Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
L’auteure belge, jeune talent auréolé pour son premier roman graphique, abandonne la fiction pour un témoignage d’une rare intimité sur les méandres du désir féminin et les troubles de la sexualité. Remarquable.
Il y a des éclairs qui la traversent et un feu qui couve en elle. D’un côté, la violente douleur d’un corps subitement empêché de toute relation charnelle, et de l’autre, un désir irradiant qui ne demande qu’à se manifester de nouveau. Alix Garin, la vingtaine, est pourtant jeune et a toute la vie devant elle : fin des études, déménagement, premier appartement, premier boulot, premier contrat d’édition et à ses côtés, un petit copain bienveillant pour l’épauler dans cette transition.
Mais voilà, quelque chose la bloque, la questionne, la torture aussi. Son monde, plein de promesses, se dérobe alors et de ce chaos intérieur va apparaître un nom, origine de tous ses troubles : le vaginisme, soit la contraction des muscles du périnée entraînant des souffrances lors de l’acte sexuel, jusqu’à le rendre impossible. Elle est devenue «impénétrable».
Avant d’arriver à ce diagnostic, elle a dû se confronter à sa propre torpeur. «Qu’est-ce qu’on est censé faire quand ce qui est présenté comme le truc le plus plaisant au monde devient le plus déplaisant? On va où, on en parle à qui?», se questionne-t-elle. Face à l’incompréhension de son compagnon et son couple qui se disloque au regard de cette abstinence forcée, elle va alors suivre un véritable parcours du combattant, passant des gynécologues aux psychologues et sexologues. Au bout de cette odyssée médicale, certes, la découverte de ce qui l’affecte physiquement.
Au fond, ce récit n’est pas une histoire de sexe… C’est une histoire d’amour
Mais le chemin qui lui reste à parcourir est bien plus complexe qu’un simple mal à dompter. Vite, elle comprend qu’il va lui falloir se réapproprier son corps et partir à la conquête de son désir. Dans une société où les tabous et autres idées reçus sur la chose sont robustes, Alix Garin devra accepter de sortir des sentiers battus…
On ne doutait pas de son talent depuis Ne m’oublie pas (2021), son tout premier roman graphique qui va, à juste titre, cumuler les prix et les compliments. L’auteure belge y imaginait un road trip avec sa grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, sorte de Thelma et Louise en mode familial et transgénérationnel, pour en faire une belle histoire sur la fin de vie et l’importance de la transmission.
Si le clin d’œil à cette œuvre revient dans Impénétrable, le sujet qui l’occupe ici s’impose de toute sa puissance et dans une transparence rare. Dans l’exercice autobiographique, Alix Garin ne cache rien, en dehors d’un traumatisme d’enfance passé sous silence, remonté à la surface à la suite d’une séance d’hypnose. Pour le reste, elle n’élude aucun sujet, de la prise de drogue à la décision de choisir d’être en couple libre. «Dire que j’ai lancé un pavé dans la mare est un euphémisme!», se marre-t-elle à raison. Son témoignage est en effet juste, mais sans concession.
Elle y parle d’abord d’elle-même et de ce qui la travaille, de cette quête éprouvante et tortueuse pour guérir, se retrouver. Mais son cas touche à l’universel quand elle évoque sa résilience, sa volonté d’émancipation, sa vulnérabilité, la complexité de la sexualité (et de la vie à deux), le poids de la société et du regard des autres face au plaisir et ce que l’on attend des femmes…
Impénétrable est surtout l’autoportrait d’une jeune femme en quête de sensations, et dans ce sens, le dessin se met à la hauteur des intentions. La couleur épouse les humeurs (le rose pour le malaise, l’orange vif du désir, le noir des injonctions…) et accompagne un trait libre, fluide qui, comme l’auteure, semble écouter son propre désir, parfois léger comme un cartoon, d’autres fois dur comme peut être la réalité. Au bout de 300 pages d’une mise à nu courageuse et remarquable, Alix Garin précise : «Au fond, ce récit n’est pas une histoire de sexe… C’est une histoire d’amour».
Impénétrable, d’Alix Garin.
Le Lombard.
L’histoire
Alix Garin raconte la reconquête de son corps et de son désir après avoir souffert de vaginisme pendant deux ans – un trouble sexuel qui rend impossible la pénétration. Pour guérir, elle va devoir affronter les injonctions, les normes, le passé. Surmonter aussi la culpabilité et la solitude qu’impose la société où ne pas faire l’amour est impensable et en parler, impossible. Au-delà du corps, elle interroge nos rapports au désir et au couple, dévoilant une quête de soi qui encourage à ne jamais se laisser abattre. Audacieux et optimiste, ce récit de guérison promet de ne pas être seulement le sien.
