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[Championnats suspendus] Theisen : « Il y a beaucoup de flou juridique »


"Dans les statuts des fédérations, rien ne fait référence à ce genre de situation, à une pandémie puisque c'est bien de cela qu'il s'agit", relève Marc Theisen. (archives Didier Sylvestre)

Avocat à la Cour, spécialisé en droit du sport, l’ancien président du COSL a rédigé un rapport afin d’aiguiller les différentes fédérations dans leurs prises de décision en cette chaotique fin de saison.

En tant qu’avocat, spécialiste du droit du sport, que vous inspire cette nébuleuse fin de saison sportive ?

Marc Theisen : Déjà, depuis le 24 mars, l’état d’urgence a été décrété pour une durée de trois mois maximum. À partir de là, on pourrait craindre que les championnats ne puissent pas aller à leur terme. Si c’est le cas, les différentes fédérations doivent pouvoir prendre des décisions qui s’appuient sur le droit, les lois et les règlements sportifs respectifs des fédérations. Tout contentieux juridique serait préjudiciable dans la mesure où celui-ci s’étalerait vraisemblablement sur de longs mois et devant différentes instances (tribunal fédéral, CLAS, etc.) et dans ce cas, cela mettrait en cause la saison 2019/2020 mais compromettrait aussi celle de 2020/2021. Cette crainte m’a poussé à contacter différentes fédérations de manière purement bénévole afin de leur éviter tout litige.

Ces fédérations, les avez-vous senties perdues face à la complexité de la situation ?

Durant les discussions, personne n’est venu me dire « Marc, aide-nous, on a un problème » mais j’ai bien senti qu’ils avaient besoin d’une petite assistance. Et c’est bien normal car, même pour un juriste, cette situation est peu commune. Dans les statuts des fédérations, rien ne fait référence à ce genre de situation, à une pandémie puisque c’est bien de cela qu’il s’agit dans le cas du Covid-19. Il y a un flou juridique.

Si tout est fait dans les règles, les 10 ou 20% de mécontents pourront toujours faire des recours, ils auront peu de chance de succès

Un « flou », c’est-à-dire ?

Dans pratiquement tous les statuts, il est mentionné que tous les cas non prévus par les statuts sont de la compétence du conseil d’administration de la fédération. Et, dans ces statuts, on ne trouve nulle part une situation qui fait référence explicitement à ce qu’on vit aujourd’hui, et ce, même si pratiquement toutes évoquent l’hypothèse d’un événement imprévisible qui empêcherait un championnat d’aller à son terme. Par exemple, dans les statuts de la FLTT, et plus précisément dans l’article 5.3.324 du règlement et organisation du championnat, il est question de « conditions climatiques, panne d’électricité, catastrophe naturelle, etc. ».

Dans cette liste, non exhaustive, cette pandémie du coronavirus a toute sa place, non ?

Au vu des recommandations prises par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la loi du 24 mars, cette pandémie entre dans cette liste des situations « imprévisibles ». Reste que certaines questions se posent.

Lesquelles ?

La première est de savoir quand une fédération peut décréter que la situation l’autorise à décider de la poursuite, de l’arrêt ou de l’annulation du championnat ? Je dis cela car la FLBB a décidé d’y mettre un terme le 13 mars, soit cinq jours avant que le gouvernement ne décide officiellement la fermeture des établissements recevant du public et la suspension des activités sportives.

Cette décision avait vu deux camps s’opposer : le premier estimait que la FLBB avait pris ses « responsabilités », l’autre qu’elle avait fait preuve de précipitation. Vous penchez plutôt vers le second ?

Je sais quelles sont les contraintes que vivent les clubs qui sont tenus à bout de bras par des bénévoles. Aussi, j’ai un profond respect pour Henri Pleimling, son président. Ceci étant, la décision du 13 mars était prématurée et celui qui aurait souhaité contester cette décision devant la justice aurait de fortes chances d’avoir gain de cause.

ASO a encore une petite marge mais quand on sait qu’il y a un risque de deuxième vague à cette pandémie du coronavirus, voir le Tour se dérouler me paraît peu probable

Le 26 mars, la FLBB prenait la décision de s’appuyer sur le classement en cours pour désigner Esch champion. Cette fois, les critiques ont été vives…

Oui et celle-ci ne respectait pas les propres statuts de la FLBB puisque en cas d’événements imprévisibles, le CA doit faire des propositions aux clubs. J’ai entendu Sammy Picard, membre du CA de la FLBB, dire qu’il fallait procéder ainsi et c’est très bien. Ensuite, il faudra organiser une assemblée générale et procéder à un vote qui devra recueillir la majorité absolue. Si tout est fait dans les règles, les 10, 15 ou 20% de mécontents pourront toujours faire des recours, ils auront peu de chance de succès.

