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Amrish Baidjoe : «La hausse des cas de Covid-19 est clairement sous-estimée»


«Il faut aussi que les gouvernements veillent à leur main-d’œuvre.»

Amrish Baidjoe est le nouveau directeur de LuxOR, l’unité de recherche opérationnelle de Médecins sans frontières (MSF), basée à Luxembourg. Spécialisé en épidémiologie, il fait avec nous le point sur la pandémie de Covid-19.

Où en est-on de l’épidémie de Covid-19 ?

Amrish Baidjoe : À l’échelle mondiale, on constate actuellement une augmentation du nombre d’infections dans de nombreux pays, particulièrement dans l’hémisphère nord, et notamment en Europe et aux États-Unis. C’est surtout dû aux nouveaux variants, des sous-variants du variant Omicron, les « BA.« .

Mais cette hausse est clairement sous-estimée, parce qu’on n’incite plus les gens à se faire tester. On les invite à faire des autotests, mais lorsque celui-ci s’avère positif, il n’est pas forcément signalé ni enregistré. Dans certains pays, on cherche des traces du virus dans les eaux usées et on constate alors qu’il y a une très forte augmentation de la présence du virus.

Aux Pays-Bas par exemple, une hausse de 64 % a été relevée. L’impact du Covid-19 a été très sévère en Inde, Indonésie et Brésil. La situation s’améliore, mais reste très difficile.

Les variants vont-ils continuer à se multiplier ?

Les virus produisent toujours des nouveaux variants. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) les classifie en deux catégories : les variants à suivre (« variants of interest« , ou VOI, en anglais) et les variants préoccupants (« variants of concern« , ou VOC).

Avec les premiers, nous ne sommes pas certains qu’ils possèdent des caractéristiques différentes : peuvent-ils affecter plus de gens? Les rendre plus malades? Les deuxièmes correspondent au stade suivant : lorsque nous connaissons mieux les caractéristiques de ces variants et que celles-ci sont négatives, et que les vaccins dont nous disposons, ou l’immunité de la population, ne sont plus aussi efficaces.

Il y a actuellement beaucoup d’incertitude concernant l’évolution du Covid-19. Mais il y a toutefois un certain nombre de choses que nous savons, nous sommes donc dans une meilleure position qu’au début de la pandémie.

Ce qui est inquiétant, ce n’est pas nécessairement l’apparition de nouvelles maladies, mais la résurgence de maladies que nous connaissons déjà : tuberculose, malaria, rougeole

Pouvez-vous donner quelques exemples ?

Nous avons appris par exemple que le virus ne se diffuse pas facilement par le contact avec les surfaces ou en se serrant la main, contrairement à la grippe par exemple, mais que le risque de transmission est plus élevé par aérosol : dans une pièce mal ventilée quand une personne tousse, parle ou simplement respire.

En cette saison, il est facile d’éviter la propagation en ouvrant les fenêtres. C’est le moment d’investir dans des systèmes de ventilation. Il a aussi été prouvé que les masques ont un réel effet pour limiter la propagation du virus.

Si nous réagissons tôt, nous n’aurons plus besoin d’aller aussi loin qu’un confinement généralisé à l’ensemble de la société, mais si nous attendons trop, il faudra reprendre des mesures strictes. Or de telles mesures ont un impact négatif, tout particulièrement dans les pays où MSF travaille : pour la plupart des gens, si on confine la société, il n’y a pas à manger sur la table le soir.

Et comment s’isoler et se mettre en quarantaine quand plusieurs générations vivent sous le même toit? Idem lorsqu’on demande aux gens de se laver les mains par exemple, il faut savoir que 60 % des personnes en Inde n’ont pas accès à l’eau potable. Nous devons être conscients de tout cela lorsque nous voulons appliquer certaines décisions.

La vaccination à l’échelle mondiale est-elle suffisante ?

L’inégalité d’accès aux vaccins a été l’une des plus grandes problématiques de cette crise sanitaire, de même que l’accès à des médicaments. Et nous n’avons pas fait de grands progrès à ce niveau. À cette étape de la pandémie, la principale question qui se pose est de pouvoir les emmener dans des endroits difficiles d’accès. Et est-ce que les gens vont accepter de les prendre ?

L’initiative Covax devait distribuer des vaccins de manière équitable aux personnes à risques, c’est-à-dire les personnes âgées, celles souffrant d’une comorbidité et les soignants. Mais les vaccins qui arrivaient étaient en fait des « restes« , des vaccins prêts à expirer.

On ne peut pas mettre en place une véritable campagne de vaccination dans ces conditions! Avec Omicron, il faut adapter les vaccins, qui ne sont désormais plus aussi efficaces, mais le même problème va se présenter à nouveau. Or si nous ne vaccinons pas le monde dans son ensemble, les risques d’émergence de nouveaux variants continuent d’augmenter.

