À la veille de Mai-68, les écoles ménagères, où les filles doivent apprendre à être de bonnes épouses, existent toujours. Martin Provost, réalisateur qui aime les femmes, s’empare du sujet et de la révolte qui gronde pour en faire une comédie facile au casting attrayant et avec pour titre « La Bonne Épouse ».
Martin Provost, c’est connu, aime à travers ses films célébrer la femme, toutes les femmes, particulièrement dans leur quête d’autonomie, de liberté. Ainsi, après avoir brossé le portrait d’une peintre (Séraphine, 2008), puis celui d’une romancière (Violette, 2013), avec un dernier détour par une comédie intime (Sage Femme, 2017), le réalisateur revient à la charge avec son film «le plus engagé», même si, avouons-le, il ne s’agit là que d’une comédie gentillette dont le seul mérite est de rappeler que la lutte des femmes pour leur émancipation, leur indépendance, est assez récente.
Remontons alors le temps. Si le droit de vote est acquis depuis la fin de la guerre, la vision de la société, au cœur de cette bonne France catholique, s’articule encore autour de la devise nationaliste et nataliste (Travail, Famille, Patrie). Rappelons aussi que ce n’est qu’à la fin des années 60 que les citoyennes de l’Hexagone obtiennent le droit d’exercer une activité professionnelle ou d’ouvrir un compte bancaire… La Bonne Épouse prend racine dans cette époque où le changement se fait encore à pas feutrés, avant d’éclater au grand jour en 1968, lors d’un mois où l’on jette des pavés à la face de la société paternaliste et que l’on rêve de lendemains plus enthousiasmants, du moins plus justes. En attendant, les femmes doivent toujours tenir le foyer, éduquer leurs enfants et se plier au devoir conjugal sans broncher. C’est même ce que l’on apprend dans les écoles ménagères – il en existait encore 1 000 en France en 1967 –, à l’instar de celle tenue dans le film par Paulette (Juliette Binoche).
La comédienne raconte : «Ma grand-mère est allée dans une telle école. Que ça existe, pourquoi pas, mais il faut que ça soit pour tout le monde, filles comme garçons !» Tailleur rose et chignon impeccables, la «maîtresse» de maison, dans un nuage de laque, confirme la réputation de son établissement, lâchant devant les élèves qui s’apprêtent à passer les trois prochaines années au sein de l’honorable institution Van der Beck : «Nous allons vous inculquer les sept piliers qui feront de vous la perle des ménagères. Un rêve pour vos futurs époux.»
Dans cette tâche laborieuse, elle est appuyée par sœur Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky), sorte de dragon en sandales-chaussettes qui rappelle celle de Maëster, et sa belle-sœur Gilberte (Yolande Moreau), vieille fille qui écoute à fond Tombe la neige d’Adamo. Le tout, bien sûr, sous le contrôle strict du mari Robert (François Berléand). Sauf que ce dernier, à la suite d’un accident de «lapin-chasseur», décide de mourir plus tôt que prévu, laissant sa veuve avec des dettes considérables et un amour de jeunesse – et progressiste – qui sort du bois (Édouard Baer). Les certitudes vacillent et les bases du changement à venir sont posées… Et si l’épouse modèle devenait une femme libre ?
Servie par ce joli casting, cette comédie d’émancipation féminine souffle le kitsch et la légèreté, le tout avec un brin de nostalgie. On y évoque les célébrités de l’époque (Joe Dassin, Menie Grégoire, Guy Lux et donc Adamo) et on se plaît à voir ce trio d’actrices en action, de situations cocasses en dialogues pétillants. Dans cet hommage appuyé – comme il l’a fait dans ses précédents films – à toutes celles qui s’échappent du carcan où leur appartenance au sexe dit faible les maintient, Martin Provost se plaît aussi à confronter les générations, donnant ainsi le porte-voix aux jeunes élèves, qui n’hésitent plus alors à exprimer leurs souffrances et leurs frustrations, quitte à tout balayer au passage.
Sur le ton du cabotinage, plein de fraîcheur et d’optimisme, La Bonne Épouse explore les bouleversements d’une époque, avant, malheureusement, d’en faire trop sur la fin – on se demande d’ailleurs toujours qu’est-ce qui est passé par la tête du cinéaste. «On ne peut sortir de ce passé que si c’est reconnu», précise, encore, Juliette Binoche. Une remarque qui appuie la nécessité d’un tel film, autour d’un sujet jamais épuisé.
Grégory Cimatti