La Fédération luxembourgeoise de volley-ball a, de son côté, justement envoyé trois propositions à ses clubs. Cette attitude va donc dans le sens que vous prônez ?

Pour moi, c’est le chemin à prendre. Et ce, d’autant que malgré le confinement, un règlement grand-ducal du 20 mars permet, grâce au système de visioconférence, la tenue d’assemblées générales, électives ou non, sans la présence physique des membres. La FLTT propose quant à elle un référendum mais à mes yeux, cela revient à la même chose.

Dans d’autres cas, la fédération doit composer avec les choix d’une instance supranationale. Ce qui complique encore la tâche…

Oui, c’est le cas de la fédération de football. Les statuts de la FLF stipulent que la saison se termine le 30 juin, et ce, en raison d’une directive de l’UEFA. Mais il n’est pas impossible que l’UEFA décide la semaine prochaine de prolonger d’un mois, ou plus, la saison. Dans ce cas, il serait peut-être envisageable, et selon un calendrier à définir, de boucler le championnat.

Et c’est là que se pose la seconde question à laquelle je faisais référence précédemment : quel est le délai que s’accorde une fédération pour prendre sa décision ? Et force est de constater que la FLF est un cas à part dans le paysage sportif luxembourgeois car, au-delà même du titre de champion, se pose la question des clubs qualifiés pour les Coupes d’Europe. Au vu des enjeux économiques, pas facile de trancher… En tout cas, connaissant bien le président Paul Philipp et le juriste Me Jean-Jacques Schonckert, la FLF ne va pas prendre de décision avant de connaître le « verdict » de l’UEFA.

La Ligue belge de football a recommandé l’arrêt définitif du championnat et d’entériner le classement actuel. Si, d’aventure, la FLF venait à prendre une telle décision, pourrait-elle en subir des conséquences de la part de l’UEFA ?

En théorie, la question pourrait se poser et l’UEFA pourrait ne pas accepter ses équipes en Coupe d’Europe. Comme dit auparavant, il y a beaucoup de flou juridique dans cette matière et ce risque existe donc bel et bien. Mais les responsables de la FLF sont en discussions régulières avec leurs homologues de l’UEFA donc la FLF ne prendra aucune décision hâtive.

Certains sportifs estiment qu’au vu de la situation, il serait plus simple d’annuler la saison. De faire une croix dessus. Que pensez-vous de l’idée d’une saison blanche ?

J’entends dire aussi que certains ont la tête ailleurs ou qu’un allongement de la saison poserait problème car ils ont déjà réservé leurs congés, etc. Alors, sur le plan humain, je l’entends et je peux le comprendre mais sur le plan légal, ça ne vaut rien du tout. En 2015, le virus Ebola sévissait en Afrique de l’Ouest et le Maroc, qui devait accueillir la Coupe d’Afrique des nations en janvier, avait refusé d’organiser la compétition par crainte de la propagation. Résultat, la fédération royale marocaine écopa d’une amende d’un million de dollars de la Confédération africaine de football. Et son recours devant le TAS fut rejeté au motif qu’il n’y avait pas de force majeure justifiant la non-tenue de la compétition, et ce, d’autant qu’à ce moment de la prise décision d’autres solutions étaient envisageables. Alors, des congés…

Sur le plan international, tous les grands évènements sont menacés de report ou d’annulation, à l’instar de Wimbledon. Quel regard, l’amateur de cyclisme que vous êtes, porte sur un éventuel Tour de France à huis clos ?

J’étais déjà déçu que le CIO tarde dans sa prise de décision – surtout la manière dont le sujet fut traité à Lausanne – concernant les JO-2020 de Tokyo et je regrettais d’entendre Thomas Bach, son président, déclarait « les JO auront lieu ».

En cyclisme, la prochaine grande course au calendrier, c’est le Tour de France puisque le Dauphiné vient d’être annulé. Le Tour, c’est en juillet et ça me paraît bien compliqué de pouvoir organiser un événement de cette ampleur à huis clos. Vous imaginez les étapes de montagne ? Mais je constate que les enjeux politiques sont énormes puisque même la ministre des Sports, Roxana Maracineanu a déclaré que la tenue de la Grande Boucle était importante. ASO (Amaury Sport Organisation) a encore une petite marge mais quand on sait qu’il y a un risque de deuxième vague à cette pandémie du coronavirus, voir le Tour se dérouler me paraît peu probable.

Entretien avec Charles Michel

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