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Avant la demi-finale de l’Eurovision : la (grande) histoire du (petit) Luxembourg


En 1965, France Gall remporte l'Eurovision pour le Luxembourg, avec une chanson de Serge Gainsbourg "Poupée de cire poupée de son". (Photos AFP)

Des rires et des larmes, des succès et des défaites, des langues et des chansons, des scandales et des records : le Luxembourg a une longue histoire avec l’Eurovision. Piqûre de rappel avant les retrouvailles ce mardi soir.

1955

Après la création en 1950 de l’Union européenne de radio-télévision (UER), rassemblant les radios et télédiffuseurs publics des principaux pays d’Europe de l’Ouest, l’idée d’un concours musical fait son chemin.

Le 19 octobre, ses membres, dont le Luxembourg, adoptent le concept d’un programme télévisé, diffusé en direct et en simultané par tous les diffuseurs participants. L’Eurovision est officiellement née.

1956

Tout premier concours en Suisse avec sept pays en compétition, chacun défendant deux chansons. La Française Michèle Arnaud est la première candidate du Luxembourg avec Ne crois pas et Les Amants de minuit.

On ne saura jamais à quelles positions elles se classeront, le résultat des votes n’ayant jamais été publié (sauf pour la vainqueure, la Suissesse Lys Assia).

1959

Pour la seule fois jusqu’à sa longue pause en 1993, le Luxembourg ne sera pas du concours, qui se déroule à Cannes en France. Les raisons restent à ce jour toujours mystérieuses. RTL (à l’époque Télé Luxembourg) le diffuse malgré tout.

1960

Camillo Felgen amène pour la première fois le luxembourgeois sur le plateau de l’Eurovision : So laang we’s du do bast (Tant que tu es là) termine à la dernière place. On le retrouvera deux ans plus tard, à domicile et en français ce coup-ci, avec la chanson Petit Bonhomme, qui remporte la médaille de bronze.

En 38 participations (en comptant celle de cette année), seule Marion Welter en 1992 (et un peu Modern Times l’année suivante) l’imitera en chantant dans la langue nationale avec Sou fraï (Si libre).

1961

Le Parisien Jean-Claude Pascal interprète dans un style très premier de la classe, chante les amoureux qui, pour fuir les regards inquisiteurs et les mauvaises langues, se réfugient dans leur amour.

Bingo! Et voilà le Grand-Duché qui débloque le compteur à succès. C’est plus tard que l’on apprendra que la chanson, Nous les amoureux, parlait en réalité de son homosexualité cachée.

1962

Vainqueur, c’est à son tour d’accueillir les festivités. La Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT) met les petits plats dans les grands au grand auditoire de la Villa Louvigny, qui brille de mille feux.

Un peu trop : la retransmission, animée par Mireille Delannoy, est gênée par de multiples coupures d’électricité, qui pénalisent les Hollandais de De Spelbrekers et moins la France : sa représentante Isabelle Aubret remporte le concours.

Autre fait notable : celui d’avoir choisi le clown Achille Zavatta pour animer la fin de soirée en attendant que le jury délibère. Une conclusion plutôt burlesque et cocasse, en musique bien sûr!

1965

Comment oublier le fameux épisode France Gall. Pas encore 18 ans, couettes et jupette à plis façon «yéyé», elle offre un vent de fraîcheur avec la chanson très pop Poupée de cire, poupée de son.

Un titre peu au goût de l’orchestre italien dirigé par Gianni Ferrio, qui n’aime ni son rythme va-t-en-guerre (inhabituel pour l’époque), ni l’attitude de son compositeur, Serge Gainsbourg qui, agacé, quitte Naples et rentre à Paris. Il laisse alors seule sa protégée : durant les répétitions, les musiciens tapent sur leur pupitre et huent la jeune femme.

Déstabilisée, elle gagne tout de même le concours, mais l’histoire ne s’arrête pas là : son petit ami de l’époque, Claude François, la quitte au téléphone parce que selon lui, elle a chanté faux. Et en coulisses, elle se fait gifler par la candidate anglaise, Kathy Kirby, qui considère la compétition truquée.

