Ouverte aux résidents, aux frontaliers et aux étrangers, l’élection de la Chambre des salariés devrait peser lourd dans la vie démocratique luxembourgeoise. Or, elle peine à mobiliser.
Avec 617 000 électeurs appelés aux urnes cette année – plus du double par rapport aux législatives – l’élection de la Chambre des salariés (CSL) est, sur le papier, la plus importante du pays. Mais sur le papier seulement.
Dans les faits, moins d’un tiers des travailleurs exercent leur droit de vote. En 2019, sur 526 476 électeurs, à peine 171 740 avaient pris la peine de remplir et de renvoyer leur bulletin.
Dommage, car c’est – de loin – le scrutin le plus démocratique du Luxembourg, ouvert sans distinction aux résidents, aux frontaliers et aux étrangers. Et c’est peut-être là que se trouve justement l’origine de ce manque d’engagement.
Un modèle électoral compliqué et méconnu
«Notre modèle des chambres professionnelles est quasiment unique au monde. Les frontaliers et les résidents étrangers ne le connaissent pas du tout», souligne Christophe Knebeler, secrétaire général adjoint du LCGB et membre de la CSL.
«Ils se demandent pourquoi participer à une élection alors qu’ils n’habitent pas au Luxembourg, ou alors confondent les élections des délégués du personnel en entreprise et celles de la Chambre des salariés», poursuit-il.
C’est aussi une question de culture, fait-il remarquer : «En France, l’abstention est très forte lors d’une élection, alors qu’au Grand-Duché ou en Belgique, le vote est obligatoire.»
Une hypothèse qui se vérifie dans les chiffres dont dispose la Chambre des salariés : «On voit que ce sont majoritairement des Luxembourgeois qui votent, tandis que les Lorrains sont ceux qui participent le moins», indique Jean-Claude Reding, vice-président de la CSL et membre de l’OGBL.
Des milliers de bulletins non valides
Sans compter la complexité du mode électoral qui ajoute une barrière supplémentaire puisque, parmi les bulletins de vote qui parviennent au bureau électoral, beaucoup comportent des erreurs.
Lors du dépouillement en 2019, ce sont ainsi 13 525 bulletins qui n’avaient pas pu être comptabilisés, considérés comme nuls. «Au moment de remplir leur bulletin de vote, les Belges, familiers des listes et du panachage, s’en sortent encore, mais les Français sont totalement perdus», confirme Christophe Knebeler.
Un contexte de défiance
Parallèlement à ces freins, Jean-Claude Reding cite également le contexte de défiance vis-à-vis de la politique : «Je ne me fais pas d’illusion quant au taux de participation à ce scrutin, vu le moment démocratique difficile que nous traversons.»
«On assiste à un certain désengagement électoral», déplore l’ex-président de l’OGBL.
La sidérurgie plus mobilisée que les services
Seuls certains secteurs se mobilisent encore fortement, comme la sidérurgie ou l’industrie, berceaux des luttes syndicales. Au contraire, les travailleurs de la branche tertiaire, eux, affichent le plus haut degré de désintérêt : seulement 24% d’entre-eux avaient pris part aux dernières élections de la CSL.
«Le groupe 5, qui représente les services, est vraiment vaste. Les électeurs ont du mal à s’identifier à des candidats qui font un travail très différent du leur», rapporte Christophe Knebeler, ajoutant que les salariés hautement qualifiés se sentent davantage capables de défendre leurs droits, et se mobilisent moins aux élections sociales.
150 000 nouveaux électeurs à convaincre
Autre problème de taille lié au gonflement du marché du travail luxembourgeois : tous les cinq ans, le nombre d’électeurs disposant du droit de vote augmente, et le travail de pédagogie mené par la CSL doit reprendre à zéro.
«À chaque nouvelle élection, le nombre d’électeurs grimpe. Et malgré nos efforts, le taux de participation stagne», regrette Christophe Knebeler.
«Avec la forte rotation des travailleurs, cette année, on se retrouve face à un quart de nouveaux électeurs qui ne connaissent pas le système», précise Jean-Claude Reding, soit plus de 150 000 personnes à informer. Un véritable défi.
Seul le travail de terrain, directement auprès des salariés, s’avère efficace, selon eux. Encore faut-il que les syndicats disposent d’une délégation pour relayer le message dans les entreprises.
30% des travailleurs syndiqués
Or, plus de la moitié des représentants du personnel au Grand-Duché ne sont affiliés à aucun syndicat.
«Au Luxembourg, près de 30% des travailleurs sont syndiqués. Ce qui est assez important comparé à d’autres pays, mais ça reste un tiers. Le même tiers qui vote aux élections de la CSL? On peut se poser la question», conclut Jean-Claude Reding.
Le défi de l’information
Salariés, apprentis, retraités, demandeurs d’emploi, résidents, frontaliers, étrangers : les 617 000 électeurs de la Chambre des salariés forment un groupe hétérogène difficile à cibler en communication. «Face à un électorat aussi divers, l’information devient un vrai défi», selon Christophe Knebeler et Jean-Claude Reding.
D’où un budget de campagne publicitaire revu à la hausse (+30%) par rapport à 2019. «Nous diffusons des annonces partout, même à l’étranger, au Portugal par exemple, où vivent des milliers de retraités du Luxembourg. Sans parvenir pour autant à toucher tout le monde».
«De grands chantiers s’annoncent»
La CSL doit combler son déficit de votants si elle veut incarner une force puissante aux négociations tripartites.
Pour aller chercher plus de suffrages parmi ses électeurs, la Chambre des salariés utilise tous les moyens à sa disposition. «On informe les délégués syndicaux qui assurent ensuite le relais au sein des entreprises», explique Jean-Claude Reding.
«On sensibilise aussi les 12 000 travailleurs que nous recevons en formation continue chaque année, tout comme les jeunes des filières professionnelles. Mais la plupart sont résidents, ça ne résout pas le problème des frontaliers.»
En parallèle, la CSL développe sa présence en ligne, notamment à travers une série de newsletters, et a dopé son budget de campagne.
Réforme fiscale, réforme des pensions
Des efforts à tous les niveaux, tournés vers un objectif : faire de la CSL une assemblée légitime, la plus représentative possible du monde du travail, pour incarner une force puissante lors des réunions tripartites.
«Comité de conjoncture, sécurité sociale, discussions avec le gouvernement : le modèle luxembourgeois nous place à la table de toutes les négociations au niveau national», fait valoir le vice-président.
Il rappelle aussi le rôle majeur des élus de l’assemblée plénière ces cinq prochaines années dans la défense des droits des travailleurs : «Réforme fiscale, réforme des pensions, droit des conventions collectives, de grands chantiers s’annoncent.»
«D’ailleurs, sur ces sujets, notre travail de préparation avec nos experts a déjà démarré», glisse-t-il, ajoutant que les problèmes liés à la santé mentale constitueront un axe important.
Pour le reste, il reviendra aux membres de la nouvelle assemblée de déterminer leurs priorités.