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[Le portrait] Ahmed Nouma, toujours pas dans l’annuaire


Ahmed Nouma. (photo Melanie Maps)

L’agent d’une grosse partie des internationaux luxembourgeois a grandement contribué, à sa manière, à la hausse du niveau de la sélection.

Il se rappelle ce jour où, à 25 ans, il a fébrilement dû fouiller dans un annuaire belge. Ahmed Nouma est alors ancien major de sa promotion dans sa ville de naissance à Sousse, en Tunisie, venu depuis quelques années en Wallonie pour suivre des études de management, mais aussi avant-centre – «un poste qui me procurait une jouissance absolue» – dans le club satellite de l’UR Namur et meilleur buteur de la province. Il a déjà passé les 20 ans depuis longtemps, mais il veut devenir footballeur pro. Un ami lui annonce que, pour ça, il n’est pas dans le bon bassin de population, qu’à Charleroi, Mons ou Liège, c’est-à-dire… ailleurs, ils ont déjà l’embarras du choix et qu’ils n’attendront pas après un petit Tunisien anonyme, si doué soit-il.

Mais qu’à cela ne tienne, Ahmed décroche son téléphone pour réclamer des essais. Et là, au milieu d’une foule d’interlocuteurs tous plus ou moins polis, il tombe sur un charmant monsieur, «un bon père de famille», à La Louvière, qui vient de monter en D1. Et qui lui balance cette phrase : «Jeune homme, ici, on ne travaille pas comme ça. On travaille avec des agents.»

Celui qui est actuellement le représentant de joueurs qui comptent le plus au Grand-Duché, celui dont le portefeuille est d’assez loin le plus international de tous, en reste comme deux ronds de flan : «C’était la première fois que j’entendais ce mot. Je connaissais les agents de police, les agents d’assurance, les agents de sécurité… Mais ça, non. Je ne savais pas que ça existait, agent de joueurs.» C’est un peu ce jour-là que le rêve a passé, parce qu’il n’a absolument rien trouvé dans cet annuaire. Le football est resté un simple plaisir et le boulot est devenu autre chose.

Ce que je devais devenir était criant !

Derrière, pour Ahmed Nouma, il y a le futsal dans le cadre de tournois d’équipes africaines avec «des joueurs au talent énorme», mais surtout un enchaînement de jobs dingues pour un homme qui possède un master et parle arabe, allemand, anglais, espagnol, français et luxembourgeois : l’hôtel cinq étoiles Golden Tulip à Bruxelles, l’hôtel Royal (réception, puis service réservation), le groupe de voyage d’affaires néerlandais BCD, un poste de responsable commercial chez Emile-Weber, puis chez Demy Schandeler, avant de conclure comme responsable de tout le marché africain, indien et moyen-oriental («J’ai même fait de la personnalisation très haut de gamme pour le cheikh de Dubai») chez Villeroy & Boch.

C’est pourtant autant le football que ses grosses compétences qui l’ont conduit au Grand-Duché, et encore plus à y prospérer. L’ancien coach de l’Union Luxembourg Rachid Belhout venait en effet de le repérer. Nouma, qui avait déjà refusé de suivre tous ses anciens copains d’études du côté de l’eldorado du Moyen-Orient pour privilégier sa vie de famille, lui dit non, mais l’a quand même laissé l’envoyer de l’autre côté de la frontière alors qu’il vivait à Arlon : il jouera à Hobscheid, Munsbach et Bertrange. «C’est cela, avec tous ces joueurs venus de plein de pays, qui m’a intégré dans la société luxembourgeoise.» Il finira quand même par entrer brièvement au comité du Racing aux côtés d’Alain Gross, mais de plus en plus, dans sa tête, une idée lancinante le ramène vers cet annuaire. Et surtout à ce qu’il n’y a pas trouvé.