Le covid semble moins dangereux cependant ?

Il y a effectivement moins de décès. Si vous avez le pass vaccinal complet, c’est-à-dire trois doses, et que vous avez entre 20 et 60 ans environ, vous êtes plutôt en sécurité. Mais si vous avez des pathologies sous-jacentes ou que vous êtes plus âgé, il y a toujours un risque. Avec l’âge, l’immunité obtenue grâce aux vaccins est toujours stable, mais elle décline un peu. Il faut donc que ces personnes soient prioritaires pour les boosters.

Mais il ne faut pas oublier la question du covid long. Certains pays, comme l’Allemagne, prennent cette question très au sérieux, d’autres l’ignorent complètement. Nous savons que dans beaucoup de pays, les soignants qui ont été exposés au virus au début de la pandémie sont toujours dans l’incapacité de travailler.

C’est une part importante de l’équation. Nous connaissons certes plus de choses sur le virus, mais son contrôle devient plus complexe, car il y a d’autres inconnues. Combien de temps la protection apportée par les vaccins dure-t-elle par exemple?

Doit-on se préparer à une résurgence de la maladie à l’automne ? Le cas échéant, comment s’y préparer ?

C’est très probable qu’il y ait une nouvelle vague à l’automne, en effet. Il faut donc se focaliser sur la ventilation et ne pas abandonner complètement l’usage du masque dans certains secteurs, comme les transports publics ou dans des magasins très fréquentés par exemple.

Il faut aussi que les gouvernements veillent à leur main-d’œuvre. Les soignants, par exemple, ont travaillé très durement pendant la pandémie, mais quand celle-ci était plus calme, il fallait rattraper tous les soins médicaux qui avaient été retardés.

Alors, lorsque la pandémie ressurgit, la pression affecte tout le système de santé, y compris les médecins généralistes. MSF travaille en temps de crise et nous savons très bien les conséquences néfastes sur les personnes si, d’une part, nous ne reconnaissons pas qu’elles sont soumises à d’intenses niveaux de stress et si, d’autre part, nous ne leur laissons pas du temps pour se relaxer un peu. Ce que la situation ne permet pas si nous ne prenons pas le soin de faire de la prévention avant que les gens tombent malades.

Le Luxembourg, à l’instar d’autres pays, vient justement de mettre fin à l’obligation du port du masque dans les transports publics. Que pensez-vous de l’abandon des restrictions sanitaires ?

C’est prématuré, selon moi. Maintenant que nous sommes confrontés à une nouvelle hausse du nombre d’infections, ce n’est pas le meilleur moment pour prendre ce type de décision. En tout cas, il faut informer les gens sur la manière dont le virus se transmet : par aérosol, c’est-à-dire quand on respire ou quand on parle.

Et plus la concentration de virus est forte dans l’air, plus grands sont les risques de l’inspirer et de tomber malade ou de le transmettre à quelqu’un. On s’est beaucoup focalisé sur les mesures elles-mêmes, mais pas suffisamment sur le pourquoi de ces mesures.

Il faut mieux expliquer cela aux populations, de sorte qu’en dehors des obligations dictées par le gouvernement, les gens pensent d’eux-mêmes : « Si je me rends dans un endroit très fréquenté, fermé, sans ventilation, il peut y avoir un risque. La meilleure chose à faire pour me protéger est de porter un masque« .

Pouvons-nous espérer que la pandémie cesse dans un futur proche ?

Je n’ai pas de boule de cristal ! Nous avons ce mantra dans les réponses de crise : « Il faut toujours espérer le meilleur, mais se préparer au pire« ! Peut-être aurons-nous une forme de stabilité dans un ou deux ans, mais pour l’instant nous ne voyons pas de preuves en ce sens. Nous devons donc envisager différents scénarios, comme l’ont fait plusieurs organisations de santé.

Un scénario, par exemple : le virus devient comme la grippe, avec des saisons plus ou moins bonnes. Le pire étant l’émergence constante de nouveaux virus possédant des caractéristiques négatives qui nous bombardent. C’est ensuite aux gouvernements de tous les considérer et de mettre en place des plans d’action en conséquence. La préparation est la clé pour répondre aux crises, car le futur est incertain.

«La préparation est la clé pour répondre aux crises, car le futur est incertain.»

Jeffrey Sachs, un éminent universitaire, a récemment réaffirmé l’hypothèse que le Covid-19 a pu sortir d’un laboratoire. Pensez-vous que cela puisse être le cas ? 

Je n’ai pas regardé cette étude dans le détail. Mais de manière générale, chaque hypothèse doit être examinée, ce que fait l’OMS actuellement. Mon travail en tout cas n’est pas de savoir si le virus vient d’un marché ou d’une fuite de laboratoire, mais comment y répondre. Il s’agit là d’une question politique.

