évènement, assure Stick, vainqueur de la première édition en 2018, «il pense être là et il a la pêche!». L’artiste de 44 ans, qui a pris le relais, connaît parfaitement la scène locale et étrangère, qui va s’illustrer ce week-end : il a été l’un des graffeurs phares de la deuxième vague au Luxembourg, au milieu des années 1990.

Pour Le Quotidien, il revient sur l’émergence d’un art marginal, son acceptation et son évolution.

Comment s’est passée votre rencontre avec le graffiti ?

Stick : Au Luxembourg, il y a eu une génération avant nous, au début des années 1980, qui est arrivée comme partout en Europe avec le hip-hop et grâce à la diffusion à la télé de films comme Wild Style (Charlie Ahearn, 1982), Beat Street (Stan Lathan, 1984) ou Style Wars (Tony Silver, 1983), qui ont inspiré la jeunesse un peu partout.

Mon premier contact avec le « graff », c’était à cette époque, quand j’étais gamin, à Esch-sur-Alzette. Mais alors, on n’avait pas d’informations : ce qu’on connaissait de cette culture, c’est ce qu’on voyait dans les clips de rap et sur les pochettes des cassettes. Allant souvent à Bruxelles, car ma grand-mère y vivait, j’ai aussi été très imprégné par cette scène qui était déjà bien installée.

Le premier mur « officiel » à Luxembourg, c’est en 1995, et vous en faites partie…

Mes potes et moi, on était des vandales, on avait tagué toute la maison des jeunes où on traînait, et la police avait retrouvé notre trace. L’éducateur avait fait venir deux graffeurs, Spike et SUMO !, pour nous montrer l’exemple, et il nous a bien boostés : en réponse à la police, il avait demandé à nous donner un mur à graffer. Ils ont accepté, c’était rue de Strasbourg.

On a fait ça avec Spike, SUMO!, l’éducateur et des rappeurs qui faisaient un peu de graff aussi. Ce premier mur a déclenché l’envie de créer un petit groupe. Puis une petite scène s’est créée, avec une vraie énergie : il y avait des rappeurs, des breakeurs, des gars de Nancy, de Metz, de Sarrebruck…

Qu’est-ce qui caractérisait cette scène luxembourgeoise du graffiti ?

Luxembourg, c’est une petite ville, mais un point stratégique, alors c’est devenu un lieu de rencontre pour des gens qui venaient peindre de Belgique, de France et d’Allemagne. En fait, le graff fait partie d’une plus grande scène, celle de la Grande Région, à l’intérieur de laquelle il y avait beaucoup d’échanges : des « jams », des murs partagés, des évènements…

Tout se faisait avec peu de moyens, mais avec beaucoup d’enthousiasme et de motivation. Et puis en 1998, on nous a demandé de peindre un mur pour l’ouverture du Skatepark à Hollerich. On a invité tous nos contacts de Metz, Nancy, Bruxelles, Trêves… Comme on était beaucoup, après le mur, on a peint l’extérieur, puis on a débordé sur les anciens abattoirs, que l’on n’était pas supposé peindre.

Ça n’était pas vraiment légal, mais ça l’est devenu par la force des choses. C’est Xavier Bettel, à l’époque, qui avait utilisé ce mot pour parler des graffs du Skatepark. Et une fois que c’est écrit noir sur blanc…

…tout devient plus facile ?

Non, car en parallèle, ceux qui faisaient du graff illégal, sur les voies ferrées par exemple, étaient assez actifs. Notre chance, c’est d’avoir eu des opportunités très vite, qui font qu’on vit de ça aujourd’hui. Moins d’un an après notre premier mur, on nous a demandé de peindre la cour de l’Atelier.

Aujourd’hui, le graffiti s’est assez bien développé au Luxembourg de façon légale, mais la scène « underground », qui est toute petite et qu’on arrive rapidement à freiner, avec des répercussions assez lourdes, a du mal à survivre.

D’un autre côté, c’est ce qui donne du sens au simple fait de continuer à peindre sans contexte commercial, comme c’est le cas au Skatepark, qui est un lieu d’expression libre.