Autant dire que quand France Gall remonte sur scène pour son prix et rejouer sa chanson, ses larmes sont authentiques… Consolation tout de même : le morceau devient le premier grand succès international de l’Eurovision, et lance sa carrière comme celle de l’auteur-compositeur qui deviendra par la suite l’égérie des Bardot, Birkin, Deneuve et Adjani.

1966

Retour à l’auditorium de la Villa Louvigny avec Michèle Torr, alors 19 ans, comme représentante nationale, et la speakerine Josiane Chen aux commandes. L’orchestre de RTL, sous la direction de Jean Roderes, va subir les foudres de la délégation italienne et son candidat, Domenico Modugno (quadruple vainqueur de Sanremo tout de même).

Insatisfait des arrangements, il quitte les répétitions pour ne réapparaître que le soir du concours. Celui-ci se termine avec des rires, du fait de la confusion lors des votes dans les fuseaux horaires. «Good morning, Luxembourg!».

Le Luxembourg à l’Eurovision

5 succès (1961, 1965, 1972, 1973, 1983)

0 fois second

2 fois troisième (1962, 1986)

3 dernières places (1958, 1960, 1970)

1 seul fois zéro point (1970)

4 Eurovision à domicile (1962, 1966, 1973, 1984)

31 années d’absence (1993-2024)

8 représentants natifs du pays depuis 1956 : Camillo Felgen, Chris Baldo, Monique Melsen, Sophie Carle, Gast Waltzing (Park Café), Sarah Bray, Marion Welter et la groupe Modern Times

2 1/2 chansons chantées en luxembourgeois  : So laang we’s du do bast (1960), Sou fraï (1992)… et une strophe sur Donne-moi une chance (1993)

76 points donnés par le Portugal au Luxembourg entre 1975 à 1993, son plus fidèle soutien

123 points attribués par le Luxembourg au Royaume-Uni sur la même période, son concurrent préféré

14 artistes ayant représenté le Luxembourg sont français

10 titres de chanson portent le mot «amour» ou de la même famille (dont un en anglais)

1970

C’est David Alexandre Winter le candidat du Luxembourg, et il n’est autre que le futur papa de la chanteuse et actrice Ophélie Winter, qui naîtra quatre ans plus tard. Il sera aussi le premier (et le seul) représentant national à finir avec un zéro pointé. De quoi «tomber du ciel» en effet.

1972

Et de trois pour le Luxembourg grâce à Vicky Leandros, chanteuse grecque d’une vingtaine d’années. Elle était déjà présente en 1967 pour défendre le pays avec L’Amour est bleu, premier succès qui va lancer sa carrière et finir à la quatrième place.

Plus sûre de son talent, elle décroche là la timbale avec Après toi, titre coécrit avec son père qui va l’affirmer aux yeux du monde entier. Il devient l’un des plus grands succès commerciaux du concours, enregistré en sept langues et vendu à six millions d’exemplaires. Bon, Waterloo n’est pas encore arrivé…

En 1972, la chanteuse grecque Vicky Leandros, remporte à son tour l’Eurovision pour le compte du Luxembourg avec sa chanson « Après toi ». (Photo AFP)

1973

Une drôle d’année, à double titre. D’abord parce que la jeune Anne-Marie David coiffe sur le poteau les favoris de la soirée, le Britannique Cliff Richard et les Espagnols de Mocedades, pour offrir un quatrième sacre au Luxembourg avec un score de 129 votes sur 160 possibles, soit plus de 80 % du meilleur résultat possible (record qui tient toujours, tous systèmes de vote confondus).

Ensuite parce qu’en raison de la participation d’Israël dans un contexte politique très chaud (l’attentat de Munich l’année précédente), les mesures de protection furent considérablement renforcées, transformant le Grand Théâtre en véritable bunker. L’histoire dit que l’on conseilla au public de rester assis, notamment durant les applaudissements, parce que les services de sécurité avaient la gâchette sensible…

1974

Le Luxembourg, qui se sent incapable d’accueillir deux éditions de l’Eurovision à la suite (pour des raisons financières et logistiques), file le bébé à la BBC et à la ville de Brighton. Si Ireen Sheer, la candidate grand-ducale d’origine anglaise, ne finit que quatrième, elle sera toutefois aux premières loges pour assister au sacre du groupe ABBA, quatuor suédois encore peu connu qui allait bientôt marcher sur le monde.

