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[Affaire du SREL] « À qui profite le crime ? »


«La seule option qui me reste est le plaidé coupable. Je ferais n'importe quoi pour ma famille, mais en tant qu'être humain, je ne peux pas plaider coupable pour quelque chose que je n'ai pas fait». (Photo : didier sylvestre)

L’ombre des Bommeleeër mais aussi celle du nébuleux homme d’affaires Loris Mariotto continuent de planer au-dessus du procès du SREL. Leur rôle reste pourtant (trop) marginal. Vendredi, les prévenus Marco Mille et Frank Schneider ont semblé vouloir en dire davantage, sans toutefois passer à l’acte.

«Un point me tient encore particulièrement à cœur », affirme Marco Mille. S’en suit un long silence de l’ancien directeur du Service de renseignement de l’État (SREL). Pris par l’émotion, il termine par un « non, c’est O. K.». Le président de la 12e chambre correctionnelle, qui statue depuis mardi sur une supposée écoute illégale menée par trois ex-agents secrets, ne tarde pas de préciser qu’il pourra «encore s’exprimer en toute fin du procès». L’audience est alors levée.

Malgré le fait que ce procès hors du commun repose sur différents fichiers audio, la marge de spéculation reste importante. Vendredi, les débats ont majoritairement porté sur le personnage Loris Mariotto, non inculpé. Ce mystérieux informant du SREL avait fini au bout d’un très long bras de fer de livrer à son ami André Kemmer un CD crypté qui contiendrait l’enregistrement d’un entretien entre le Grand-Duc Henri et le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, portant sur l’affaire Bommeleeër. Ce CD, «manipulé» selon les enquêteurs, constitue le point de départ des évènements ayant mené en juillet 2013 à la chute du gouvernement Juncker, tenu responsable de dysfonctionnements au sein du SREL. L’écoute supposée illégale menée entre le 26 et 29 janvier 2007 fait partie de ces dysfonctionnements et vaut aujourd’hui un procès aux ex-agents secrets Marco Mille, André Kemmer et Frank Schneider.

«Le pays ne voulait pas qu’on fasse notre travail»

« Le cœur de nos institutions était menacé », soulignait vendredi Frank Schneider à la barre. L’ancien chef des opérations du SREL fait référence à la possible mise sous écoute du ministre d’État et du chef de l’État, qui aurait eu lieu «en plein spectacle de l’affaire Bommeleeër». Un peu plus tard, il dira cependant que le dossier du CD crypté, livré par un Loris Mariotto, pourtant qualifié de «crédible», a fini par le «déranger» : «On avait des centaines de choses à faire. Le pays ne voulait pas que ses institutions (NDLR : il fait allusion au SREL) fassent leur travail. On est donc passé à autre chose». Le dossier Mariotto a pourtant occupé pendant plus d’un an le service de renseignement. «Après coup, j’aurais procédé différemment. Ce fut une erreur», admet Frank Schneider.

Il piétine quelque peu à la barre et charge le principal enquêteur de la police judiciaire, qui a affirmé vendredi que le chef des opérations était à la base de la fuite dans la presse de l’enregistrement Mille/Juncker, qui réalisé à l’insu du Premier ministre, confirmerait l’autorisation de l’écoute. «J’ai très peu de respect pour ce témoin. Il fait de fausses déclarations résultant de spéculations», fustige Frank Schneider. Interpellé par le président sur les possibles motivations de Loris Mariotto, l’ancien agent secret semble sur le point de lancer les «choses énormes», annoncées dès mardi par son avocat. «À qui profite le crime ?», lance-t-il. «L’enquêteur nous a livré son interprétation», rétorque Marc Thill. «Je ne suis ni Premier ministre ni membre du gouvernement mais toujours le même homme d’affaires. À qui profite le crime ?», ajoute le prévenu.

Marco Mille insistera de son côté sur le «verbatim manipulé» et le fait qu’il a été «menti» aux députés de la commission d’enquête, à la base de la plainte portée en décembre 2012 contre les ex-agents. Il a cependant attendu le 27 novembre 2017 pour porter plainte pour utilisation de faux, soit au lendemain du premier report du procès.

Un «entretien», mais quid de l’ «écoute» ?

Entre les lignes, Marco Mille charge aussi l’ancien député François Bausch, devenu membre du gouvernement Bettel formé suite aux élections anticipées de 2013, sans le CSV de Jean-Claude Juncker. Le tribunal n’a pas bronché, mais ce genre d’allusions sont tombées à maintes reprises lors du procès Bommeleeër, qui hiberne depuis 2014 en raison de la possible inculpation de nouveaux suspects.

Tout cela n’a pas permis d’avancer sur la question de la légalité de l’écoute, réalisée fin janvier 2007 sur Loris Mariotto. L’ancien directeur du SREL a répliqué vendredi aux déclarations de Jean-Claude Juncker, venu témoigner mercredi. Ce dernier avait affirmé ne pas se rappeler d’avoir validé une écoute, mais qu’il avait bien pris connaissance d’un entretien enregistré entre l’agent André Kemmer et Loris Mariotto. Marco Mille a renvoyé vers sa phrase «Après cet entretien, tout était plus clair.» La suspicion que l’informant voulait poser un «piège» au SREL, «très forte au départ a été relativisée».

Il parle bien d’ «entretien» et pas d’écoute. D’ailleurs, ni les enquêteurs ni les prévenus Mille et Schneider n’étaient en mesure de dire vendredi qui a en fin de compte analysé le contenu des appels interceptés sur le téléphone portable de Loris Mariotto. Seule certitude : le directeur a fait stopper l’écoute sans régulariser la fiche technique à fournir aux opérateurs téléphoniques. Il s’agit d’une zone d’ombre supplémentaire qu’auront à trancher les juges.

Le procès reprend mardi avec la seconde déposition d’André Kemmer. La partie civile, constituée par le nébuleux Loris Mariotto, s’exprimera dans la foulée.

David Marques

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