Des peines allant de 24 mois à 18 ans de prison ont été réclamées par le parquet, qui conclut à l’organisation de malfaiteurs dans l’affaire Bari au terme de six heures de réquisitoire.
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À procès exceptionnel, dispositif exceptionnel. Depuis le 18 avril, la 16e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg toise une vaste et complexe affaire de trafic de drogue et de blanchiment d’argent, l’affaire dite Bari, du nom de la ville d’origine des principaux protagonistes en Italie. Une vingtaine de personnes sont accusées à différents niveaux et deux procureurs se sont partagé depuis mardi après-midi le réquisitoire à leur encontre. Un des magistrats s’est concentré sur le volet des stupéfiants et l’autre sur le blanchiment du produit du trafic.
Après avoir résumé les faits pendant six heures, ils ont égrené les peines encourues par les protagonistes pour des infractions rendues, selon eux, possibles grâce à la structure formée autour du principal inculpé. Les magistrats considèrent que ce dernier se serait «trouvé au centre du carrefour qui reliait tous les acteurs entre eux». L’ensemble des prévenus, par «leurs liens non équivoques» avec le principal accusé qui a créé et dirigé le réseau, lui auraient «consciemment apporté leur aide», constituant de ce fait une organisation de malfaiteurs. À l’exception de l’un d’entre eux. À l’origine d’une fausse facture, il encourt une peine de 24 mois de prison et une amende appropriée.
Des peines de prison ferme
Le parquet requiert une peine de 18 ans de réclusion, une amende de 250 000 euros et une interdiction de conduire de 8 ans contre le chef présumé du réseau; une peine de 14 ans de réclusion, une amende de 100 000 euros et une interdiction de conduire de 8 ans contre son bras droit présumé; une peine de 14 ans de réclusion, une amende de 250 000 euros et une interdiction de conduire de 6 ans contre la compagne du chef présumé; et une peine de 4 ans de réclusion et une amende contre la compagne du bras droit présumé. L’homme qui a, entre autres, loué le garage de Leudelange et établi de faux contrats de travail encourt une peine de 16 ans de réclusion, une amende de 250 000 euros et une interdiction d’exercer une profession dans le secteur immobilier pendant 5 ans.
Les six prévenus apparaissant au dossier comme des fournisseurs encourent des peines de réclusion de 16, 14 et 12 ans assorties d’amendes et d’interdictions de conduire de 4 à 6 ans. Trois des quatre revendeurs présumés encourent des peines de 11 ans de réclusion assorties d’amendes et d’une interdiction de conduire de 4 ans. Le dernier risque 6 ans de prison, une amende et une interdiction de conduire de 4 ans. Enfin, le parquet requiert des peines de 12, 8 et 6 ans ainsi que des amendes allant de 100 000 à 200 000 euros et des interdictions d’exercer une profession dans le secteur immobilier pendant 5 ans contre les quatre personnes épinglées dans le cadre du volet concernant le blanchiment d’argent. Les deux sociétés écrans risquent des amendes de 200 000 et 500 000 euros.
«Un trafic organisé et structuré»
Tout a commencé par un tuyau livré à la police par un indicateur : un homme se livrerait à un trafic de stupéfiant dans le sud du Luxembourg et aurait mis en place «un système sophistiqué» pour blanchir les fonds issus de ces ventes. La police y a mis un terme le 10 novembre 2020 après dix-huit mois d’une enquête méticuleuse lors de laquelle «tout un arsenal de moyens d’investigation» – dont un policier infiltré – a été mis en place pour «dégager une masse de preuves d’envergure» et en «tirer des conclusions irréfutables», a rappelé un des magistrats du parquet mardi.
Le principal accusé se serait livré à «un trafic organisé et structuré» depuis une dizaine d’années et au moins depuis octobre 2017 au Luxembourg. La marijuana et la cocaïne auraient été livrées, stockées et préparées à Leudelange et à Kayl. Différents fournisseurs venaient de Belgique ainsi que des Pays-Bas. L’acte d’accusation retient 7 332 remises à 124 clients réguliers au moins. La plupart étaient effectuées sur rendez-vous par la tête du réseau lui-même ou par son bras droit et chauffeur. Pour «son assistance continue», le représentant du ministère public le retient comme coauteur des faits, de même que l’ancien bras droit, l’homme qui a fourni le garage de Leudelange, un vendeur et un chauffeur. Les compagnes de la tête du réseau et de son bras droit seraient complices.
«Des infractions de droit commun ont dû être commises pour blanchir l’argent issu de la vente de la drogue», note un des représentants du ministère public. Notamment par le biais «d’activités de façade» démontées par l’enquête. «La mesure d’infiltration a aussi été mise en place pour démontrer ces activités de blanchiment» après que «des enquêtes patrimoniales ont confirmé les soupçons des policiers», explique la magistrate.
Les faux «pour dissimuler l’origine illégale des fonds» sont légion dans le dossier. Faux contrats de travail, fausses factures, fausses fiches de salaire, faux compromis de vente et faux acte notarié, faux contrats de bail, faux contrats de ventes de voitures… Autant d’arrangements «pour s’approprier des fonds» découverts par les enquêteurs. Des faux qui auraient aussi permis la commission d’escroqueries pour obtenir des prêts bancaires, «simuler la solvabilité» ou obtenir des subventions.
Le procès hors normes se poursuivra dans les jours à venir avec les plaidoiries des avocats de la défense.