C’est important de mettre au jour la vérité, mais pour moi, ce qui est important, c’est comment combattre la maladie et ses vastes conséquences. Car les mesures liées au Covid-19 ont eu un impact sur la logistique concernant d’autres médicaments, sur la capacité de production.

L’inégalité de cette pandémie est une problématique bien plus essentielle : la crise sanitaire nous a montré tout ce qui ne va pas en termes d’égalité dans le monde.

Quelles répercussions sur l’Europe cette pandémie aura-t-elle ?

En Europe, on commence avec une crise avec une cause unique : un virus. Mais si on ne la gère pas, la crise se prolonge et affecte tout, y compris la cohésion sociale. On voit des gens devenus très sceptiques envers la science ainsi que des courants politiques qui exploitent cette crise sanitaire.

Cela peut créer de l’instabilité au sein de la société. Ce qui signifie que beaucoup d’autres secteurs sont alors négligés. Et en raison de certaines mesures, certains enfants n’ont pas pu aller à l’école, mais ils ne disposaient pas d’ordinateur ou de parents qui pouvaient les aider. Ce qui signifie qu’il y a des générations d’enfants qui ont grandi en étant laissés de côté, sans que les gouvernements investissent en eux. Et cela aura des conséquences sur plusieurs années.

Et maintenant, il y a la crise économique et la guerre sur le continent européen. Tout mène à une combinaison parfaite pour un désastre dont les conséquences pourront se ressentir sur le très long terme. Nous l’avons déjà souvent remarqué dans les pays où il y a une crise qui prend une dimension politique et qui dure plusieurs années : il faut plusieurs décennies pour trouver une forme de stabilité.

Faut-il craindre la variole du singe ?

Cette maladie est endémique dans plusieurs pays africains. On la rencontre assez souvent. Pour le moment, on voit quelques cas émerger en Europe, mais les effets sur la santé sont relativement mineurs.

Je ne suis pas particulièrement effrayé, ce n’est pas le covid. Il n’en demeure pas moins qu’il faut s’assurer de trouver tous les cas et prendre les mesures fondamentales nécessaires : tracer, tester, isoler.

D’aucuns parlent d’ »épidémie de pandémies » dans les années à venir. Pensez-vous que ce sera le cas et qu’il faut nous préparer à l’arrivée de nouveaux virus ?

Pour cela, il faut considérer les vecteurs de maladies. Et il y en a plusieurs présentant des risques qui peuvent devenir plus ou moins importants. Il se trouve qu’aujourd’hui, la grande densité de population et l’extrême connexion mondiale multiplient les risques que les maladies se transmettent d’une région à une autre. Un autre vecteur de risque très important, c’est l’élevage intensif du bétail, lequel augmente le potentiel de transmission de maladies à l’homme.

Avant l’émergence du coronavirus, nous nous attendions d’ailleurs à une pandémie de grippe, car la grippe a de nombreux réservoirs. Le coronavirus a aussi de nombreux réservoirs, les chats par exemple. Cela ne signifie pas qu’ils jouent forcément un rôle, mais plus un virus est présent parmi des espèces différentes, plus grandes sont les chances de mutation.

Le niveau d’hygiène a aussi son importance. La présence de la grippe sur un animal n’est pas nécessairement un problème, mais les gens ont besoin de manger et il y a un risque de contamination lors de la préparation, lorsqu’en coupant l’animal, on se coupe.

Ce qui est inquiétant cependant, ce n’est pas nécessairement l’apparition de nouvelles maladies, mais la résurgence de maladies que nous connaissons déjà : tuberculose, malaria, rougeole… On les voit de plus en plus revenir.

Avec le réchauffement climatique, on voit en Europe de plus en plus de moustiques susceptibles de transmettre des maladies comme la dengue, le chikungunya, le Zika. Nous avons plusieurs armes pour lutter contre la malaria, comme des médicaments et des insecticides, mais ils deviennent moins efficaces du fait d’une certaine résistance.

Il faut se préparer à cela, mettre en place des stratégies de surveillance et de contrôle, et renforcer nos systèmes de santé.

2 plusieurs commentaires

  1. Tatiana Salvan

    Bonjour,

    «La question politique» dont parle Amrish Baidjoe est celle de l’origine du virus : fuite de laboratoire ou non ? Il insiste au contraire sur le fait que son travail à lui est de répondre à la maladie et à ses conséquences (même si effectivement les politiques peuvent avoir un rôle à jouer dans la réponse à apporter).
    Bonne journée.

  2. « répondre à une pandémie est une question politique ».
    Il y a des gens qui pensent que c’est au contraire une question de médecine scientifique et surtout pas politique ,car chacun sait que les politiques sont à peu près nuls en toute matière scientifique.