Que s’est-il passé à Remich le 24 novembre 2020? Les protagonistes de l’affaire brouillent les pistes. Le parquet s’est appuyé sur les éléments du dossier pour développer sa théorie.
Le procès sous haute surveillance d’un ancien membre «d’une des plus importantes organisations criminelles d’Europe» a repris hier après-midi face à la 12e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Aldo, un Albanais de 33 ans, est accusé d’avoir tiré sur un de ses compatriotes le soir du 24 novembre 2020 en pleine rue à Remich avant de fuir en Albanie. En novembre dernier, il avait expliqué avoir craint pour sa vie : «Un Albanais pour lequel j’ai été en prison en Italie me cherchait au Luxembourg. Il s’est renseigné sur mon compte au café Seven» sur l’Esplanade. «Toutes mes histoires avec la justice sont liées les unes aux autres.»
Le soir des faits dont il est accusé, «un homme que je ne connaissais pas est apparu à la vitre du café et m’a fait signe de le suivre à l’extérieur. (…) Je me suis retrouvé face à un groupe de personnes.» L’un d’eux aurait brandi un couteau avec une lame «de 20 ou 25 centimètres». Impressionné, Aldo raconte avoir tiré en l’air puis avoir poursuivi l’homme qui l’avait invité à sortir après que le groupe s’est dispersé. «Endrit (NDLR : sa victime présumée) et un autre homme sont arrivés derrière moi. J’ai vu qu’Endrit essayait de sortir quelque chose de sa manche», avait indiqué le prévenu en novembre dernier. «Je me suis tourné et j’ai tiré au sol dans sa direction pour lui faire peur. Je n’ai pas compris sur le moment que je l’avais touché.» Une balle a traversé la chaussure d’Endrit et une autre son mollet.
Les débats avaient ensuite été interrompus pour permettre à son avocat, Me Stroesser, de pouvoir consulter les 134 GB d’images de vidéosurveillance de la scène avant de préparer sa plaidoirie. Une pause qui a également permis à Me Rollinger de préparer la défense d’Eftjona, accusée d’avoir fourni l’arme à Aldo et de lui avoir ainsi permis de commettre sa tentative d’assassinat ou de meurtre, après que son ADN a été découvert sur le chargeur ainsi que sur une douille.
« Il y a trop de choses étranges »
Aldo a déclaré à la barre avoir fait l’objet d’un règlement de compte ou d’un guet-apens et ne pas comprendre pourquoi l’homme qui l’a menacé n’est pas poursuivi. «Je prends mes responsabilités, je ne veux pas en faire un drame, mais tout le monde doit payer», accuse-t-il en anglais, refusant l’assistance d’un traducteur. «Il y a trop de choses étranges.» Le témoin principal était, selon lui, un ami des personnes qui lui en voulaient et le personnel du bar se serait, selon le prévenu, empressé de faire disparaître des preuves éventuelles avant l’arrivée de la police.
Le prévenu assure avoir été piégé par sa victime présumée. La police n’y aurait vu que du feu. «La lumière ne sera probablement jamais faite sur les faits», a estimé la représentante du ministère public qui s’est fait sa propre idée de l’affaire. Et, il fallait s’en douter, elle ne correspond en rien à celle du prévenu. Pour la magistrate, les protagonistes «ont pu accorder leurs violons» au cours de la détention préventive d’Aldo. Sans compter les variations dans leurs déclarations au fur et à mesure de l’enquête et de l’instruction. Aldo mise sur son CV criminel pour se disculper, mais le parquet ne s’est pas laissé émouvoir.
Sa représentante étaye son propos. Le dossier répressif n’apporte pas de preuve de l’agression dont le jeune homme prétend avoir été victime et qui l’aurait poussé à tirer sur sa victime présumée. L’origine de la blessure d’Aldo à la cuisse ne peut avec certitude, selon le médecin légiste, être attribuée à un coup de poignard reçu ce soir-là. Quant à la conversation téléphonique entre certains protagonistes tendant à appuyer la version du prévenu, «elle a pu être créée pour les besoins de la cause».
La magistrate a finalement conclu à une tentative de meurtre, «aucun élément ne permet de conclure à la préméditation», donc à la tentative d’assassinat, et a requis une peine de 12 ans de prison à l’encontre d’Aldo «après avoir dû chercher pour trouver des circonstances atténuantes». «C’est un heureux hasard que les blessures infligées à la victime présumée n’aient pas été plus graves», a rappelé la représentante du ministère public en citant la médecin légiste. À un heureux hasard ou à une arme et à des munitions peu précises, au fait que les deux hommes étaient en mouvement et que le prévenu avait consommé de l’alcool et de la drogue, ainsi qu’au fait que «le prévenu prétend avoir été le comptable de l’organisation criminelle et donc pas un excellent tireur, à moins qu’il s’agisse d’une erreur de traduction», égraine-t-elle.
Elle a également coupé l’herbe sous les pieds d’Aldo et son avocat en balayant l’argument de légitime défense ainsi que l’excuse de provocation. «Si Aldo s’est senti menacé, il ne lui était pas nécessaire d’affronter la personne qui lui a demandé de sortir du bar ou ses acolytes», a-t-elle entre autre avancé, précisant que la riposte n’était pas proportionnée à l’attaque.
Une peine de 6 mois de prison et une amende 5 000 euros a été demandée à l’encontre de la jeune femme qui lui avait fourni le pistolet de marque Glock qui lui a permis de commettre les faits. La parquetière a conclu qu’elle n’avait pas fourni l’arme en connaissance de cause à Aldo et l’a jugée «coupable d’importation, de détention et de cession d’arme».
Les débats se poursuivront ce matin avec les plaidoiries de la défense.
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