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[Bande dessinée] «Délivrance» : survivre, pour mieux mourir


(Photo : kim gérard)

Après la fin du monde, deux frères cherchent l’espoir au milieu de terres dangereuses et désolées : bienvenue dans Délivrance, roman graphique curieux et sans concession signé Kim Gérard.

Tenir bon, voilà la seule chose que peuvent espérer les frères Ikar et Graham, protagonistes de Délivrance. Un solide premier roman graphique de Kim Gérard, qui se laisse aller ici à sa vision de l’apocalypse : poisseuse, sanglante et captivante. Sur les terres désertiques parcourues par les deux frères, le danger peut surgir de partout, y compris d’eux-mêmes : la fin du monde atomique a rendu les humains immortels, tout en les faisant sombrer dans une lente démence. D’autres ont poursuivi leur transformation jusqu’au stade final, devenant d’énormes bestiaux sanguinaires et sans états d’âme qu’on appelle les «oubliés». Dans ce monde, c’est marche (beaucoup) ou crève (jamais). Ikar et Graham errent donc dans un but précis : trouver «l’oasis», un petit coin de jardin perdu au milieu du sable et de l’aridité. Il paraît même qu’on peut y mourir, libéré de tout tourment…

Tout le récit de Délivrance tourne ainsi autour de l’espoir. Mais avec plus de 300 pages, la BD a largement le temps de s’imposer par son dessin, qui distribue quelques uppercuts au foie. Comme pour le scénario, le style de Kim Gérard croise les influences de la BD franco-belge d’hier (Hergé, Moebius) et d’aujourd’hui (Frederik Peeters) avec celles du «seinen manga» (Berserk, Akira, One Punch Man…), mais c’est bien la violence crue héritée de ce dernier qui frappe le plus souvent. Le premier tiers du récit naît principalement d’une suite d’affrontements, chacun plus dangereux (et gore) que le précédent, mais il montre aussi le talent qu’a l’auteur pour raconter son histoire avec l’image. Les personnages rencontrés, des tribus cannibales façon Mad Max aux ennemis les plus monstrueux, complètent le portrait sans concession de ce monde désolé, tandis que Kim Gérard glisse avec subtilité des éclats d’intrigue au beau milieu du chaos.

Pour son premier livre, l’auteur se montre d’ailleurs si doué pour l’«image-récit» que cela finit par desservir en partie l’œuvre, sans doute trop bavarde dans son entièreté. Une bonne poignée de séquences de dialogue sont superflues à la compréhension de l’histoire, tandis que les explosions de violence, si elles restent toujours aussi percutantes, finissent par tourner à la redite. Plus compact et limitant ses recours aux bulles, Délivrance aurait peut-être décuplé son choc. Il faut plutôt voir le livre comme un exercice de style empruntant à ses influences toutes sortes de règles et s’y pliant avec assiduité; dans ce cas, Kim Gérard réussit son coup haut la main. Car c’est un peu cela, Délivrance : un épais «one shot» conçu sur le modèle du manga à épisodes et donc réglé selon une mécanique narrative définie, qui peut finir par irriter – autre élément qui contribue à en faire un curieux objet hybride pour lequel on finit par se passionner.

T’as jamais pensé à laisser l’amnésie t’emporter? Plus de souffrance. Plus rien

À rebours de la tendance qui a fait du genre postapocalyptique un amplificateur des questions actuelles d’urgence écologique, Kim Gérard donne à son roman graphique une ampleur surtout philosophique, autour des questions d’humanité (l’humain s’«oublie» au profit du surhumain, puis de l’inhumain) et de souffrance (omniprésente dans le livre). La mort est ici synonyme d’espoir – ce que laisse aussi entendre le titre. La délivrance est certes symbolisée par ce petit bout de terre où l’herbe pousse, et l’espoir incarné par une petite fille aux dons précieux, fragile incarnation de possibles jours meilleurs. Mais pris au mot, le message est un peu lisse. Il faut laisser infuser les idées et les thématiques proposées par l’auteur pour atteindre le récit dans sa profondeur; la chose n’a rien d’aisé, quand son univers visuel est aussi fort que celui de Délivrance. La vision d’artiste derrière les longueurs et les stéréotypes fascine et l’on finit par tomber sous le charme (pour ainsi dire) de ce curieux objet hybride avec lequel un auteur débutant aura su piquer notre curiosité.

Délivrance, de Kim Gérard. Glénat.

L’histoire

Dans un monde postapocalyptique où tout n’est que désespoir et désolation, deux frères ont entrepris de traverser les terres meurtries pour mettre fin à leurs tourments. Ils savent qu’au-delà du désert, il existe une oasis où l’herbe pousse encore et que là-bas la mort est douce et accessible. Quand ils s’approchent enfin de cette oasis, ils découvrent, stupéfaits, qu’elle prend la forme d’un enfant providentiel. Elle incarne l’espoir après l’effondrement, mais un espoir fragile. L’humanité pourra-t-elle vraiment renaître du chaos?

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