Arbuste très à la mode dans nos jardins, le laurier-cerise est pourtant une espèce exotique envahissante qui commence à coloniser les forêts. Tiago De Sousa, chargé de mission à l’ANF, expose le problème.
Chargé d’étude à l’administration de la Nature et des Forêts (ANF), Tiago De Sousa nous a donné rendez-vous dans un quartier comme il y en a des dizaines dans le pays. Des maisons libres des quatre côtés, des jardins joliment entretenus et, juste derrière, une forêt bien pratique pour aller promener les chiens. Il se trouve que nous sommes à Bridel, mais nous pourrions être à peu près n’importe où au Grand-Duché.
Dans ces jardins, on aperçoit très souvent des lauriers-cerises, seuls ou en bosquets, taillés pour modeler des parterres ou former des haies denses. «Cette espèce est très populaire puisque ses feuilles restent vertes toute l’année», explique le biologiste. On la voit depuis longtemps, les pépiniéristes en vendent beaucoup et tant les sites spécialisés que les émissions de jardinage à la télévision vantent sa robustesse, sa croissance rapide et son esthétisme.
Comme si le laurier-cerise avait tout pour plaire, sauf qu’il s’agit d’une espèce invasive qui colonise de plus en plus les espaces naturels, au détriment de la faune et de la flore locales.
Il suffit de marcher une dizaine de mètres dans la forêt pour repérer les premiers. Certains sont encore petits, d’autres nettement plus grands. «Ils essaiment grâce aux oiseaux qui mangent les fruits dans les jardins et transportent les graines dans leurs excréments», avance Tiago De Sousa. Et comme les feuilles sont toxiques, elles ne sont pas mangées par le gibier qui préfère les jeunes pousses de chêne, justement les arbres que l’on cherche à favoriser dans le cadre de la régénération des forêts, vieillissantes au Luxembourg.
88 plantes déjà interdites
La croissance rapide du laurier-cerise bouleverse les écosystèmes forestiers. «Beaucoup d’espèces locales s’installent dans les espaces un peu plus clairsemés, où le soleil pénètre plus facilement. Mais avec le laurier-cerise qui reste vert même en hiver et qui pousse vite, l’accessibilité au soleil diminue. En conséquence, ces espèces comme l’ail des ours ou le muguet deviennent de plus en plus rares», relève le spécialiste.
On pourrait croire le problème superflu, il ne l’est pas. Toutes ces plantes à fleurs qui disparaissent causent la perte des pollinisateurs qui, eux, nourrissent oiseaux et chauves-souris : c’est tout le cycle naturel qui est ainsi menacé. «Les espèces exotiques envahissantes animales et végétales représentent un problème global. L’IPBES (NDLR : le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, surnommé le GIEC de la biodiversité) estime qu’elles participent à 60 % de l’extinction des espèces. Les scientifiques ont chiffré leurs dégâts à 460 milliards de dollars. Ces espèces perturbent l’agriculture, imposent de grands nettoyages (par exemple celui des moules qui colonisent les systèmes de refroidissement des centrales nucléaires)…»
Que fait-on pour endiguer le phénomène? «L’échelle nécessite des réponses qui dépassent celles des nations, fait remarquer Tiago De Sousa. On pourrait interdire de vendre les lauriers-cerises dans les jardineries luxembourgeoises, mais si elles restent accessibles dans celles des pays voisins, on ne résoudra pas le problème.»
Pourtant, 88 autres plantes sont toutefois déjà interdites par la législation européenne. On ne peut ni les acheter, ni les échanger, ni les planter dans l’Union. Alors pourquoi pas le laurier-cerise? «D’une part, les producteurs de plantes sont un petit lobby efficace et, d’autre part, plusieurs pays membres ne veulent plus de mises à jour pour allonger la liste, avance-t-il. Ils partent du principe qu’ils n’arrivent pas à appliquer les règles pour celles qui sont déjà interdites et qu’en rajouter n’a donc pas d’intérêt…»
Alors les préposés forestiers ont du pain sur la planche. Régulièrement, ils vont arracher des lauriers-cerises dans les forêts du pays. «Il faut le faire sans tarder, assure le biologiste. Plus on attend, plus il est compliqué et cher de les enlever et plus les problèmes qu’ils causent sont graves et difficilement réversibles.» Le manque de volonté politique européen n’empêche pas d’agir sur le terrain.
Bien sûr, pour éviter l’invasion, l’idéal serait de s’en passer dans les jardins. Tiago De Sousa conseille pour les remplacer de préférer «les hêtres et les charmes qui gardent eux aussi leurs feuilles en hiver et qui sont des espèces locales».
Les espèces exotiques envahissantes participent à 60 % de l’extinction des espèces
Aidez l’ANF grâce à une app
Plus les nouvelles colonies de lauriers-cerises qui s’implantent en forêt sont éradiquées tôt et plus l’invasion peut être jugulée. Mais comme le personnel de l’ANF ne peut pas être partout, l’Administration de la nature et des forêts fait appel à la population pour l’aider. «Avec l’app iNaturalist, vous pouvez prendre une photo de la plante qui vous proposera son identification la plus probable, explique Tiago De Sousa. La photo est géolocalisée et si l’espèce est bien validée par des experts, elle est cartographiée et nous pouvons aller sur place pour l’enlever.» Une fiche détaillant les principaux critères de reconnaissance du laurier-cerise est consultable sur le site emwelt.lu. Une nouvelle brochure sera également publiée dans les prochains jours.
Carte d’identité
NOM : Tiago De Sousa
ÂGE : 36 ans
POSTE : Chargé d’étude à l’Administration de la nature et des forêts
PROFIL : Titulaire d’un master en écologie, avec une spécialisation en observation et restauration des écosystèmes, Tiago De Sousa a rejoint l’ANF en 2013.