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L’affaire Amazon met Juncker sous pression


Margrethe Vestager, le 4 octobre à Bruxelles. Pour la Commissaire européenne à la Concurrence, les rulings accordés par le Luxembourg à Amazon constituaient des "avantages fiscaux illégaux". (Photo: AFP)

Le Luxembourg est à nouveau rattrapé par l’affaire LuxLeaks. La Commission européenne a exigé mercredi d’Amazon qu’il rembourse 250 millions d’euros aux autorités fiscales luxembourgeoises. Le groupe conteste. Le gouvernement «analyse» la décision de Bruxelles.

L’exécutif européen qualifie «d’avantages fiscaux illégaux» les tax rulings accordés par le Grand-Duché à Amazon. Cette affaire maintient la pression sur Jean-Claude Juncker dans le dossier de la taxation des géants américains du numérique.

Rencontré juste avant l’été, un responsable de Luxembourg for Finance (LFF), l’organe de promotion de la place financière, nous l’avait certifié : «Vous verrez, toute cette affaire LuxLeaks va finir en eau de boudin et la Commission européenne abandonnera les poursuites contre le Luxembourg.» C’était compter sans la détermination et la pugnacité de Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la Concurrence. Près de trois ans après l’ouverture d’une enquête approfondie de l’exécutif européen contre les pratiques fiscales d’Amazon, elle a exigé mercredi 5 octobre de l’entreprise américaine qu’elle rembourse 250 millions d’euros aux autorités fiscales luxembourgeoises.

Le spécialiste du commerce en ligne, dont le siège européen se trouve à Luxembourg, a bénéficié, selon elle, de «subventions déguisées». «Grâce aux avantages fiscaux illégaux accordés par le Luxembourg à Amazon, près de trois quarts des bénéfices d’Amazon n’étaient pas imposés. En d’autres termes, Amazon a pu payer quatre fois moins d’impôts que d’autres sociétés locales soumises aux mêmes règles fiscales nationales», a déclaré la Commissaire danoise devant la presse à Bruxelles, mercredi. Les faits incriminés par la Commission portent sur les années 2006 à 2014. Des filiales d’Amazon au Grand-Duché bénéficiaient par le biais de tax rulings de taux d’imposition effectifs sur leurs bénéfices parfois inférieurs à 1 %.

Pour le Luxembourg tout était conforme

«Amazon a été imposée en conformité avec les règles fiscales en vigueur à l’époque des faits», a réagi mercredi matin le ministère luxembourgeois des Finances dans un communiqué. Il a indiqué qu’il allait «analyser la décision de la Commission», tout en soulignant qu’elle «se réfère à une époque remontant à 2006». Le Luxembourg campe ainsi sur la ligne de défense adoptée depuis novembre 2014 et la révélation du scandale LuxLeaks, affirmant avoir mis fin à ces pratiques et agir désormais en conformité avec les règles internationales. Cette réaction présage que le Grand-Duché n’exigera pas d’Amazon le remboursement de ses 250 millions d’euros d’arriérés d’impôts. Le Luxembourg applique, de ce point de vue, une position identique à celle de l’Irlande avec Apple (lire ci-dessous).

Amazon a de son côté contesté la décision européenne, estimant n’avoir «reçu aucun traitement spécial de la part du Luxembourg». «Nous avons payé nos impôts en totale conformité à la fois avec les règles fiscales internationales et luxembourgeoises», a affirmé le groupe. «Nous allons étudier la décision de la Commission et considérer toutes les options légales, y compris un appel.»

Accusée dans le passé par Washington de cibler plus particulièrement les entreprises américaines, Margrethe Vestager a pour sa part revendiqué mercredi son impartialité : «Ce n’est pas une question de nationalité d’entreprise. Il n’y a pas de parti pris de ma part, peu m’importe le drapeau national» d’une compagnie. De même, celle à qui l’on prête l’ambition de succéder à Jean-Claude Juncker s’est défendue d’une attaque personnelle contre le Luxembourgeois, précisant ne pas enquêter «sur des personnes», mais sur le «comportement d’États membres».

«Une politique fiscale appropriée»

Jean-Claude Juncker était Premier ministre et ministre des Finances du Luxembourg au moment où l’administration des Contributions directes (ACD) avait accordé des tax rulings à Amazon. Ces accords fiscaux anticipés avaient permis au géant américain de la distribution en ligne de se soustraire à l’impôt dans les autres pays européens en rapatriant artificiellement ses bénéfices au Luxembourg.

Le président de la Commission européenne est régulièrement cité dans le cas Amazon car il avait rencontré au moins deux fois, au début des années 2000, Bob Comfort, le responsable de la fiscalité du groupe de Seattle. Interpellé sur ces entrevues, l’ancien ministre des Finances avait soutenu qu’ils avaient parlé des visas et de la scolarisation des enfants des futurs employés américains d’Amazon au Luxembourg.

