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Bretagne : à la pêche aux drones


Le premier convoi a pris la direction de Zaporijjia (sud du pays), où les filets doivent protéger certains quartiers de l’agglomération. (Photo : afp)

Des pêcheurs, actifs ou à la retraite, se mobilisent pour soutenir les soldats ukrainiens en guerre en leur fournissant des filets de pêche usagés qui servent, une fois installés, de boucliers lors des attaques de drones russes.

Après avoir pêché la lotte, ils vont capturer des drones : des filets usagés récoltés dans les ports bretons sont acheminés en Ukraine pour protéger routes et infrastructures militaires des attaques russes. «Ça sent le poisson pourri!», rigole Christian Abaziou, 70 ans, en ramassant un morceau de filet usagé. Avec son compère Gérard Le Duff, 63 ans, le bénévole enchaîne les allers-retours dans la remorque de son camion, garé sur le port de commerce de Roscoff, dans le nord du Finistère. Les deux retraités, membres de l’association Kernic Solidarités, doivent prendre livraison d’un chargement de filets usagés, conditionnés dans d’énormes sacs blancs, en vue d’être recyclés.

Début octobre, les deux hommes ont déjà convoyé 120 kilomètres de filets en Ukraine. Et un deuxième camion de filets est parti dans la foulée de Tréflez (Finistère). «Quand on a commencé les convois humanitaires, il y a trois ans, on n’était pas du tout confrontés aux drones», raconte Gérard Le Duff, le président de l’association. Mais la guerre a muté «et maintenant c’est une guerre de drones». La Russie emploie en Ukraine de petits appareils volants identiques à ceux que l’on trouve dans le commerce, mais équipés d’explosifs et qui peuvent frapper à plus de 25 kilomètres du front.

Pour s’en prémunir, les Ukrainiens couvrent les routes de filets montés sur des poteaux, sur des centaines de kilomètres. Quand ils s’en approchent, les drones sont piégés, comme un insecte dans une toile d’araignée. Averti de ce nouvel art de la guerre, Christian Abaziou a pris contact avec un pêcheur retraité. «En deux jours, j’avais tout ce que je voulais en filets de pêche», dit-il. «C’est de bon cœur!», confirme Jean-Jacques Tanguy, 75 ans, ancien président du comité des pêches du Finistère. Selon lui, «les pêcheurs sont fiers de savoir que le matériel usagé va sauver des vies».

Ça sent le poisson pourri!

Changés tous les ans, les filets de pêche s’entassent au bord des quais des ports bretons. «Ceux qu’on récupère sont voués à partir en retraitement. Autant qu’ils servent à une bonne cause», sourit Marc-Olivier Lerrol, directeur adjoint du port de commerce de Roscoff qui en récolte environ 20 à 25 tonnes par an. «Vous êtes les bienvenus, revenez quand vous voulez!», lance-t-il aux deux hommes en guise d’au revoir. Stockés avec plusieurs tonnes de soupes, de lait infantile et de matériel médical, les filets sont ensuite transbordés dans un camion ukrainien à la frontière polonaise, à 2 300 kilomètres du Finistère.

Le premier convoi a pris la direction de Zaporijjia (sud du pays), où les filets doivent protéger certains quartiers de l’agglomération. Le second devrait aller un peu plus au sud, vers Kherson, une ville qui subit également la menace quotidienne des drones. C’est un Français établi en Ukraine, et souhaitant rester anonyme, qui a facilité les échanges entre Kiev et les bénévoles bretons. «Il y a un énorme besoin en filets ici», explique-t-il. «L’idée que des volontaires bretons puissent avoir l’idée d’envoyer des kilomètres de filets de pêche pour sauver des vies en Ukraine… Quand on raconte ça à n’importe quel Ukrainien, il a les larmes aux yeux.»

«Un geste symbolique»

À l’avenir, Christian Abaziou espère que les Ukrainiens enverront des transporteurs récupérer les filets en Bretagne. «On les aidera à les rassembler et à les charger, mais on n’a pas le budget pour continuer les convois nous-mêmes.» Kernic Solidarités n’est d’ailleurs pas la seule à acheminer des filets sur le front ukrainien. Stéphane Pochic, patron d’un armement de six chalutiers à Loctudy (Finistère), en a envoyé en août, en passant par une association des Hautes-Alpes, Arasfec PACA.

«C’est un geste symbolique pour montrer qu’on les soutient», explique encore Stéphane Pochic. Il compte bientôt démonter un chalut pélagique pour l’envoyer en Ukraine. Et le mouvement de solidarité des pêcheurs n’est pas cantonné à la France. Les positions ukrainiennes sont aussi protégées par des filets venus du nord de l’Europe, notamment de Suède et du Danemark.

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