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La partition du nouveau monde

Alors que nous nous rendons dans la réserve naturelle de la Schlammwiss, l’alarme d’une étude sur l’entrée dans la sixième extinction de masse des espèces résonne à nos oreilles. Littéralement.

Dans cet îlot de verdure, où le chant des oiseaux migrateurs et la danse des roseaux jouent une douce mélodie, un autre son de cloche se joue à la marge : devant, l’autoroute A1 et son trafic incessant; à côté, la voie de chemin de fer et le passage d’un tracteur; et dans le ciel, un avion venu du proche Findel…

Ce vacarme est la partition du nouveau monde. Selon une étude publiée lundi par des chercheurs d’universités américaines et mexicaines, les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100 en un siècle. Un «anéantissement biologique» qui frappe aveuglément, grâce à une recette mortifère – développement urbain, agricole et industriel.

Le bucolique Luxembourg, lui aussi, ne fait plus illusion : l’homme n’est jamais loin. La formidable expansion du pays ces dernières décennies a un prix : 80 % des zones humides, 35 % des pelouses sèches et 59 % des vergers ont disparu entre 1962 et 1999. De nos jours, la moitié des mammifères et le quart des oiseaux nicheurs sont menacés.

Chaque coup de pelleteuse entraîne une réaction en chaîne inimaginable. À la Schlammwiss, un simple roseau nous l’apprend. Parce que des agriculteurs ont accepté de céder leur terrain, ce roseau a pu pousser, accueillir des pucerons qui attireront des insectes, insectes qui attireront à leur tour des oiseaux migrateurs comme le Pipit spioncelle. L’hiver, ce passereau ne va pas se dorer la pilule en Afrique. À la différence des autres migrateurs, il quitte les rigueurs alpines pour venir s’installer au Luxembourg!

Des histoires comme ça, la Schlammwiss en regorge, comme autant de victoires contre la marche implacable de l’histoire. Mais même notre guide Jim Schmitz, artisan infatigable de la protection de la Schlammwiss, ne peut s’empêcher de dresser ce constat lugubre : «Quand je compare la nature actuelle avec celle de ma jeunesse, je vois clairement qu’il y a eu une perte de biodiversité irréversible». Irréversible comme ces chants d’oiseaux qui ne résonnent désormais plus qu’à travers des haut-parleurs…

Romain Van Dyck (rvandyck@lequotidien.lu)