«Ce que je devais devenir était criant ! J’avais investi dans des formations psychologiques très coûteuses, j’avais fait pas mal de droit durant mes études. J’ai donc commencé à m’autoformer, pendant un an, à lire des réglementations que peu de gens connaissent. Après, j’avais les contacts pour trouver des joueurs en Belgique, mais j’ai senti qu’on avait plus besoin de moi ici. Et je ne voulais surtout pas jouer sur la quantité. Si je devais être agent, cela devait rester des aventures humaines, avec des joueurs qui n’ont aucun complexe d’infériorité, ne se fixent aucune limite.» Prohorizons group, qui gère aujourd’hui 32 joueurs et trois coaches, venait de naître.

Ma rencontre avec Gerson, c’est Dieu qui se balade incognito

Cinq ans plus tard, Ahmed Nouma pèse un poids sidérant dans le développement exponentiel du football luxembourgeois. Dans son portefeuille, les internationaux sont surreprésentés : Enes Mahmutovic, Tim Hall, Vahid Selimovic, Diogo Pimentel, Vincent Thill, Olivier Thill (mais plus Séba Thill, qui s’est acoquiné avec une agence allemande) et le tout premier d’entre eux : Gerson Rodrigues. Son coup de maître. Celui qui a déverrouillé plein de portes pour le joueur, pour lui, pour le football national en partie, puisque dans le sillage du meilleur avant-centre de tous les temps en sélection, plein de joueurs sont partis explorer l’Europe.

Et pourtant, Gerson, c’est un hasard total : «Des amis avocats venaient de créer une ASBL et organisaient des tournois de futsal où il manquait souvent du monde. Et là, un très bon pote débarque un jour avec Gerson. Je ne le connais pas. Il a 18-19 ans et va rejoindre le RFCU au moment précis où moi j’intègre le comité. Je lui ai juste suggéré, vu son talent, de ne pas renoncer à une carrière. Quand j’y repense, à ce hasard, sourit-il, c’est Dieu qui se balade incognito.»

Incognito, mais qui va devoir bosser pour l’extirper de la BGL Ligue. En 2017, Ahmed Nouma mettra de l’argent de sa poche pour expatrier un garçon insortable, a priori, de son contrat au Fola, «et je remercie d’ailleurs mes contacts au Telstar». L’agent ne rentrera dans ses frais qu’après le passage de la star d’attaque des Roud Léiwen par le Japon, deux ans plus tard. Et ce n’est que le début d’une longue marche pour internationaliser les meilleurs footballeurs du pays.

Vincent Thill en guerre avec le Nacional Madère, qui l’a surexploité et a mis sa santé en danger ? Il l’exfiltre vers l’Ukraine alors qu’il est toujours blessé. Vahid Selimovic et Tim Hall sans club pendant carrément six mois ? Il leur trouve des portes de sortie en Slovénie et en Hongrie. Il a trois joueurs touchés par la guerre entre la Russie et l’Ukraine? Il leur trouve des alternatives en catastrophe. Nouma est un agent-pompier de service et, pour le moment, cela lui va très bien : «Un concours de circonstances fait que le parcours de mes joueurs est pour l’heure semé d’embûches. Mais un agent doit être là quand ça se passe bien et surtout quand ça se passe mal.»

Il les a, pourtant, les résultats. Et même s’il sait d’avance qu’il ne fera pas toute sa vie dans ce rôle, qu’il planifie déjà son futur, Ahmed Nouma s’attend à très bientôt devoir négocier avec des clubs autrement plus huppés. Il a déjà failli le (re)faire pour Olivier Thill, avant la guerre et ses problèmes de genou, quand le Dynamo Kiev, le Metalist Kharkiv et des clubs allemands s’intéressaient à l’une des deux grandes révélations de la D1 locale, aux côtés de Viktor Tsygankov. Nouma y reviendra. Fatalement.

Et il guette l’heure avec philosophie et humilité : «Je suis réaliste, je ne vais pas promettre le Real Madrid à tout bout de champ. Je ne vends pas du rêve à mes gars, comme le font beaucoup d’autres agents.» Pourtant, il en crée. Et certains jeunes footballeurs doivent déjà se demander comment intégrer l’écurie. Trouveront-ils son nom dans l’annuaire ? Il rit : «Non, ce n’est plus la même époque. Mais on peut me trouver : aujourd’hui, il y a les réseaux !» Et des réseaux, ça, il en a.

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