Samedi, Esch 2022 a donné son coup d’envoi avec une fête taille XXL qui a enflammé la ville. Un retour en force du monde culturel et du public. Avec un rendez-vous donné : le décollage, à Belval, d’une fusée, pour nous amener vers de nouveaux horizons…
«Ce soir, vous serez investis d’une mission» : à leur arrivée sur le site de Belval, les visiteurs sont accueillis par les «CBU Commanders» d’Esch 2022, dont le rôle est de veiller au bon lancement de la fusée, plus tard dans la soirée. Il n’est pas encore 19 h et quelques kilomètres plus loin, sur la place de l’Hôtel-de-ville, les organisateurs viennent d’annoncer l’inauguration de la capitale européenne de la culture.
Mais plusieurs milliers de personnes déjà ont investi l’ancien site industriel, au-dessus duquel, alors que la nuit est en train de tomber, flotte un parfum de magie. Des danseurs, certains maquillés, d’autres vêtus de combinaisons lumineuses, font le show. Œuvres d’art, animations et installations jalonnent le parcours.
Les mises en scène, à travers les décors, la lumière ou les projections – souvent les trois à la fois ! – sont partout. «C’est magnifique!», s’exclame une visiteuse, à peine entrée dans la «Fire Street». «On n’a jamais vu Belval comme ça», s’émerveille un autre quelques mètres plus loin.
À chaque visiteur son équipe, représentée par un symbole : «Iron Furnace», signe du feu, «River Alzette», signe de l’eau, «Red Earth», signe de la terre, et «New Horizons», signe de l’air. Celles-ci, basées à différents endroits du quartier, se retrouvent pour danser ponctuellement autour d’une station de chargement, supposée récupérer l’énergie du public, soit le carburant destiné à faire décoller la fusée de sa rampe de lancement, au pied du haut-fourneau A, peu après 21 h 30.
Les monolithes digitaux, qui diffusent les vidéos des chorégraphies – chaque équipe a la sienne –, sont les points stratégiques de ce début de soirée, là où l’on se chauffe doucement, peut-être aussi parce que la température extérieure commence sérieusement à se rafraîchir. Alors on danse… Ou on profite d’une bière ou d’un repas. Les points de restauration prévus par l’organisation n’ont pas désempli, samedi soir, et les restaurants du quartier, eux, affichaient complet jusqu’à la fin de la soirée.
Rien ne remplace le contact intégral avec le public
La directrice générale d’Esch 2022, Nancy Braun, a eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises ce week-end : ce ne sont pas moins de 25 000 visiteurs qui ont investi le quartier de Belval pour assister au décollage de la fusée digitale, un événement soumis au Covid Check et à un système de réservation en ligne, mais qui n’en a pas moins été «sold out».
«C’est une vraie surprise, en temps de covid, que l’on puisse fêter ça», s’est félicitée Françoise Poos, directrice des programmes culturels. Surprise qui a fait le bonheur des visiteurs eux-mêmes, dès l’inauguration à l’hôtel de ville, où la capacité d’accueil était de 5 000 personnes. «J’ai l’impression que c’est noir de monde, mais on n’a plus l’habitude de ce genre d’événements, avec autant de foule», glisse un père de famille venu assister aux discours officiels avant de faire le trajet vers Belval. Et l’on imaginera aisément sa stupeur lorsqu’il arrivera sur place…
Ses mots sonnent comme un écho de ce qu’exprimait quelques minutes plus tôt la ministre de la Culture, Sam Tanson, sur scène : «Ce qui commence aujourd’hui est un nouveau départ pour la communauté culturelle, qui retrouve un public large et des festivités. Rien ne remplace le contact intégral avec le public, symbolisé par cette soirée.»
