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Rakajoo, boxeur, peintre et autodidacte


Autodidacte acharné, Baye-Dam Cissé, alias Rakajoo, est boxeur et peintre. À Paris, le Palais de Tokyo lui consacre une première exposition en solo.

Une dizaine de toiles colorées, figuratives et allégoriques, au style sûr, mêlent personnages et lieux de vie urbains, intégrant des images animées. Elles voisinent avec des planches de la BD Entre les cordes, à paraître chez Casterman, et des portraits, dont celui de la mère de l’artiste, décédée en 2019.

Lui, c’est Rakajoo, alias de Baye-Dam Cissé, 37 ans, qui conçoit son travail d’artiste comme un «parcours de vie temporel et géographique, dans lequel chacun doit pouvoir trouver ses propres références», explique le natif de Saint-Denis, en région parisienne, qui s’est heurté à nombre d’obstacles.

Son surnom, signifiant «tête de mule» en wolof – la principale langue parlée au Sénégal –, lui «correspond bien» car «tout est accessible à celui qui le souhaite réellement», dit-il d’une voix posée au Boxing Beats, club de boxe d’Aubervilliers où il s’entraîne quotidiennement pour les championnats de France de boxe anglaise. Découvert «par hasard», c’est devenu son «temple de l’esprit», avec «le Sacré-Cœur, le Louvre et le musée d’Orsay» où il se rendait «gratuitement» adolescent pour se «libérer l’esprit».

À 9 ans, Rakajoo, qui dessine «tout le temps», atterrit avec sa mère, son frère et sa sœur dans un logement de 24 m2 du 18e arrondissement de Paris, à la suite d’une expulsion de Seine-Saint-Denis. Souvent dehors, il va «voir les peintres de Montmartre et les musées, se passionne pour la peinture», mais il est aussi «très en colère» et ne «comprend pas» pourquoi sa famille vit dans ces conditions, «avec des toxicos dans la cage d’escalier et (sa) mère qui envoie tout son argent au bled», se souvient-il.

En classe de troisième, il souhaite s’orienter vers les arts appliqués, on lui conseille de «dessiner des circuits électroniques». Après un «bac techno», il se heurte encore à des refus, et intégrer une école d’art coûte «trop cher». «Je refusais de subir les choix des autres, alors je me suis pris en main», poursuit celui que ses proches décrivent comme «curieux», «perfectionniste» et d’une «incroyable persévérance».

Au Boxing Beats, Rakajoo a «canalisé (sa) colère» et «appris à (se) discipliner en allant au bout des choses». C’est son «mentor et entraîneur», Saïd Bennajem (qui fut celui de Sarah Ourahmoune, médaillée d’argent aux JO de Rio 2016), qui lui passe sa toute première commande de peinture en 2007 : une fresque sur la boxe pour la salle. «J’ai pu me projeter au-delà du ring en m’étalant sur les murs», un espace aux dominantes rouges et noires, où son portrait de l’icône Mohamed Ali saute aux yeux.

Ce projet, financé par la fondation d’Arnaud Lagardère, le propulse dans le monde du travail : il travaille dans le cinéma d’animation puis fonde une start-up d’applications sur sur mobile, dans laquelle il ne se reconnaît pas. Parallèlement, résolu à persévérer en peinture, il s’est reconnecté au Sénégal, pays de ses ancêtres, où on le considère malgré tout «comme un Blanc, avec le cul entre deux chaises». À Paris, il organise des expositions avec un collectif : «Français noir, ni Africain d’Afrique ni Afro-Américain, je ne rentre pas non plus dans les cases du monde de l’art institutionnel», regrette-t-il.

Son salut viendra de l’école Kourtrajmé, fondée par le réalisateur Ladj Ly à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, dont il intègre la section «Art et Image», créée par le photographe et «street artist» JR. Cette formation rapide et gratuite, s’adressant à de jeunes talents n’ayant pas eu accès aux écoles d’enseignement supérieur, fait naître en lui «l’essentiel : un sentiment d’appartenance à une histoire collective», dit-il.

Exposé avec l’école au Palais de Tokyo, où il peint sur les violences policières, il est repéré par la galeriste Magda Danysz, figure de proue de l’art contemporain et urbain, qui lui propose de le représenter. Aujourd’hui, Rakajoo dit vivre de son art et avoir trouvé «l’équilibre». Il rêve de fonder à son tour au Sénégal «un sanctuaire avec des animaux, qui soit aussi un espace éducatif protégé». En attendant, il est de retour en solo au Palais de Tokyo, avec l’exposition «Ceinture Nwar», visible jusqu’au 7 janvier.

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