La ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding, est décidée à soumettre en automne aux députés la réforme de l’impôt foncier et la nouvelle taxe sur la spéculation. Les travaux préparatifs sont dans la dernière ligne droite.
Le calendrier fixé par le Premier ministre, Xavier Bettel, pourra être tenu. Le chef du gouvernement avait annoncé en octobre dernier que la très attendue réforme de l’impôt foncier, accompagnée par une nouvelle taxe pour lutter contre la spéculation foncière, serait finalisée en douze mois. La ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding, confirme que les travaux menés avec le ministère du Logement et celui des Finances avancent bien. Le compte à rebours est enclenché.
L’Intérieur joue un rôle prépondérant dans la politique du logement, un fait qui semble peu connu du grand public. En quoi consiste plus précisément l’apport de votre ministère dans cet épineux dossier ?
Taina Bofferding : Je parle toujours des cinq pièces d’un même puzzle qui sont complémentaires aux mesures prises par le ministère du Logement. Dans le cadre du Pacte logement 2.0, l’Intérieur doit s’assurer que dans tout nouveau projet de construction, des logements abordables sont créés. Ensuite, le ministère est en charge du Baulandvertrag, qui prévoit que les terrains constructibles doivent dans un laps de temps défini être viabilisés. S’y ajoute le remembrement ministériel pour débloquer les projets bloqués par un seul propriétaire de terrain. En parallèle, nous travaillons sur une simplification des procédures pour les modifications ponctuelles des plans d’aménagement généraux (PAG). Et enfin, la cinquième pièce du puzzle est la réforme de l’impôt foncier, complétée par une taxe de mobilisation pour éviter la spéculation sur des terrains non viabilisés et des logements laissés vides.
Le nouvel impôt foncier ne doit pas pénaliser les personnes qui habitent dans leur propre logement
Peut-on affirmer que, sans le ministère de l’Intérieur, l’offensive visant à enfin s’attaquer à la crise du logement serait impossible ?
Dans son ensemble, le gouvernement s’efforce vraiment de mettre en œuvre des mesures plus innovantes, mais surtout plus contraignantes, pour avancer en la matière. Chacun a accompli sa part du travail. La ministre de l’Intérieur est celle qui se trouve en contact direct avec les communes et prend les mesures pour créer le cadre législatif adéquat. Les uns parlent logement, moi, je mets la politique en exécution.
Lors de sa déclaration sur l’état de la Nation, en octobre dernier, le Premier ministre a annoncé que le gouvernement allait déposer dans un délai de douze mois un projet de loi pour réformer l’impôt foncier et introduire une taxe sur la spéculation. Où en sont plus concrètement ces travaux à l’approche des vacances d’été ?
La réforme de l’impôt foncier est très particulière d’un point de vue législatif. En principe, vous avez une idée pour laquelle vous rédigez un projet de loi afin de la mettre en œuvre. Ici, il faut d’abord évaluer si l’idée que l’on a peut vraiment être mise en place comme cela est envisagé. La réforme va se baser sur une toute nouvelle formule de calcul afin d’abolir les valeurs uniformes datant de 1941. La nouvelle formule doit être plus équitable, plus transparente et plus compréhensible. Avant de pouvoir légiférer, des simulations doivent être effectuées, avec le concours notamment du Liser, pour disposer aussi du point de vue scientifique. Les travaux ont bien avancé, les simulations nous donnent satisfaction. Lorsque le volet technique sera finalisé, il restera à mener les dernières discussions politiques.
Existe-t-il encore des discordances au sein du gouvernement ?
L’accord de coalition prévoit clairement que le nouvel impôt foncier ne doit pas pénaliser les personnes qui habitent dans leur propre logement. Il s’agit bien plus de viser les propriétaires qui refusent pendant des années de viabiliser leurs terrains constructibles. La spéculation est vraiment leur intention première. Cela doit cesser une fois pour toutes, d’où aussi l’importance de la taxe sur la spéculation qui va être appliquée sur le plan national. L’idée est de rendre le système plus équitable et non pas d’augmenter coûte que coûte une taxe. L’objectif majeur est vraiment de lutter contre la spéculation foncière. Je suis contente que le groupe de travail interministériel, qui comprend le Logement et les Finances, sous coordination de l’Intérieur, parvienne à très bien avancer. Et je suis donc convaincue que le projet de loi pourra être déposé en automne.
Les partis de l’opposition vous reprochent le fait que les textes destinés à mieux lutter contre la spéculation foncière arrivent beaucoup trop tard. À tort ou à raison ?
