Le député socialiste Dan Kersch ne cache plus son exaspération. Il aimerait que le DP comprenne que la véritable sélectivité sociale, que les libéraux prônent toujours, passe par une réforme fiscale.
En tant que ministre, vous avez assisté à des tripartites. Qu’avez-vous pensé des deux dernières qui se sont déroulées sans vous ?
Dan Kersch : J’ai mené quelques tripartites, mais elles n’avaient pas la même importance que les deux dernières. La situation n’était pas comparable. Une tripartite, il faut la préparer et j’avais la nette impression que toutes les parties, c’est-à-dire l’ensemble des partenaires, gouvernement inclus, l’avaient oublié.
C’est un travail de longue haleine et la première tripartite du début de l’année a été bâclée. Il fallait agir dans l’urgence et il y avait énormément de pression pour en finir au plus vite. Cette fois, la tripartite fut une réussite parce que les erreurs du printemps n’ont pas été répétées.
Comment le LSAP a-t-il préparé ce rendez-vous ?
Nous avons très bien préparé la deuxième tripartite de cette année. Nous nous sommes souvent réunis avec tous nos députés et tous nos ministres. Nous avons élaboré beaucoup de propositions reprises dans l’accord.
Pour moi, c’était une énième preuve que les dossiers bien préparés aboutissent à une réussite.
Quelles étaient vos propositions ?
Toute la discussion a tourné autour de l’index. Nous avons demandé de laisser l’indexation se faire et de trouver d’autres solutions, comme essayer de minimiser l’inflation. Il ne fallait surtout pas reporter l’indexation.
Cela crée des problèmes au niveau social, parce qu’au niveau financier, ce n’est pas seulement les plus précaires qui vont mal, mais c’est la classe moyenne qui est touchée.
Notre barème est beaucoup plus équitable
Vous aviez proposé de soulager fiscalement la classe moyenne en ralentissant la progression du barème pour les revenus bas et moyens et en l’accélérant pour les hauts revenus, mais cela coûterait un milliard par an à l’État…
Il faut savoir qu’actuellement, il ne faut surtout pas simplement adapter le barème à l’inflation, car ce sont les gros revenus qui en profiteraient le plus. Il faut trouver un autre moyen pour alléger la pression fiscale de la classe moyenne et des faibles revenus. Si on mettait en place notre modèle, tous ceux qui gagnent moins de 11 600 euros par mois paieraient moins d’impôts qu’aujourd’hui.
La progressivité que l’on a dans le barème, qui représente l’avancée la plus sociale jamais réalisée en matière de politique fiscale, n’existe que sur le papier. Quand on gagne 40 000 euros par an, on se trouve déjà dans le haut du tableau et c’est un problème. C’est surtout cette erreur systémique qu’il faudra redresser.
Nous avons donc proposé de ralentir la progression du barème de deux à un point de pourcentage pour les revenus bas et moyens, de l’accélérer de un à deux points de pourcentage pour les hauts revenus, tout en augmentant le taux d’imposition maximal avec des tranches supplémentaires en haut de la distribution.
La ministre nous dit, effectivement, que ça va coûter un milliard par an. Mais dans notre système, il y a des gens qui vont payer plus d’impôts, par exemple celui qui gagne un million par an devrait payer 50 000 euros de plus.
Le milliard d’euros en question sera encore augmenté des plus-values que l’on va redistribuer à ceux qui sont en dessous de 11 600 euros par mois. Notre barème est beaucoup plus équitable, beaucoup plus sélectif qu’une simple adaptation du barème à l’inflation.
La sélectivité, c’est un mot d’ordre de cette coalition et du DP en particulier, mais elle n’est pas très palpable. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons toujours dit que la sélectivité ne s’opère pas avec l’indexation. Si on veut créer une sélectivité sociale, il faut qu’elle passe par les impôts. Il faut que le DP le comprenne. Quand on veut introduire de la sélectivité fiscale, les libéraux nous disent que cela coûterait cher. C’est vrai, on ne l’aura pas à titre gratuit. Il faudra donc trouver de nouvelles recettes et avoir le courage d’aller chercher l’argent là où il est.
La situation est d’ailleurs similaire pour la fiscalité des entreprises. Je suis d’avis que la charge fiscale des petites entreprises en difficulté doit également bénéficier d’allégements et que les plus prospères, celles qui ont profité des crises successives, paient davantage.
Si nous n’avons pas ce courage-là, nous n’aurons pas d’argent pour faire une autre politique. Pour moi, la question d’une fiscalité équitable est l’une des plus importantes dans le monde politique.
L’État ne pourra pas toujours compenser les salaires trop bas
La question de la réduction du temps de travail ne met pas tout le monde d’accord non plus. Est-elle inéluctable ?
La question du temps de travail est aussi vieille que le travail lui-même. Quand les gens ont commencé à vendre leur capacité de travail, ils ont aussi vendu une part de leur temps de vie. La règle voulait que l’on consacre un tiers de son temps à la tâche, un tiers pour dormir et un tiers pour en disposer librement.