Au centre du dispositif figurait la filiale Amazon Europe Holding Technologies. Sur ses déclarations fiscales 2008 et 2009, il est indiqué que cette société établie à Luxembourg avait réalisé quelque 500 millions d'euros de recettes et n'employait aucun salarié.

Au centre du dispositif figurait la filiale Amazon Europe Holding Technologies. Sur ses déclarations fiscales 2008 et 2009, il est indiqué que cette société établie à Luxembourg avait réalisé quelque 500 millions d’euros de recettes et n’employait aucun salarié.

Au cours des trois dernières années, Jean-Claude Juncker s’est constamment défendu d’être intervenu sur la fiscalité d’Amazon. En 2003, devant la Chambre des députés du Grand-Duché, il avait pourtant avancé que la venue d’Amazon au Luxembourg était notamment «le résultat d’une politique fiscale appropriée».

De la même manière, l’ancien ministre des Finances nie sa responsabilité dans l’élaboration par son administration d’une industrie de tax rulings illégaux au bénéfice de multinationales.  Cette pratique avait été dévoilée au grand jour par LuxLeaks, le scandale révélé par Antoine Deltour et Raphaël Halet. Ces anciens employés de PWC avaient fait fuiter plus de 500 tax rulings et déclarations fiscales négociés par leur employeur avec le fisc luxembourgeois pour des multinationales, en majorité américaines et britanniques.

Une illégalité connue de longue date

En décembre et janvier derniers, au cours du procès en appel au Luxembourg contre les deux lanceurs d’alerte, la défense de Raphaël Halet avait plaidé l’illégalité des tax rulings pratiqués par le Grand-Duché. Dans sa déclaration à la presse, Margrethe Vestager a pointé hier «des avantages fiscaux illégaux».

Dès 1996, Jean-Claude Juncker était alerté sur l’illégalité des tax rulings luxembourgeois à l’égard du droit communautaire dans un rapport rédigé par Jeannot Krecké, le futur ministre de l’Économie, alors député socialiste. Lorsque, à l’été 2015, des eurodéputés pressaient Jean-Claude Juncker de questions à ce sujet, il assurait avoir égaré la page portant sur les tax rulings. Avant de la retrouver quelques semaines plus tard et d’attester ne l’avoir jamais lue. Encore une affaire qui a fini en « eau de boudin ».

 

L’Irlande assignée devant la justice européenne

L’exécutif européen a également décidé mercredi 4 octobre de s’attaquer à l’Irlande qui n’a toujours pas récupéré les plus de 13 milliards d’euros d’impôts impayés auprès d’Apple, comme il le lui avait ordonné il y a un peu plus d’un an. «Plus d’un an après l’adoption de cette décision, l’Irlande n’a toujours pas récupéré la somme, ne fût-ce qu’en partie. C’est pourquoi nous avons décidé aujourd’hui d’assigner l’Irlande devant la Cour de justice de l’UE pour non-exécution de notre décision», a déclaré Margrethe Vestager.

Le 31 août 2016, la Commission européenne avait en effet accusé Apple «d’avoir bénéficié d’avantages fiscaux indus» de la part de l’Irlande. C’est dans ce pays que se trouve le siège d’Apple en Europe, là où l’entreprise enregistre tous les bénéfices réalisés sur le Vieux Continent, ainsi qu’en Afrique, au Moyen-Orient et en Inde. Cette annonce a «extrêmement déçu» Dublin. Le ministère des Finances irlandais a assuré dans un communiqué avoir fait «des progrès significatifs sur ce sujet complexe» et considère que la Commission européenne a pris une décision «totalement inutile».

Apple n’a pas directement réagi à la décision prise mercredi, mais simplement répété qu’il coopérait avec l’Irlande et espérait au final avoir gain de cause devant la justice européenne. L’Irlande comme Apple avaient déjà fait appel de cette décision.

Le Luxembourg ne veut pas l’argent de Fiat

Amazon et Apple ne sont pas les seules grandes multinationales dans le collimateur de la Commission européenne pour avantages fiscaux indus. En octobre 2015, l’exécutif européen avait exigé de Starbucks et Fiat le remboursement des aides reçues «illégalement» respectivement par les Pays-Bas et le Luxembourg. Comme l’Irlande, ces deux pays ont fait appel de la décision de la Commission.

Les annonces de mercredi interviennent dans un contexte de grande croisade de la Commission européenne contre les pratiques fiscales des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Vendredi 29 septembre, lors d’un sommet européen à Tallinn, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, avait indiqué que l’exécutif européen proposerait de nouvelles règles pour mieux taxer dans l’UE les géants du numérique, comme Google ou Apple, malgré la résistance de certains États membres.

Les grands groupes du numérique sont régulièrement accusés de pratiquer l’optimisation fiscale grâce à des montages financiers qui minimisent leurs impôts. Ces entreprises transfèrent artificiellement des bénéfices pourtant réalisés dans toute l’UE dans un seul État membre, comme l’Irlande ou le Luxembourg, où elles bénéficient d’un taux d’imposition avantageux.