Le premier avocat général John Petry va demander des peines moins lourdes pour les deux lanceurs d’alerte et l’acquittement du journaliste.
Six mois de prison assortis du sursis intégral et 1 500 euros d’amende pour Antoine Deltour, une amende simple pour Raphaël Halet et, comme en première instance, l’acquittement du journaliste Édouard Perrin : les peines que devrait demander le premier avocat général John Petry dans sa plaidoirie sont moins sévères pour les lanceurs d’alerte que celles qui leur ont été infligées en première instance, le 29 juin.
Selon les informations du Quotidien, pour l’accusation, la question centrale de ce procès en appel est de déterminer si les deux anciens employés de PWC, à l’origine des fuites, peuvent se prévaloir de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression et s’ils répondent à la définition du lanceur d’alerte tel que définie par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La réponse qu’apportera le premier avocat général à cette question devrait être quelque peu à l’image du jugement en première instance qui, tout en reconnaissant qu’Antoine Deltour et Raphaël Halet avaient agi dans l’intérêt général, les a condamnés, notamment pour vol domestique, violation du secret professionnel et violation du secret des affaires.
La loi votée mardi
Au vu des changements réglementaires et législatifs que l’affaire LuxLeaks a entraînés au niveau international dans le domaine de la fiscalité, l’accusation ne contestera pas l’intérêt général des révélations. Le plus concret de ces changements est l’introduction de l’échange automatique des rulings entre administrations fiscales de l’Union européenne notamment. Hasard du calendrier ou non, c’est demain, mardi, que les députés luxembourgeois doivent voter la loi sur l’échange automatique. Il est un fait aussi que la divulgation des documents à l’échelle mondiale, le 5 novembre 2014, a placé la question de la fiscalité des multinationales au centre du débat politique et citoyen.
Le premier avocat général introduit cependant des nuances, estimant qu’aussi bien Antoine Deltour que Raphaël Halet n’étaient pas motivés par l’intérêt général au moment où ils ont téléchargé les documents des serveurs informatiques de PWC. Il juge également qu’en leur qualité d’employés d’une entreprises de réviseurs d’entreprise, les deux hommes étaient fortement liés par le secret professionnel.
Plus nuancé que l’accusation et les juges en première instance, John Petry demanderait l’acquittement d’Antoine Deltour et de Raphaël Halet pour les infractions de violation du secret des affaires et de blanchiment de fraude informatique, pour ne retenir que le vol domestique, la fraude informatique, la violation du secret professionnel et le blanchiment de l’objet du vol domestique. En ce qui concerne le journaliste Édouard Perrin, le premier avocat général devrait demander confirmation du jugement de première instance, à savoir son acquittement.
La faute aux multinationales
John Petry écarterait en revanche toute question sur le fond de l’affaire, à savoir la pratique des rulings et leur légalité. Selon nos informations, il avancera que le Luxembourg a favorisé presque à son insu l’évasion fiscale des multinationales en raison d’une législation fiscale internationale incohérente, chaque pays possédant ses propres lois. Il estime aussi que les multinationales ont tiré profit de ces incohérences pour se voir accorder des rulings minimisant à l’extrême leur imposition avec des taux effectifs dépassant rarement 5%.
Le premier avocat général juge encore que la question n’est pas pertinente, car Antoine Deltour n’avait pas critiqué la légalité des rulings ou les agissements du fisc au moment de leur divulgation, sachant que Raphaël Halet n’avait pour sa part fait fuiter que des déclarations fiscales de sociétés comme Amazon ou IKEA. John Petry semble aussi faire peu de cas des éléments nouveaux apparus dans ce dossier ces derniers mois, comme l’étude publiée sur le sujet par le chercheur américain Omri Marian. Ses conclusions battent en brèche la conformité des rescrits fiscaux, jugeant impossible pour le fisc d’évaluer la régularité des demandes que lui soumettait PWC au nom de ses clients.
Convoquer Kohl en janvier
Autant de raisons ayant poussé les avocats de Raphaël Halet et Édouard Perrin à convoquer Marius Kohl comme témoin à l’audience ce lundi Mais le préposé à la retraite du bureau Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes a produit un certificat médical le dispensant de se rendre devant le tribunal dans les trois semaines à venir. Marius Kohl avait accordé à lui seul des milliers de rulings à des multinationales au nom du fisc.
«Tout concourt à penser que le tribunal ne veut surtout pas entendre Marius Kohl et se pencher sur la légalité des rulings», commente Me Bernard Colin, le défenseur de Raphaël Halet, joint par Le Quotidien. Et l’avocat français du lanceur d’alerte de poursuivre : «La question de la légalité est de premier ordre dans le jugement que va rendre le tribunal pour évaluer le degré de culpabilité des prévenus. Si les rulings accordés n’étaient pas légaux, cela change tout du point de vue de la balance des intérêts.» L’absence de Marius Kohl dans les prochaines semaines n’est toutefois pas un handicap pour Me Bernard Colin : «S’il ne peut pas répondre à nos convocations tout de suite, nous pouvons très bien attendre et l’entendre en janvier.» Si du moins les juges de la Cour d’appel partagent son avis.
Fabien Grasser