Avec ce modèle, tout le monde pouvait se construire une vie assez décente et agréable. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Des gens travaillent 40 heures par semaine sans pouvoir s’offrir une vie décente. C’est un vrai problème sociétal et cela va créer des problèmes au niveau de la cohésion et de la paix social.
Je veux me battre pour que les gens qui travaillent puissent vivre de façon décente. Même les patrons admettent que le salaire minimum n’est pas assez haut pour vivre correctement au Luxembourg. Ils en déduisent qu’il est inutile de le relever parce que ce serait encore insuffisant. C’est du cynisme. L’État ne pourra pas toujours compenser les salaires trop bas.
En ce qui concerne le temps de travail, on voit des gains de productivité énormes ces derniers temps. Ils doivent être partagés. Une part doit revenir au salarié. Si ça ne se fait pas par des augmentations salariales appropriées, ça devra se faire par des réductions du temps de travail sans perte de salaire.
Ce thème sera-t-il un point essentiel de votre campagne électorale ?
Oui. Nous l’avions déjà revendiqué dans notre programme et nous avons obtenu de petites avancées avec un jour de congé et un jour férié supplémentaires. On ne peut pas parler de révolution, parce que nous sommes toujours bloqués par un parti qui ne veut pas en entendre parler, c’est clair.
On n’a pas le droit de critiquer le Statec ?
Il a souvent été reproché aux socialistes de n’avoir pas quitté le gouvernement…
Oui, dès la première tripartite, les critiques ont afflué. On nous prédisait même qu’on remporterait de nouvelles élections, mais je n’étais pas de cet avis. Quand les gens ont des soucis, ils ne veulent pas de nouvelles élections, mais des solutions à leurs problèmes et de la sécurité.
Je pense que la plupart des gens au Luxembourg ont finalement estimé que les décisions prises lors de la première tripartite, avec le report de l’index et les aides, étaient acceptables. Il ne faut pas oublier que, pour la première fois, des compensations avantageuses pour les faibles revenus ont été mises en place.
Mais on ne peut pas reporter l’index à l’infini, les socialistes l’avaient dit au gouvernement. J’avais dit, avant les vacances, qu’il fallait réunir une seconde tripartite en automne, malgré les grincements de dents au gouvernement. Entretemps, on connaît le résultat.
Vous aviez critiqué les prévisions du Statec, c’est plutôt mal vu…
On n’a pas le droit de critiquer le Statec ? Mais bien sûr que j’en ai le droit. Je suis persuadé qu’ils ont fait leur travail avec tous les critères mis en place scientifiquement.
Mais on ne va pas me dire qu’il est normal, quand tous les pays limitrophes annoncent des 9, 10, voire 12 % d’inflation, qu’on prédise chez nous du 3 %. Je suis dans mon droit de ne pas les croire, même s’ils sont des scientifiques. J’avais raison.
C’est la bataille pour les deniers publics et il y a de très puissants lobbys, bien organisés, représentés par le DP
Que prédisez-vous pour les suites de cette crise inflationniste ?
Je suis persuadé que cette fameuse troisième tranche indiciaire va tomber en 2023. Les partenaires ont promis de se revoir, mais ils vont compenser. Le problème, c’est que l’on compense aussi pour ceux qui gagnent de l’argent.
On compense, par exemple, les banques qui sont en train d’engranger de gros profits, mais pourquoi? Je comprends le principe du compromis, mais en tant que député, il faut dire qu’il y a quand même des choses qui ne collent pas.
Avec les compensations ?
Oui et cette discussion sur la compensation va être rude. La loi concernant la première tripartite, que j’ai votée d’ailleurs, mais à contrecœur, a fait un cadeau de quelque 150 millions d’euros aux banques.
Trois jours après la tripartite, elles ont annoncé des bénéfices record. Ce sont les mêmes qui nous disent qu’il faut reporter l’index à l’infini, voire le supprimer.
En attendant, les recettes fiscales progressent grâce, entre autres, à l’impôt sur le revenu des travailleurs…
Une augmentation de 495 millions d’euros sur une année, c’est fou. Ce chiffre à lui seul démontre que l’argent est là pour mener une réforme fiscale. Mais certains nous disent de bien garder cet argent parce qu’on ne sait pas de quoi demain serait fait et il faut encore donner des compensations aux entreprises.
C’est la bataille pour les deniers publics et il y a de très puissants lobbys, représentés par le DP, bien organisés, qui empêchent le gouvernement de mener cette réforme fiscale.
D’aucuns vous qualifient de « 31e homme » dans cette fragile coalition. Vous sentez-vous l’âme de celui qui peut faire la différence ?
Cela fait 45 ans que je suis dans la politique et j’ai déjà eu des titres de toutes sortes, alors pourquoi pas celui-là. Ce n’est pas un seul homme qui fait la différence. Quand j’ai décidé de démissionner en tant que ministre, je me suis demandé si je devais continuer en tant que député ou tout arrêter.
Si je décide d’être député, je fais mon travail qui consiste à aider à améliorer les textes présentés par le gouvernement. Le rôle d’un député, c’est de discuter des textes. Il faut prendre ce travail au sérieux et si cela ne plaît pas à certaines personnes au gouvernement, c’est leur problème, pas le mien.
Celui qui gratte la peau d’un socialiste en sort un communiste?