On peut aussi voir cet énorme succès sous un autre angle : «Avec onze communes luxembourgeoises et huit communes françaises, Esch 2022, c’est presque 200 000 habitants», rappelait pour sa part Georges Mischo. Belval seul a donc accueilli samedi l’équivalent de 12,5 % de la population du territoire couvert par la capitale européenne de la culture.
Mais le centre-ville, aussi, avait de quoi attirer les foules. Pas seulement pour la présence d’officiels, mais parce que les concerts place de l’Hôtel-de-ville et place de la Résistance étaient à même de les électriser. Tout au long de la rue de l’Alzette, on pouvait déjà offrir son énergie et danser autour des mêmes stations de chargement retrouvées plus tard à Belval. Tout était soigné pour le «live» impressionnant, retransmis sur des écrans dans toute la ville et sur le site internet d’Esch 2022.
L’idée derrière celui-ci n’étant pas uniquement de suivre le déroulé de la soirée, mais de l’intégrer à celle-ci. Le direct permettait donc de connecter les différentes scènes de la ville, en particulier les deux liées au lancement de la fusée, le centre de contrôle de mission (hôtel de ville) et l’aire de lancement (Belval). Pour les malheureux qui n’ont pas pu se procurer de billet pour accéder à la soirée, la retransmission, au centre-ville ou à la maison, offrait véritablement une immersion dans la ville.
À Belval, la fête commence tôt, et elle commence fort. Au hasard des rencontres, les visiteurs, qu’ils soient d’Esch ou des alentours, de Lorraine, de Belgique, voire d’Italie ou d’Espagne, se déplacent à l’intérieur du quartier guidés par la seule envie de déambuler, entre les spectacles de feu, les concerts et les danses, chorégraphiées ou improvisées. Bien peu d’entre eux ont pris connaissance du programme, à l’exception de quelques informations grappillées chez les nombreux bénévoles ou entendues à la volée; le décollage de la fusée est le seul rendez-vous donné.
«C’est un fil conducteur qui est intéressant, on est tous pendus à nos montres !», remarque Sébastien, venu d’Arlon avec sa fille et son fils. «De manière générale, tout est très bien fait. On se balade, on a le temps de voir un peu tout ce qui se passe… On a été très impressionnés par le parcours qui traverse le quartier : les lumières sont superbes, c’est très vivant.» Que l’on danse ou pas, il y a très clairement une énergie qui se fait sentir : celle d’un retour à la normalité, d’une joie évidente de retrouver un événement comme on n’en fait plus depuis deux ans, bref, c’est l’énergie d’une ville tout entière qui vibre.
À la Rockhal, on s’en rend compte assez vite : l’ambitieux projet Future Frequencies, qui voyait une douzaine de musiciens, accompagnés par d’autres musiciens du Conservatoire d’Esch, de l’Ensemble à plectre municipal et d’une chorale – une centaine de musiciens en tout sur la grande scène du temple eschois des musiques actuelles –, a connu un tel succès que lors des deux représentations, des dizaines et des dizaines de visiteurs n’ont plus accès à la salle et assistent au concert depuis le hall. Ce qui n’était plus un problème en fin de soirée, pour le DJ set enivrant de Miss Sappho : à peine quelques minutes après le début de son show, c’est tout le public qui s’est levé petit à petit pour aller danser devant la scène sur des rythmes house.
Après le concert ultraénergique de Maz, qui a quitté la scène en manifestant son soutien à l’Ukraine, le moment tant attendu est arrivé : la fusée a pu décoller à 21 h 50, après quelques problèmes techniques – qui faisaient évidemment partie de l’animation – et avant le concert de Ryvage, parfait pour terminer une soirée où l’on a gardé la tête dans les étoiles. Que l’on reste pour un dernier concert ou que l’on rentre, la mission a été accomplie. Mais ce n’est encore que le début…
La fête reprend en mars !