1978

En pleine fièvre disco, le Luxembourg s’attache les services d’un duo à ses yeux gagnant : Mayte Mateos et María Mendiola, réunies sous le nom de Baccara et auteures à l’époque de deux «hits» (Yes Sir, I Can Boogie et Sorry, I’m a Lady). Problème : le règlement exige qu’elles chantent dans l’une des langues nationales.

Les deux Espagnoles choisissent le français, qu’elles maîtrisent mal. Du coup, le public se demande si leur chanson Parlez-vous français? s’adresse d’abord à elles-mêmes. C’est vrai que l’on n’y comprend pas grand-chose. Au bout, malgré tout, une septième place honorable.

1980

Coup de fraîcheur sur l’Eurovision avec les sœurs jumelles Sophie et Magaly et leur titre Papa Pingouin. Avec cet hymne à l’enfance, le Luxembourg termine neuvième. Les deux sœurs, elles, en vendent plus d’un million, rien qu’en France.

1981

Pour célébrer le vingtième anniversaire de sa première victoire, RTL à l’idée de réinviter Jean-Claude Pascal, 54 ans. Mais à Dublin, il finit seulement en onzième position avec un titre à la syntaxe délicate, C’est peut-être pas l’Amérique.

1983

Après avoir loupé sa sélection pour la France, Corinne Hermès rectifie le tir avec le Luxembourg et lui offre, grâce à sa puissante voix, son cinquième et dernier succès avec la chanson Si la vie est cadeau.

Le Grand-Duché devient cette année-là le pays totalisant le plus grand nombre de victoires (à égalité avec la France, devant les Pays-Bas et le Royaume-Uni).

1984

Dernier Eurovision à domicile au Grand Théâtre, où s’était déjà tenu le concours en 1973. Pour la peine, le public huera (une première!) le groupe anglais Belle and the Devotions, peut-être pour rappeler que quelques semaines avant, des hooligans britanniques mirent à sac la Ville de Luxembourg après un match de football.

Sur scène, la présentatrice d’à peine 19 ans, Désirée Nosbusch, montre alors tous les bienfaits du cosmopolitisme avec un discours en plusieurs langues, sans répétition ni traduction, commençant une phrase en français, la continuant en allemand pour la finir en anglais ou en luxembourgeois. Les professeurs de langues vivantes ont apprécié.

1985

Avec six chanteurs et chanteuses – Margo, Franck Olivier, Diane Solomon, Ireen Sheer, Chris et Malcom Roberts – le Luxembourg détient toujours le record du plus long nom d’artiste de l’histoire du concours. Mais comme l’Eurovision n’est pas le Scrabble, ils n’obtiennent que 37 points, et finissent treizième.

1987-88

La participation de Plastic Bertrand, pour qui ça ne «plane» plus tant que ça, et celle de Lara Fabian l’année suivante, star en devenir, rappelle que le Luxembourg s’est régulièrement appuyé sur les pays frontaliers, comme en 1963 avec Nana Mouskouri ou en 1964 avec Hugues Aufray. Ce sont les derniers à confirmer cette vieille habitude.

1993

En dehors de la Française Céline Carzo en 1990, le Luxembourg privilégie dès lors les artistes nationaux, avec des résultats désastreux à la clé : Park Café (avec Gast Waltzing à la trompette) finit vingtième en 1989, Sarah Bray quatorzième (1991) et Marion Welter vingt-et-unième (1992). Le coup de grâce arrive l’année suivante avec Modern Times qui ne fait pas mieux que ses comparses : onze points et une place dans les cinq derniers.

