Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Jérôme Lamantea (47ans) raconte sa descente aux enfers qui la conduit à vivre depuis plus de trois mois dans sa voiture.
Dans une petite rue tranquille de Bellecroix, Jérôme a stationné «cette petite boîte métallique» qu’il ne quitte plus depuis le 15avril. L’ancien sidérurgiste raconte cet engrenage dont il ne souhaite qu’une chose : sortir.
Quand on me demande de quoi j’ai besoin, je ne sais même plus quoi répondre…» Jérôme Lamantea est assis dans sa petite voiture grise depuis le 15 avril. Sur cette banquette arrière trop étroite pour qu’il puisse étendre ses jambes. Deux serviettes étendues sur les fauteuils avant.
Et toutes ses affaires, rangées tant bien que mal. «Je suis à l’aube de ma centième nuit ici. Je ne sais pas comment je tiens. Personne n’est conditionné pour rester cent jours dans une voiture. Comme dans la rue. Quoi qu’on ait fait, ça ne devrait pas être possible. Ça esquinte.»
«Des gens viennent me parler, m’apportent du café»
L’homme de 47 ans a stationné sa Peugeot devant les maisons de ses anciens voisins. Entre deux dos-d’âne de la rue Jeanne-Jugan, un coin tranquille de Metz-Bellecroix. Les voitures ralentissent, les conducteurs regardent. «Des gens viennent me parler, m’apportent du café, de l’eau ou à manger. J’ai pu me raser et me laver grâce à eux.»
La fraternité. «On m’a proposé de vendre de la drogue. J’ai refusé. Une femme m’a aussi demandé de surveiller la voiture de son mari qu’elle croit infidèle. On entend des choses incroyables. Moi, j’écoute, tous les sujets deviennent intéressants», sourit Jérôme. Parmi ceux qui le visitent fréquemment : une femme qui a vécu dans sa voiture il y a dix ans, avec ses deux enfants.
Jérôme ne s’éloigne que très peu. «Je dois la surveiller, toute ma vie est dans cette voiture. J’essaie de m’économiser aussi. Il fait chaud.» Il fait tout de même ses démarches administratives. «Mais c’est loin. Au troisième jour, dans la voiture, je suis allé voir la Ville. On m’a dit qu’il fallait que je sois bénéficiaire du RSA. Je gagne encore un peu trop.» L’AIEM lui a proposé une place dans le foyer du Pont-des-Grilles. «C’était une petite prison. J’ai fui. On m’a envoyé chez le psy aussi. J’y suis allé, mais je n’ai pas un problème psychique, j’ai un problème financier.»
«Je me suis cassé la gueule…»
Pendant dix-sept ans, Jérôme a vécu ici, dans cette rue, à 300 mètres de son stationnement actuel. L’ancien de l’aciérie de Gandrange garde en travers de la gorge les paroles de Nicolas Sarkozy. «Il avait promis que personne ne se retrouverait sur le carreau. Voilà où j’en suis aujourd’hui. Vous voyez le film Seul au monde? Tom Hanks est seul sur une île déserte. Moi, je suis seul dans la civilisation.»
En 2010, quand ArcelorMittal ferme, la direction propose à celui qui était chauffeur de four et représentant du personnel une solution de reclassement. «Un poste de merde, de la poudre aux yeux. Je l’ai refusé.» Une autre offre? «Les conditions salariales n’étaient pas acceptables. Il y a eu un licenciement économique.»
L’engrenage ne s’arrête plus
De petit job en petit job, Jérôme vit sur ses économies. Un dossier d’endettement, les huissiers, un drame familial, l’engrenage ne s’arrête plus. «En 2018, je me suis cassé la gueule, il n’y a pas d’autres mots. Rester trois jours enfermé dans son appartement, dans le noir, on se dit qu’on a touché le fond. C’est pas vrai. Maintenant, je vis dans une boîte métallique. Je sais que ça pourrait être pire : je pourrais être sur le bitume.»
Il stationne sa voiture, sans essence, le 15 avril. Il venait de rendre les clés de son appartement parce qu’il «fallait arrêter les frais. Le propriétaire est venu me voir il y a quinze jours. Il voulait bien me faire livrer mes meubles, n’importe où, gratuitement. J’ai demandé aux assistantes sociales, mais il n’y avait pas de place. Tout est parti à la déchetterie. Ça, ça m’a mis un coup.»
Jérôme voudrait «retrouver une situation normale, une famille, un logement, un emploi et que personne ne vive jamais plus à la rue». Il a postulé depuis quinze jours pour l’attribution d’un logement. Il attendait, mardi, une réponse.
Lisa Lagrange (Le Républicain lorrain)
