De quelle couleur est la voiture de ta maman?», m’interrogeait ma maîtresse alors que je commençais à redouter que ma maman m’ait abandonnée dans cet enfer qu’était la maternelle. «Gréng…», je réponds, pas certaine d’avoir compris la question ni d’avoir donné la bonne réponse. Et voilà la maîtresse qui cherche une voiture verte, sauf que maman conduisait une 504 gris métallisé. Apprendre une langue, à 4 ans comme à 40, n’est pas chose aisée. Mais l’effort en vaut le coup. Je me suis fait des amis, ai découvert une culture, me suis intégrée, ai trouvé un emploi dans ce pays que mes parents ont choisi pour moi. Finalement, j’y suis chez moi et j’y reste. Apprendre une langue est un engagement envers soi-même et les autres locuteurs de la langue en question. Ce n’est pas qu’un exercice intellectuel ni une matière scolaire qu’il faut réussir pour passer à l’année supérieure.
Au Luxembourg, le multilinguisme occupe une place de plus en plus importante aux côtés du luxembourgeois. Dans la cour de récréation de la maternelle et après l’école primaire, on baragouinait dans toutes sortes de langues de l’immigration et on se comprenait. Quatre décennies plus tard, les linguistes théorisent et codifient la langue luxembourgeoise pour ne pas la perdre. Une langue qui meurt n’est jamais bon signe. Parler une langue, c’est échanger. Chacun donne un peu de soi. Pratiquer une langue – même une langue aussi complexe que le luxembourgeois pour une oreille non exercée – ne va pas à sens unique. Chacun doit faire un effort, donc chacun doit aider ou encourager l’autre à s’exprimer et faire un effort pour s’exprimer en retour. Rien ne fait plus plaisir que quand une personne s’adresse à une autre dans sa langue maternelle.
La maîtresse m’a appris en français dans le texte que gris, en luxembourgeois, se disait «gro» et que «gréng» signifiait vert. Ce n’était pas grave de m’être trompée, mais c’était important de dire juste. Important, pour ceux dont l’objectif n’est pas d’être un touriste dans un pays et pour ses habitants. Important, car c’est un investissement et une reconnaissance de l’autre. Un facteur essentiel et rassurant dans un pays que ses natifs ont de plus en plus de mal à reconnaître. Un effort pour ne pas basculer vers les extrêmes. Quelques mots suffisent. Schéine Weekend!
Sophie Kieffer