Problème : l’arrivée massive des pays de l’Est oblige l’UER à mettre en place un système de relégation basé sur les résultats de l’année suivante. Le Grand-Duché voit l’édition de 1994 se refuser à lui. RTL arrête alors les frais, motivant ses choix en raison d’une grille de programme difficilement ajustable et un coût trop élevé, pas compensé par les sponsors. Après 37 participations, le Luxembourg jette l’éponge.

2023

En pleine édition à Liverpool, le Premier ministre Xavier Bettel évoque un éventuel retour du Grand-Duché à l’Eurovision, relayé par le Conseil de gouvernement de l’époque qui acte son soutien (moralement et financièrement), y voyant «une opportunité idéale pour renforcer l’esprit européen et international», appuyer «le développement du secteur culturel» et imaginer des «retombées touristiques».

Un peu plus d’un million d’euros est déboursé pour que le Luxembourg retrouve l’Eurovision. RTL, à qui incombe de choisir le processus de sélection, préfère la mise en place d’un concours plutôt qu’une désignation directe. L’appel à candidatures, lancé le 3 juillet, cartonne, et cinquante demi-finalistes se retrouveront fin novembre à la Rockhal pour en découdre.

2024

Le 27 janvier, ils ne sont plus que huit à monter sur l’imposante scène érigée dans la Rockhal pour la finale du Luxembourg Song Contest : Angy & Rafa Ela avec la chanson Drop, CHAiLD (Hold On), Naomi Ayé (Paumée sur terre), le groupe One Last Time (Devil in the Detail), EDSUN (Finally Alive), Joel Marques (Believer), Krick (Drowning in the Rain) et Tali (Fighter).

Devant 1 600 personnes et au cours d’un show haut en couleur, c’est cette dernière qui l’emporte, en deux tours, avec 178 points devant Krick (165) et Joel Marques (136). Place à Malmö !

Tali a électrisé le public de la Rockhal avec sa chanson « Fighter ». (Photo : Vincent Lescaut)

CE MARDI

À 21 h, la première demi-finale se déroule. Quinze candidats pour seulement dix places en finale de samedi. Dans l’ordre de passage : Chypre, Serbie, Lituanie, Irlande, Ukraine, Pologne, Croatie, Islande, Slovénie, Finlande, Moldavie, Azerbaïdjan, Australie, Portugal et Luxembourg.

Seize autres pays remettent ça demain lors de la seconde demi-finale. Samedi, ils seront 26 en finale (vingt qualifiés et six qualifiés d’office – le Royaume-Uni, l’Italie, la France, l’Espagne, l’Allemagne et la Suède, pays organisateur).

Quid de 2025?

Que se passerait-il si Tali était éliminée en demi-finale ce soir ? Ou si elle gagnait la grande finale quatre jours plus tard ? Apparemment, aucun résultat n’entamerait la participation du Luxembourg à l’édition 2025, selon David Gloesener, responsable des programmes à RTL Radio et en charge de l’Eurovision.

«Une élimination prématurée de Tali serait triste», dit-il, mais le succès ne se limite pas à cela, notamment après la réussite du Luxembourg Song Contest (en termes d’audience, de participation…). «Notre objectif était clair : emmener tout le pays avec nous. On y est parvenus», précise-t-il, sachant qu’un tel évènement est «toujours intéressant pour une station comme la nôtre».

Financièrement, selon une participation conçue de manière économiquement neutre («on ne gagne pas d’argent, mais on n’en perd pas non plus»), RTL reste dépendant du «feu vert» de l’État, suivant une convention qui les unit (reconduite tacitement, sauf si un des deux partenaires se retire).

«On a appris des choses qui nous serviront l’année prochaine. On a déjà dans l’idée de changer quelques trucs», précise-t-il. Et en cas de victoire samedi, impliquant d’organiser l’Eurovision 2025 à domicile, «dès lundi, au plus tard, on aurait sûrement une réunion pour voir comment réagir à cela».

Mais une nouvelle fois, tout tiendra à la «décision du gouvernement» de supporter ou non ce projet-là. «Si c‘est le cas, on trouvera des solutions.»