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[Littérature] Les Fantômes de l’Hotel Jerome : la saga familiale de John Irving


À la parution aux États-Unis en 2022 de son nouveau roman titré The Last Chairlift, nombre de personnes du monde littéraire ont évoqué son «dernier livre important».

Parce que John Irving a 82 ans? Parce qu’il propose un livre de près de mille pages? Interrogé par un journaliste français, l’écrivain a apporté quelques précisions au sujet de ce pavé, intitulé Les Fantômes de l’Hotel Jerome en VF : «Il s’agit du roman le plus long que j’aie écrit. Pas le plus difficile, parce que beaucoup de choses y sont empruntées à mon expérience personnelle : il se déroule dans le milieu des skieurs, qui m’est familier, dans des lieux que je connais… Ça ne m’a pas épuisé en recherches. Et j’ai eu la chance que ce soit le roman auquel je travaillais quand la pandémie de Covid-19 a frappé et que je n’ai plus rien eu d’autre à faire qu’à rester écrire chez moi!»

Après sept années d’absence dans les librairies et la parution d’Avenue des mystères, il est donc de retour. Un come-back effectué avec un livre XXL, véritable fresque familiale, «jubilatoire et réjouissante» comme le promet l’éditeur français. Grand amateur et pratiquant de la lutte sportive, John Irving a publié son premier roman en 1968 (Liberté pour les ours!), connu le succès planétaire avec Le Monde selon Garp – son quatrième roman partiellement autobiographique adapté au cinéma par George Roy Hill avec Robin Williams et Glenn Close, et même reçu un Oscar du meilleur scénario… Autant dire et écrire qu’un texte nouveau de John Irving fait événement. Ce qui est évidemment le cas avec ces Fantômes de l’Hotel Jerome.

Point de départ de ce roman en forme de saga, en trois actes et cinquante-trois chapitres : Aspen, dans le Colorado. On y retrouve une jeune femme. Elle y échoue aux épreuves de slalom, mais se retrouve enceinte. Elle s’appelle Rachel Brewster et est surnommée «Little Ray». Retour chez les parents : elle devient monitrice de ski et élève son fils, Adam. L’ambiance familiale est on ne peut plus douce en ce début d’une histoire qui va courir sur sept décennies en Nouvelle-Angleterre tellement conventionnelle.  À l’âge adulte, devenu scénariste, Adam s’offre un séjour à l’Hotel Jerome à Aspen : «C’est ma mère qui m’a parlé d’Aspen. C’est elle qui m’a donné envie de voir l’Hotel Jerome, elle que je dois remercier, ou pas, d’être allé à Aspen, et remercier, ou pas, d’avoir longtemps repoussé le moment d’y aller. J’ai toujours pensé que ma mère aimait le ski plus qu’elle ne m’aimait, moi (…) Ce qui nous hante au cours de l’enfance et de l’adolescence peut nous amener à faire des choses hasardeuses.»

La vraie vie est mal torchée : c’est une succession de coïncidences

Autre confidence d’Adam : «Je vois des fantômes, mais tout le monde ne les voit pas. Et eux, que leur est-il arrivé? Plus exactement, qu’est-ce qui a fait d’eux des fantômes? Les morts ne deviennent pas tous des fantômes. Ça se complique, parce que les fantômes ne sont pas tous morts. Dans certains cas, on peut être à la fois un fantôme et à demi-vivant…» Et c’est ainsi qu’Adam, dans les murs de l’Hotel Jerome hanté par tant et tant de fantômes, va tenter d’approcher, voire de mettre au jour les secrets si bien gardés de sa famille en mille points étonnante avec un grand-père sénile, une grand-mère qui, à Adam enfant, lisait à haute voix Moby Dick, des oncles farceurs, des tantes acerbes, un professeur transgenre en guise de père, une belle-mère lesbienne… Constat : «La vraie vie est mal torchée : c’est une succession de coïncidences. Les événements se produisent, sans liens entre eux. Dans un bon roman, tout n’est-il pas relié à tout le reste?»

Dans le foisonnement de cette fresque taille XXL, une fois encore, John Irving développe des thèmes récurrents dans son œuvre : la paternité incertaine, les transgressions… l’humour aussi. Ça pétille allègrement à toutes les pages, à tous les étages de cet Hotel Jerome, même si quelques grincheux et mécontent(es) chroniques voient, dans ce nouveau roman du lutteur littéraire, des longueurs plombantes. On leur rétorquera seulement que l’auteur manie, comme personne, la plaisante nostalgie dans une fresque où, avec bonheur, le tragique côtoie le comique.

 

John Irving – « Les Fantômes de l’Hotel Jerome »

Seuil