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Arménie : «La population était déjà faible et terrorisée»


Le besoin d’un soutien psychologique est manifeste pour la population qui a vécu plusieurs mois en état de siège. (Photo : msf)

Une équipe de Médecins sans frontières (MSF) est basée dans la ville de Goris pour apporter de l’aide aux personnes fuyant le Haut-Karabagh. Arsen Aghasyan, de MSF, témoigne.

Dès le 21 septembre, soit deux jours après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan contre l’enclave du Nagorny-Karabakh, Médecins sans frontières a envoyé une équipe de neuf personnes à Goris, dans la province de Syunik, au sud de l’Arménie, pour s’occuper des réfugiés. Cette ville frontalière d’environ 20 500 habitants est la première étape pour la plupart d’entre eux. Arsen Aghasyan est responsable de la communication pour MSF. Il témoigne depuis Goris de la situation dans laquelle se trouvent ces dizaines de milliers de personnes qui ont fui le Haut-Karabagh après plusieurs mois de vie en état de siège.

Avant d’attaquer l’enclave arménienne, les forces armées de l’Azerbaïdjan l’avaient bloquée, et ce, depuis décembre 2022. Quel a été l’impact de ce blocus sur la population?

Arsen Aghasyan : La région était effectivement bloquée depuis dix mois et même les acteurs humanitaires ne pouvaient pas entrer pour apporter de l’aide, ce qui était évidemment très problématique, car la population était confrontée à beaucoup de difficultés pour obtenir de la nourriture et des médicaments. Après dix mois d’un état de siège, vous pouvez imaginer combien les problèmes de santé, mais aussi économiques et sociaux ont augmenté. Donc, lorsque l’attaque azérie a eu lieu le 19 septembre, l’heure était déjà grave, la population était déjà faible et terrorisée.

Quelles sont les tâches de MSF à Goris?

Notre équipe est arrivée à Goris le 21 septembre, d’abord pour comprendre la situation sur place, évaluer les besoins de la population et voir comment y répondre. Dès le 28 septembre, une équipe médicale a commencé à recevoir des patients au centre d’enregistrement de Goris, celui par lequel passent tous les réfugiés.

Nous avons constaté qu’il y avait un besoin urgent de soutien en matière de santé mentale, en plus des autres soins sociaux-médicaux bien sûr. Deux psychologues ont dès lors commencé à offrir des consultations et des premiers soins psychologiques. Nous avons affaire à des personnes qui ont tout perdu : leur maison, leur travail et même leur identité, comme elles le répètent. Notre approche comprend plusieurs étapes : établir la confiance, assurer le bien-être, stabiliser les personnes en détresse aiguë. Et aussi fournir une assistance pratique : construire les liens sociaux, proposer des stratégies d’adaptation, les mettre en contact avec les ressources et soins supplémentaires. On a également établi une hotline.

Nous suivons évidemment activement l’évolution des besoins de la population (nous allons d’ailleurs aller dans différentes régions dès aujourd’hui pour évaluer ces besoins) et nous mettons aussi un accent particulier sur les soins de santé primaires ainsi que sur le renouvellement des médicaments pour les maladies non transmissibles et la prise en charge des maladies respiratoires.

Cette détresse psychologique est-elle due au stress évident induit par une telle situation ou les réfugiés ont-ils été confrontés à des scènes traumatisantes, voire ont-ils subi directement des actes de violences?

C’est une bonne question… Parmi les personnes que l’on a rencontrées, la plupart disent que ce sont le stress et l’incertitude quant à l’avenir qui les traumatisent. Nous avons aussi pu constater le choc, le déni, la peur, l’angoisse, la colère, le chagrin, des difficultés à dormir. Tout le monde pleurait, le chagrin est vraiment énorme. Ils n’arrivent pas à croire que tout cela soit réel.

Mais nos psychologues ne peuvent pas diagnostiquer des syndromes de stress post-traumatique, il s’agit plutôt de fournir des premiers soins psychologiques. Même si on essaye de suivre les patients qui restent, notamment ceux hébergés dans des hôtels par exemple, car la plupart des réfugiés ont déjà déménagé dans d’autres régions de l’Arménie.

Il y avait un besoin urgent de soutien en matière de santé mentale

Les réfugiés ont-ils espoir de retourner au Haut-Karabagh?

En discutant avec beaucoup de personnes, j’ai constaté que nombre d’entre elles étaient encore indécises : elles ne savent pas si elles vont rester en Arménie ou si elles vont partir, pour la Russie par exemple. La plupart d’entre elles sont en tout cas persuadées qu’elles ne pourront plus retourner au Nagorny-Karabakh, bien que ce soit ce qu’elles aimeraient. Elles voient dans des vidéos les discours de haine tenus par l’Azerbaïdjan à leur égard. Tout le monde est terrorisé, les gens savent qu’y retourner, c’est signer sa fin. On espère malgré tout qu’ils puissent y retourner un jour, si la situation se calme et s’il y a des mécanismes de garantie pour le bien-être de la population arménienne. Mais de toute évidence, cela risque de prendre un certain temps…

Comment réagissent les Arméniens face à l’afflux de réfugiés?

Il y a énormément de solidarité. C’est extrêmement émouvant. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à une telle organisation et je ne peux que constater que le gouvernement arménien a fait de son mieux pour accueillir toutes ces personnes. Il y a parfois des discours moins favorables à cet afflux, sur les réseaux sociaux notamment, mais cela concerne clairement une minorité seulement.

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