Accueil | Culture | [Musique] Bad Bunny, prophète à domicile

[Musique] Bad Bunny, prophète à domicile


(Photo : afp)

Star mondiale du rap et enfant du pays, Bad Bunny fait danser tout l’été les Portoricains lors d’une résidence aux accents politiques pour son île natale, territoire rattaché aux États-Unis.

Dès le premier concert de la série, vendredi soir au Coliseo de San Juan, capitale de l’île caribéenne, il a délivré un spectacle bouillant où les tambours et les danses folkloriques se sont mêlés aux rythmes reggaeton et aux sons électroniques. À l’image de son dernier album, Debi Tirar Mas Fotos (J’aurais dû prendre plus de photos), véritable lettre d’amour à l’île où il est né, le show réconcilie le passé et le présent ainsi que la joie, la fierté et la résistance.

Star planétaire, chanteur le plus écouté sur Spotify de 2020 à 2022, Bad Bunny a opéré dans cet opus un vibrant retour aux sources pour célébrer l’histoire tumultueuse et l’identité ignorée de cet archipel qui appartient aux États-Unis, mais qui n’a pas le statut d’État et dont les habitants n’ont pas le droit de vote pour l’élection présidentielle. Avant une tournée mondiale, il a donné la priorité à Porto Rico, avec une résidence de 30 concerts tout l’été baptisée «No Me Quiero Ir De Aqui» («Je ne veux pas partir d’ici»), dont les neuf premiers sont réservés aux résidents locaux.

Messages à tonalité politique

L’artiste était accompagné d’invités de marque, comme la légende américaine du basket LeBron James, dont l’apparition sur scène, dansant, chapeau jaune enfoncé sur la tête, a fait le régal des réseaux sociaux. Devant des milliers de fans qui portent chemises ou bikinis aux couleurs bleu, blanc, rouge du drapeau portoricain, Bad Bunny, 31 ans, entre sur scène dans un décor de forêt tropicale verdoyante, où l’attendent percussionnistes et danseurs.

La suite ressemble à une rétrospective de sa carrière et à une leçon d’histoire sur la musique et les sons portoricains, où le latin trap de ses premiers hits (La Romana, Yo Perreo Sola) côtoie des styles locaux comme la plena et la bomba. «Son reggaeton ne faiblit jamais!», savoure John Hernandez Ramirez, un étudiant de 21 ans. Le jeune homme raconte qu’il a d’abord aimé Bad Bunny pour ses rythmes déchaînés, mais plus récemment, il a été inspiré par l’évolution de ses textes.

Originaire d’une région rurale de Porto Rico, il a trouvé une résonance particulière avec le titre LO QUE LE PASÓ A HAWAii, où l’artiste dénonce les effets à ses yeux néfastes de la gentrification et du tourisme de masse sur l’île de 3 millions d’habitants. Bad Bunny, de son vrai nom Benito Antonio Martinez Ocasio, a mis l’accent sur ces questions avant le concert, en projetant sur un grand écran des messages à tonalité politique qui ont provoqué des applaudissements nourris.

Une colonie rachetée par les États-Unis

«Porto Rico est une colonie depuis que Christophe Colomb a « découvert » l’île lors de son deuxième voyage vers le Nouveau Monde en 1493», pouvait-on lire, avec une parenthèse expliquant que «la tribu des Tainos habitait déjà l’île» à l’époque. Colonie espagnole pendant trois siècles rachetée par les États-Unis en 1898, aujourd’hui territoire américain qui ne jouit que d’une autonomie partielle, Porto Rico a été frappée par des inondations meurtrières ces dernières années et sa population vit au rythme de coupures de courant récurrentes.

Pendant un spectacle de près de trois heures, l’arène de 18 000 places a semblé trembler quand Bad Bunny a entonné ses succès NUEVAYoL ou encore Tití Me Preguntó. Sans billet pour le concert, Michelle Munoz, 55 ans, New-Yorkaise d’origine portoricaine, est quand même venue pour profiter de l’ambiance survoltée. La popularité de Bad Bunny vient de sa volonté de dire la «vérité» tout en «montrant et rendant honneur à l’histoire de la musique, celle qui l’a précédé, avec laquelle il a grandi et qui l’a façonné», dit-elle.

Chapeaux de paille et piña coladas

«C’est un artiste mondial qui chante en espagnol», ajoute Michelle Muñoz. «Tout le monde ne peut pas faire ça.» Les fans étaient nombreux à porter les emblématiques chapeaux de paille portoricains (les «pava»), tandis que des vendeurs proposaient des piña coladas, le cocktail populaire né sur l’île. Pour Jorell Melendez Badillo, un universitaire portoricain qui a collaboré avec Bad Bunny sur les éléments visuels de son dernier album, la résidence est une célébration de Bad Bunny, «mais aussi de nous-mêmes».

Il a réussi et nous l’avons tous fait avec lui!

«Il est à nous. Nous avons l’impression de l’accompagner tout au long de son parcours. Nous l’avons vu grandir sous les feux de la rampe, tout au long de sa carrière», affirme-t-il. «Il a réussi», se félicite l’historien. «Et nous l’avons tous fait avec lui!»  La résidence de Bad Bunny se poursuit jusqu’en septembre, ce qui ne l’empêche pas, à distance, de se moquer de la politique migratoire de Donald Trump : dans son clip NUEVAYoL, la voix du président américain est reproduite par IA. Qui déclare alors : «Ce pays n’est rien sans les immigrants».