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À Berlin, où les loyers explosent, pas question de vendre son âme d’artiste


Les artistes de Treptow ne sont pas prêt de faire le deuil de leurs ateliers et refusent leur mise à mort. (photos AFP)

Dans les couloirs des Treptow Ateliers, une de ces maisons d’artistes qui ont fait l’âme de Berlin, c’est l’inquiétude : une trentaine de peintres, photographes et autres âmes créatrices sont menacés d’expulsion, dans un contexte de crise du logement.

Au pied des murs, un cimetière de croix plantées dans l’herbe et barrées des mots « démolition » ou « expulsion » : une initiative des locataires sommés de quitter d’ici mars 2020 cette ancienne fabrique du quartier de Treptow, à l’est de Berlin. Le bâtiment doit laisser place à un complexe immobilier de cinq étages.

Environ 350 studios d’artistes ferment ainsi chaque année dans la capitale allemande sous la pression immobilière, d’après l’association professionnelle des artistes visuels de Berlin.

Comme nombre de bâtisses occupées par des artistes, cette ancienne fabrique du quartier de Treptow doit devenir un ensemble immobilier.

Nombreux sont ceux qui estiment que ces disparitions ont déjà coûté à la ville son identité bohème, branchée et délurée, qui va de pair avec son statut de capitale européenne des cultures alternatives. Bien des sites symboliques, souvent des squats fondés à la chute du Mur de Berlin en 1989, ont disparu, à l’instar du célèbre Tacheles fermé en 2012 et destiné à devenir des appartements de standing et un hôtel.

Si Berlin reste une ville assez abordable par rapport à d’autres capitales occidentales, celle-ci a néanmoins connu un essor de son marché de l’immobilier, qui a entraîné un doublement des loyers en dix ans et une crise de l’accès au locatif. Car le gouvernement de la ville-État n’a pas réussi à adapter ou favoriser l’offre pour satisfaire les quelque 50 000 personnes qui s’y installent chaque année.

Le propriétaire du site des Treptow Ateliers, Peter Ottmann, architecte basé à Munich, assure qu’il ne s’agit pas expulser les artistes : il dit vouloir construire de nouveaux ateliers à côté d’une trentaine d’appartements et d’une crèche, le tout sur 4 500 mètres carrés.

Plus ‘arty’ qu’artistique

Les actuels locataires dénoncent, eux, la manœuvre : ils n’ont pas de garanties de pouvoir rester et mettent en avant le fait que la rénovation va entraîner une hausse des prix et une gentrification, alors que Berlin tente de juguler ces phénomènes en gelant les loyers pour cinq ans dès 2020.

« Il n’y a pas eu de discussion autour de la reconstruction. Il nous a informés qu’on pourrait mettre nos noms sur la liste d’attente pour avoir ces studios… S’inscrire sur cette liste, c’est accepter de se faire éjecter, de ne pas se battre », regrette Lydia Paasche, Allemande de 41 ans.

L’odeur de la peinture fraîche émane de l’atelier de Lorcan O’Byrne. Cet Irlandais de 58 ans craint de voir disparaître la communauté qui s’est formée autour des Treptow Ateliers depuis sept ans. « Nous avons construit une vraie atmosphère autour de l’art depuis notre arrivée en 2012. Il y a beaucoup d’amitié entre nous mais aussi de l’esprit critique », souligne-t-il. Installé depuis les années 80 à Berlin, alors encore divisée par le Mur, Lorcan O’Byrne a été témoin des bouleversements du paysage artistique berlinois.

Se mettre sur liste d’attente, « c’est accepter de se faire éjecter, de ne pas se battre », regrette Lydia Paasche.

Au mépris de la culture

L’époque où David Bowie, Iggy Pop ou Nick Cave venaient y trouver leur renouveau artistique, à partir de la fin des années 70, lui semble plus que jamais révolue. « Il y avait des clubs, des squats, des lieux d’art partout. Mais l’histoire de Berlin a rendu cette ville branchée auprès d’investisseurs étrangers. »

« Le paradoxe, c’est que les nouveaux venus, débarquant pour le côté ‘arty’, ont pris la place des lieux culturels » qui les avaient attirés, assène l’artiste. Le propriétaire rejette les accusations des artistes. « Je comprends que les locataires puissent s’émouvoir. Mais il est important de rappeler que le futur projet fournira de l’espace à 175 personnes, soit 150 de plus qu’actuellement », insiste Peter Ottmann.

La moitié des quelque 8 000 artistes recensés dans la ville craignent de perdre leur studio à moyen terme. « La spirale de la location commerciale est en train de s’inverser rapidement et d’assurer la disparition d’un grand nombre d’espaces d’art », a admis dans les colonnes du Berliner Zeitung, Klaus Lederer, ministre de la Culture de Berlin. « Nous n’étions pas préparés à cela. Nous aurions dû commencer à prévoir des politiques il y a sept à dix ans. »

Du côté des Treptow Ateliers, on presse les élus d’agir. « Il y a plus d’un million de mètres carrés de surface inutilisée dans l’immobilier d’État. Nous aimerions que cet espace public soit destiné aux artistes locaux », avance Lydia Paasche. « Nous ne militons pas uniquement pour notre cause mais pour tous les artistes en difficulté. »

LQ/AFP

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