Il était beau, talentueux, provocateur, dragueur et sans limite, sur et en dehors du terrain. L’histoire de George Best, d’abord racontée par Vincent Duluc, renaît en BD grâce au duo Kris-Calvez, pour un plongeon dans le «Swinging London» dont il était une parfaite incarnation.
Il était le symbole d’une époque. Celui qui, comme les Beatles, mettait de l’électricité dans son jeu et dont le génie semblait sans limite. À eux cinq, et avec d’autres, dans une Angleterre des «sixities» en pleine effervescence, ils allaient changer la donne. Mener tambour battant une révolution culturelle, devenir les héros de la classe ouvrière et inscrire leurs noms dans la légende et ce, en dix petites années seulement. Quelque 60 kilomètres séparent Manchester de Liverpool. Pour Kris et Florent Calvez, la distance entre George Best et les Fab Four se résume à un passage piéton, le plus célèbre du monde, celui d’Abbey Road, de l’album du même nom.
Dès la couverture en effet, et avec ce sous-titre en guise de clin d’œil («Twist and Shoot»), l’ouvrage rappelle l’analogie et, au passage, sa filiation avec le roman de Vincent Duluc (Le Cinquième Beatles, 2014), adapté ici en images. Le journaliste et belle plume à L’Équipe y raconte ses propres souvenirs et son amour inconditionnel pour le personnage, flamboyant et libre à en crever. Une passion qui déborde une nouvelle fois de toutes les pages, suivant à la trace ce destin si particulier, ce joueur hors norme qui a arrêté le football de haut niveau à 27 ans pour mieux brûler la chandelle par les deux bouts. Son sport favori, finalement.
Femmes, jeux, grosses cylindrées et alcool
Car George Best n’a pas été que le virevoltant ailier aux dribbles chaloupés et au déhanché terrible. Comme d’autres légendes du ballon rond (Cruyff, Maradona, Cantona…), sa notoriété tient aussi à ses frasques et ses prises de position en dehors du terrain. D’ailleurs, son palmarès est plutôt maigre – soit deux championnats d’Angleterre et une Coupe d’Europe, sans oublier un Ballon d’or en 1968. Car derrière cette grâce balle au pied, l’homme ne s’embarrassait pas des excès : femmes, jeux, grosses cylindrées et alcool, il ne s’interdisait rien, embrassant la vie sans calcul, avec ferveur. Au point d’y laisser sa peau, en 2005, à l’âge de 59 ans.
La dernière image de lui, comme le rappelle justement la BD, le montre sur son lit de mort, jaune et amaigri, dans une ultime mise en scène médiatique, lui qui s’est construit en même temps (et grâce) à la télévision. Elle a suivi les balbutiements de son talent pur, imprimant sur les écrans noir et blanc sa gueule d’angle à rouflaquettes. Elle l’a accompagné tout le temps, et jusqu’au bout, de ses apparitions dans des publicités à ses errances sentimentales, jusqu’à son enterrement devant plus de 300 000 personnes à Belfast (au son de The Long and Winding Road des Beatles, encore eux). Idem pour la presse, où ses «punchlines» et son brin de folie s’étalaient chaque jour dans la rubrique sportive, comme celle «people».
«Maradona good, Pelé better, George Best»
N’éludant pas sa triste fin de carrière dans des clubs de seconde zone, ses nombreuses conquêtes féminines (qu’il appelait toutes «Love») et son goût intarissable pour la picole, Kris reste avant tout, et c’est tant mieux, un fan de football – en témoigne l’excellent Un maillot pour l’Algérie (2016) sur l’histoire de l’équipe du FLN. De la belle chorégraphie en short et sur rectangle vert, il y en a donc dans son livre, édité dans la bien nommée collection Coup de tête (Delcourt). On plonge en effet au cœur de Manchester United, bien qu’alors détruit par la tragédie de Munich de 1958 et cet accident d’avion qui coûta la vie à 23 personnes, dont huit joueurs.
Sur ces cendres allait débarquer un jeune audacieux et effronté, figure du «Swinging London» à venir. Sur fond de pop et de rock, avec un maillot rouge cintré, celui qui avait toujours soif et jamais sommeil redonnait le sourire à un club et un pays tout entier, qui attendaient fébrilement ses dribbles pour les célébrer dans une clameur belle et populaire. Il y eut des moments forts : ce premier match à Old Trafford contre West Bromwich Albion, où il ridiculisa son défenseur avant de se faire couper en deux; cette performance dingue contre Chelsea, gravée dans toutes les mémoires; ce but en finale de la Coupe des clubs champions (ancienne Champions League) contre Benfica, plaçant pour la première fois l’Angleterre sur la carte de l’Europe. Icône adorée et réclamée, il allait devoir composer avec cette célébrité. Il ne saura jamais le faire.
Il y eut alors d’autres moments, plus pénibles, plus complexes : sa relation tendue avec l’autre symbole de MU, Bobby Charlton, les dérapages auprès de ses coéquipiers, ses infidélités, les entraînements manqués en pagaille, la faillite, la prison, la maladie. Mais le public, lui, ne lui en voudra jamais, préférant sa naïveté et son côté rock à la fade saveur des autres joueurs, dont le football moderne regorge. À preuve, cette dernière phrase, contenue sur une couronne mortuaire : «Maradona good, Pelé better, George Best».
George Best (Twist and Shoot), de Kris et Florent Calvez. Delcourt.
L’histoire
À 17 ans, le prodige George Best intègre Manchester United. Son coéquipier Bobby Charlton n’a plus esquissé un sourire depuis l’accident d’avion qui coûta la vie à huit de ses partenaires en 1958, au retour d’un match de Coupe d’Europe. Ces deux-là, le fêtard et le bosseur, sont incapables de se comprendre dans la vie mais se retrouvent sur un terrain de football et vont écrire ensemble les grandes heures du football anglais.