Le programme est à peine entamé qu’il est déjà copieux. Mais Esch 2022, c’est aussi la fête qui fait son grand retour ! Maintenant qu’elle est à nouveau possible, pourquoi s’en priver ? À cet égard, les 11 et 12 mars verront le retour anticipé d’un événement devenu une spécialité eschoise : la Nuit de la culture. Qui se déroulera sur deux nuits, donc, et qui sera la première d’une série de cinq, dispersées tout au long de cette année culturelle, investissant l’une après l’autre les différents territoires géographiques, historiques et culturels de la ville.
Après une célébration au cœur du passé industriel de la ville, Esch 2022 proposera donc, autour du thème «Sauvage», de se retrouver au parc du Clair-Chêne, transformé en jardin féerique, et aux alentours (quartiers Sommet, Bruch, Zaeper et Fettmeth) pour redonner sa place à la nature à travers une cinquantaine d’événements. Après la démonstration de force de samedi, on a hâte…
[gallery size="large" ids="363123,363120,363121,363122"]Le passé de Belval «remixé»
À la Massenoire, bâtiment industriel fraîchement reconverti en lieu de culture, l’exposition «Remixing Industrial Pasts» propose une plongée immersive dans l’histoire de la région.
Le bâtiment de la Massenoire a été mis en service en 1965 avec, comme fonction, d’abriter les équipements servant à la fabrication de la masse de bouchage du trou de coulée des hauts fourneaux (la fameuse «masse noire»). Et a fermé ses portes moins de quinze ans plus tard, devenant depuis l’un des nombreux vestiges du site. Encore que celui-ci n’ait pas beaucoup changé.
À la Massenoire comme ailleurs, «c’est un plaisir» pour Esch 2022 «d’investir cet endroit avec de l’art et de la culture», soulignait samedi matin Françoise Poos, la directrice des programmes culturels. Petit retour en arrière : «À la fin des années 1990, l’industrie lâchait son dernier souffle, a-t-elle poursuivi. Dans l’immédiat après, la Ville d’Esch a réfléchi à un moyen de transformer et réhabiliter ce site.»
Cela aura pris un peu de temps, mais la Massenoire est devenue, pour et avec Esch 2022, un lieu de culture adaptable selon les besoins, et qui propose en ce début de capitale européenne de la culture la belle exposition «Remixing Industrial Pasts», un projet conjoint qui a vu s’unir les forces de Stefan Krebs, chercheur au Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C2DH), et de Chiara Ligi, du collectif d’artistes milanais Tokonoma. D’une part, on y retrace cent ans d’histoire de la Minett (de 1870 à 1970); de l’autre, on «remixe» ses témoignages, en photos ou en vidéos, à partir des archives du CNA. «Le but était de faire de cet endroit une machine à remonter le temps», affirme Chiara Ligi. Mais pas seulement pour faire revivre une époque…
«Nous avons questionné le récit principal de la Minett», explique Stefan Krebs, pour soulever «d’autres sujets» peu ou pas discutés à l’époque, mais complètement au cœur des préoccupations actuelles : la pollution de l’air, la transformation du paysage, le rôle des femmes… Qu’on l’appelle Minett, Gutland ou Terres Rouges, la région d’Esch est présentée sous la forme d’une «mosaïque vivante», explique Chiara Ligi, avec une installation vidéo immersive à huit écrans et cinq espaces où les textes explicatifs sont associés aux documents d’époque, retouchés par l’artiste dans un geste de mémoire.
L’exposition, par ailleurs assez rapidement explorée, est incontournable pour ce qu’elle raconte sur la région et ses habitants : on y découvre notamment l’existence des premiers mouvements féministes qui se sont développés à Esch au milieu des années 1920, les échanges de marchandises de contrebande, mais aussi d’idées, dans les souterrains miniers qui liaient la Métropole du fer à ses voisines françaises, ou encore les conditions de travail difficiles des douaniers. Une superbe leçon d’histoire.
«Remixing Industrial Pasts»,
jusqu’au 15 mai. Massenoire – Esch-Belval.