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Alerte rouge sur les oiseaux nicheurs


L’ornithologue de natur&ëmwelt, Patric Lorgé, constate le déclin très rapide de certains oiseaux qui étaient pourtant communs il y a peu.

La nouvelle liste rouge des oiseaux nicheurs illustre leur important déclin au Luxembourg. La faute au climat, un peu, mais surtout à un manque de volonté politique pour les préserver.

Ce n’est une surprise pour aucun des spécialistes en charge de ce dossier, la population d’oiseaux nicheurs régresse nettement au Grand-Duché, comme ailleurs en Europe et dans le monde.

À l’image de la biodiversité, les mauvaises nouvelles sont plus nombreuses que les bonnes. Pourtant, la fatalité n’a que peu de place dans ce constat.

Si quelques espèces pâtissent du réchauffement climatique, beaucoup d’autres souffrent à cause de l’activité humaine, notamment de l’agriculture. Des solutions existent, c’est ce qu’explique Patric Lorgé, ornithologue à natur&ëmwelt.

Les espèces disparues

Les oiseaux déclarés «disparus» sont ceux que l’on n’a pas vu nicher au Luxembourg depuis 10 ans. La nouvelle liste rouge en dénombre deux de plus, pour porter le compte à 14.

La gélinotte des bois était une espèce commune il y a quelques décennies. «Elle était très présente et chassée, elle vivait dans les taillis de chêne», explique Patric Lorgé. L’écorce de ces arbres était autrefois utilisée pour le tannage du cuir pour adoucir les peaux. Ces chênes étaient alors abattus tous les 25 ans.

«C’est ce mélange de jeunes et de vieux arbres qui manque aujourd’hui dans nos forêts, ajoute l’ornithologue. Désormais, il n’y a plus de nourriture au sol et avec les ratons laveurs et les sangliers qui prolifèrent, ces oiseaux qui nichent par terre ont perdu leur habitat.»

La deuxième espèce disparue au Grand-Duché est le râle des genêts. Ce dernier vit dans les prairies humides, où l’on trouve une grande diversité de plantes, de fleurs et d’insectes. «Les pratiques agricoles qui s’intensifient encore plus lui ont été fatales, relève Patric Lorgé. Même dans le Roeserbann, que l’on voit toujours vert, il n’y a plus de biodiversité. Les terres sont drainées, on enchaîne deux ou trois cultures par an… et comme les foins sont faits en pleine période de nidification, les râles des genêts ont disparu même dans les zones de protection spéciale à l’intérieur des zones Natura 2000.»

Le râle des genêts a suivi le sort du tarier des prés, de la bergeronnette printanière et du pipit tarlouze, partis avant lui.

Les oiseaux en danger

Il est cruel de dire que ces espèces intégreront prochainement les paragraphes précédents, mais malheureusement, peu devraient y échapper. En tout cas si l’on ne prend pas leur sauvetage à bras-le-corps.

Le futur s’annonce très compliqué pour la mésange huppée, la mésange noire, le roitelet triple-bandeau et le roitelet huppé qui vivent essentiellement dans les forêts d’épicéas. Or avec le réchauffement climatique et plus encore la présence du bostryche, un coléoptère qui creuse des galeries dans leur tronc jusqu’à couper les réseaux de sève, les pessières disparaissent les unes après les autres.

Les pratiques agricoles sont également une cause importante de l’extinction des oiseaux. Certaines espèces ont dramatiquement décliné en seulement 15 ou 20 ans. Le moineau friquet ou l’alouette des champs en sont de tristes exemples.

Autrefois, ils vivaient au bord des chemins agricoles ou entre les tiges résiduelles des champs moissonnés. Autant d’habitats qui n’existent plus. «Les champs s’étendent désormais jusqu’au bord des routes et les terres sont immédiatement retournées et replantées après la récolte. Il n’y a plus de plantes ni de graines pour les oiseaux en hiver», regrette Patric Lorgé.

Ils sont revenus

Quelques espèces sont de retour, mais Patric Lorgé n’émet aucun triomphalisme tant leur situation reste critique. Le bruant zizi est un oiseau que l’on trouvait régulièrement dans les vignes mosellanes jusque dans les années 1940. Mais l’espèce, plutôt méditerranéenne, s’est déplacée vers le sud. «Avec le réchauffement climatique, une quarantaine de couples nichent désormais à nouveau dans les vignes en friche.»

Le gorgebleue à miroir, lui, a surpris les ornithologues en s’installant sur le crassier d’Ehlerange en 2017. Cinq couples nicheurs s’y trouvent aujourd’hui. «Il s’agit d’une espèce protégée qui vit essentiellement en Scandinavie et qui sait s’adapter, explique Patric Lorgé. À Ehlerange, elle a découvert des roseaux, des arbres, des insectes : tout ce dont elle a besoin.» Il va falloir désormais bien gérer le développement économique du site pour préserver cet oiseau rare.

Que faire pour enrayer ce déclin ?

Le destin de beaucoup d’oiseaux est entre les mains des politiques. «Pour sauver les espèces en danger, il faut surtout de la volonté», relève l’ornithologue. Il cite l’exemple du râle des genêts, qui a disparu alors que trois zones de protection spéciale avaient été établies pour lui dans des zones Natura 2000 dans la vallée supérieure de l’Alzette, autour de Bertrange et dans la région de l’Ernz noire.

«Créer des zones protégées ne suffit pas si ce n’est pas suivi d’actions précises, constate-t-il. On trouve encore tous les ans des râles des genêts en Lorraine parce qu’un programme Life, suivi de mesures spécifiques, a été mis en place.»

De la même façon, la pie-grièche grise a disparu des prairies sèches de Junglinster qui avaient pourtant été classées Natura 2000. On n’en trouve désormais uniquement sur le plateau ardennais, autour de Wincrange.

La loi européenne sur la restauration de la nature, qui a été validée cette année, est toutefois une bonne nouvelle. Elle va permettre de restaurer des habitats en toute connaissance de cause, puisqu’elle impose aux États des obligations de résultats. Des contrats de biodiversité sont également proposés aux agriculteurs qui acceptent de modifier leurs pratiques pour servir les intérêts de la nature, moyennant des subventions.

«C’est un problème qui nous concerne directement, fait remarquer Patric Lorgé. Si les oiseaux disparaissent, c’est parce qu’ils ne trouvent plus d’habitat convenable. Or cette dégradation nous touche pareillement. Une zone qui sera impropre à la vie des oiseaux le sera pour nous aussi…»

Comment dénombre-t-on les oiseaux?

La liste rouge des oiseaux est publiée tous les cinq ans par naur&ëmwelt; elle fait suite au travail effectué depuis le milieu des années 1970 par la Ligue de protection des oiseaux. La méthodologie de comptage est aujourd’hui définie à l’échelle européenne pour que les données soient comparables entre pays.

Ce monitoring se réalise sur 180 carrés d’un kilomètre de côté, répartis dans tout le pays, afin de répertorier tous les types d’habitats. Ils servent à l’observation des oiseaux, mais aussi des papillons, des insectes… Le temps pour les spécialistes de parcourir l’intégralité des zones d’observation, le recensement s’achève au bout de cinq ans.

Les données obtenues rejoignent la cohorte de celles des autres pays européens. Elles permettent, entre autres, de mettre à jour la liste rouge des oiseaux nicheurs et d’intégrer le cadre de la directive Oiseaux de l’Union européenne, révisée tous les six ans.

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