On nous reproche en effet que cela dure très longtemps. Or, dès qu’on explique quelle est la charge de travail qui est nécessaire pour préparer le terrain, tous les détails qui sont à régler, ces mêmes personnes se rendent compte de la complexité du dossier. Il ne s’agit pas de simplement changer une formule de calcul. Nous devons disposer des données nécessaires et nous assurer que le tout tient la route d’un point de vue juridique. N’est également pas à négliger l’outil informatique qui doit être mis en place pour évaluer annuellement la valeur des terrains.
On se base ici sur les nouveaux plans d’aménagement généraux (PAG). C’est d’ailleurs une des raisons majeures pour lesquelles j’ai refusé en 2019 de reporter encore une fois le délai pour faire aboutir la réforme des PAG. Je savais très bien qu’il me fallait disposer de ces données pour pouvoir introduire le nouvel impôt foncier. Le potentiel constructible sert de base pour effectuer un calcul équitable. Si cela a pris du temps, ce n’est pas dû à une question de volonté, mais bien à l’énorme charge de travail qui a dû être abattu.
Le Premier ministre a souligné que le droit à la propriété ne serait pas aboli, mais qu’il fallait responsabiliser les propriétaires de terrains et de logements. Le cadre légal à venir va-t-il vraiment permettre de relativiser ce droit fondamental ?
Si on veut vraiment avancer, il faudra s’attaquer au droit absolu à la propriété. Je suis consciente qu’il faudrait une majorité des deux tiers pour procéder à un changement fondamental. En tant que socialiste, j’ai du mal à accepter qu’au vu de la gravité du problème du logement, on maintienne un droit à la propriété qui reste illimité. Aujourd’hui encore, vous pouvez devenir millionnaire du jour au lendemain si votre terrain entre dans le périmètre de construction. Or vous n’avez aucune obligation de viabiliser ce terrain. Cela m’interpelle fortement. D’où aussi nos efforts pour instaurer des instruments contraignants pour lutter contre la spéculation foncière.
Un de ces nouveaux instruments est le Baulandvertrag. Le délai légal que vous comptez imposer pour viabiliser un terrain n’a pas trouvé l’aval du Conseil d’État. Où en sont les travaux pour trouver une solution ?
Je vais encore échanger cette semaine avec les commissions parlementaires en charge du Logement et des Affaires intérieures. Nous restons décidés à faire aboutir au plus vite la procédure législative, aussi en ce qui concerne le remembrement ministériel. Beaucoup de communes attendent d’un pied ferme cet outil qui permettra de contourner le blocage d’un projet de construction par un seul propriétaire. On ne va pas l’exproprier, mais il devra accepter la mise à sa disposition d’une parcelle de rechange. Ce principe existe déjà depuis longtemps dans la viticulture. Il est néanmoins indéniable que le très critique avis du Conseil d’État est venu chambouler nos travaux sur le Baulandvertrag. Or, si on veut vraiment avancer dans le dossier du logement, il faut à un moment s’attaquer à cette vache sacrée qu’est le droit absolu à la propriété.
Comment comptez-vous convaincre les Sages de vous suivre ?
Des réponses aux questions juridiques qui ont été avancées sont en train d’être formulées. Il est très important que le texte de loi tienne la route, aussi devant les tribunaux. Nous avons besoin de ces nouveaux instruments contraignants. Il est désormais envisagé d’instaurer un droit à la construction temporaire. Si le terrain n’est pas viabilisé dans le délai fixé, ce droit à la construction est aboli.
La taxe sur la spéculation va reposer sur un registre national recensant les terrains vides et logements inoccupés. Ces travaux seront-ils aussi achevés pour l’automne ?
Le ministère du Logement est en train de définir les critères exacts. Il faut souligner le caractère national de cette nouvelle taxe. Contrairement à des outils antérieurs, notamment inscrits dans le Pacte logement 1.0, on pourra lever des incertitudes juridiques. Jusqu’à présent, les communes ont trop hésité à user des outils de mobilisation qui étaient déjà à leur disposition.
Sans le concours des communes, il sera impossible de mettre en œuvre l’offensive dans le domaine du logement. Quels sont les échos qui vous reviennent du terrain ? La volonté de s’impliquer davantage dans la construction de logements est-elle présente ?
Il est important que les communes qui ont besoin d’expertise puissent recourir aux conseillers logement prévus dans le Pacte logement 2.0. Aussi bien le ministère du Logement que le ministère de l’Intérieur sont à la disposition des communes qui comptent se lancer dans des projets de construction. Nous avons fait de très bonnes expériences avec notre plateforme de conseil pour l’élaboration de plans d’aménagement particuliers (PAP). Le principe de réunir tous les acteurs en amont du lancement de la procédure pour éviter tout couac va être maintenu et élargi. Mais au-delà du cadre législatif et administratif, il est important que les communes s’engagent vraiment pour créer leur propre parc de logements.