Ces lieux restent tout de même des exceptions, pour un art qui a longtemps été associé à du vandalisme…

Partout ils sont rares, et beaucoup ont été détruits depuis, mais ça fait partie du jeu. L’éphémérité, c’est une condition : on est habitué à ce que nos graffs se fassent repeindre ou effacer, ou à ce qu’ils passent avec le temps. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a toujours une partie de vandalisme qui est inhérente au graff.

La motivation des jeunes – pas tous, certes –, c’est de prendre du risque, avoir cette dose d’adrénaline et voir leur nom dans la rue. C’était le cas avant, ça l’est toujours et je trouve ça assez romantique. Si ça se trouve, ce que font ces jeunes aujourd’hui les guidera dans l’avenir vers des carrières de peintre, de dessinateur, de plasticien, d’architecte… Ça peut ouvrir des voies, et ça peut surtout les empêcher de faire d’autres conneries.

Êtes-vous proche de la nouvelle scène du graffiti au Luxembourg ?

J’ai toujours un œil averti : un nouveau tag dans la rue, je le remarque, et selon son évolution, je peux voir si la personne qui est derrière s’intéresse vraiment au graff ou si c’est quelqu’un qui a tagué une fois et qui ne taguera plus jamais.

C’est comme ça que je connais la nouvelle scène, même si je ne connais pas personnellement tous les acteurs. Ceux que je connais bien, ce sont ceux qui gravitent autour de moi et qui peignent au Skatepark.

Un évènement comme Back to the Books, c’est une plateforme qui permet de faire le lien entre les différentes scènes et les générations ?

Oui, c’est une manière de se rencontrer, mais pas seulement. On recrée une dynamique qui n’existe plus, celle d’évènements où les gens viennent d’ailleurs dans le but de se rencontrer et de partager autour d’une passion commune.

Et puis il y a une dimension éducative vis-à-vis du public, qui se rend compte que ce n’est pas juste du gribouillage ou des lettres, mais que chaque graffiti porte avec lui un style, une histoire et une personnalité. Et les possibilités sont infinies.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la discipline depuis vos débuts jusqu’à aujourd’hui ?

La technique a beaucoup évolué, avec tout un marché qui s’est créé autour de ça. Les bombes sont beaucoup plus performantes, par exemple. Nous, on peignait avec des bombes de laque pour voiture qu’on achetait dans les supermarchés et les magasins de bricolage. Tout prenait plus de temps, aussi.

Aujourd’hui, avec internet, le niveau d’un graffeur peut évoluer en un an, quand nous, on en mettait cinq : les vidéos, les films, les informations sont beaucoup plus accessibles qu’à notre époque. Ce n’est pas plus mal, car ça fait vivre beaucoup de monde : des marques de fringues, de bombes, de marqueurs…

Il y a tout un marché qui s’inspire du DIY qu’on a connu, c’est la récupération logique du système dans lequel on vit. La seule chose qui n’a jamais changé, c’est le sentiment de rébellion qui existe dans les milieux « underground » et qui est à la pointe de l’avant-garde. Ça vaut pour toutes les cultures, que ce soit le punk ou l’electro aujourd’hui. L’innovation vient toujours d’en bas.

«Back to the Books»,

samedi à partir de 14 h.

Rotondes – Luxembourg.

«Back to the outside»

Comme en 2021, le «battle» de Back to the Books ne se fera pas sur papier, mais en grand format, sur des panneaux. L’idée développée pour contrer les mesures sanitaires est reconduite, principalement parce que le résultat est «plus impressionnant», admet Stick. «Même pour les graffeurs, c’est excitant de peindre dehors, en « live », sous pression.»

Pourtant, le «black book», outil jadis essentiel au graffeur, se perd, la faute aux «nouveaux médias et aux tablettes graphiques», juge l’artiste. «À l’époque, on partageait les books, on le filait à un pote pour qu’il fasse une esquisse dedans, on y collait des photos, on le prenait quand on partait à l’étranger et on faisait signer les mecs qu’on rencontrait dedans…»

Bref, une vraie tradition liée à l’échange et la rencontre, que l’évènement voulait remettre au goût du jour. Mais qu’à cela ne tienne : «À l’avenir, on imagine séparer Back to the Books en deux évènements, avec un format graff et un format book», promet Stick. Le petit livre noir n’a pas dit son dernier mot !

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