Accueil | Actualités | LuxLeaks : retour sur les six premières journées d’audience

LuxLeaks : retour sur les six premières journées d’audience


L'ex-employé de PwC Raphaël Halet (à droite), en compagnie de ses avocats Me May Nalepa et Me Bernard Colin. (photo LQ)

Depuis le mardi 26 avril, les Français Antoine Deltour (30 ans), Raphaël Halet (39 ans) et Édouard Perrin (44 ans) à l’origine des révélations sur l’affaire LuxLeaks comparaissent devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Luxembourg. Avant la reprise du procès ce mardi 10 mai (9h), retour sur les six premières journées.

Comme l’ex-auditeur Antoine Deltour, l’ex collaborateur de PwC Raphaël Halet est accusé de vol domestique, de divulgation de secrets d’affaires, de violation de secret professionnel et de blanchiment des documents volés chez PwC.

Le journaliste Édouard Perrin, quant à lui, doit répondre comme coauteur des infractions de divulgation de secrets d’affaires et de violation du secret professionnel et, comme auteur, de l’infraction de blanchiment-détention des seuls documents soustraits par Raphaël Halet.

Le procès LuxLeaks entame ce mardi matin sa troisième semaine. Où en sont les débats ? Le Quotidien fait le point des six premières journées d’audience.

Première journée (26 avril 2016) : faille informatique

C’est dans une salle comble que le procès LuxLeaks s’ouvre sous l’œil d’une quarantaine de médias nationaux comme internationaux. Audience lors de laquelle les trois prévenus prennent une première fois position par rapport aux infractions qui leur sont reprochées. «Je reconnais la matérialité des faits», affirme ainsi Antoine Deltour. Raphaël Halet dit pour sa part : «Je conteste la qualification de certains faits.» Enfin, le journaliste Édouard Perrin déclare : «Je conteste.»

Dans la foulée, Anita Bouvy, l’auditrice de PwC, présente son rapport d’enquête interne révélant une faille informatique. À la demande de Me William Bourdon, l’avocat français d’Antoine Deltour, elle confirme : «Oui, les documents étaient faciles d’accès.» Ce qui a permis au lanceur d’alerte d’accéder le 13 octobre 2010 à 2669 documents et de les copier en 29 minutes. Raphaël Halet, quant à lui, avait libre accès aux documents dérobés en tant que membre, depuis 2011, de la cellule «tax process support» chargée notamment du scanning de centaines de documents de PwC. C’est ainsi qu’en 2012 il soustrait 16 fichiers contenant des déclarations fiscales d’entreprises clientes.

Deuxième journée (27 avril 2016) : «Anticapitaliste»

L’effervescence de la veille est retombée. L’affluence est beaucoup moins importante, y compris du côté des médias étrangers. Le commissaire de la police judiciaire Roger Hayard révèle la chronologie de l’enquête et le rôle qu’ont joué les trois prévenus. Il qualifie Antoine Deltour d’«anticapitaliste» en relevant notamment le fait qu’il est abonné à des newsletters de mouvements verts et suit l’actualité du journal Mediapart. Le journaliste, Édouard Perrin, quant à lui, aurait «tout orchestré» après avoir été contacté par Raphaël Halet. L’enquêteur retient, en outre, qu’il n’a «vraiment pas été communicatif» lors de sa comparution devant le juge d’instruction. La défense finit par douter de la manière dont l’enquête a été menée : n’a-t-elle pas été davantage conduite par PwC que par la police judiciaire ?

En fin d’audience, la défense apprend que son témoin tant attendu Marius Kohl – l’ancien préposé du fameux bureau 6 de l’imposition des sociétés – ne témoignera pas. II a remis un certificat médical pour la durée du procès.

Troisième journée (28 avril 2016) : «Changements de pratiques»

L’audience est suspendue au bout d’une heure. Car seuls trois témoins de la défense sont disponibles ce jour-là. Parmi eux, l’eurodéputé allemand Sven Giegold (les Verts), également membre de la commission spéciale TAXE du Parlement européen chargée, à la suite du scandale LuxLeaks, d’enquêter sur la pratique des rescrits fiscaux. À la demande de la défense, le témoin détaille l’impact de la publication des documents confidentiels. «Sans lanceur d’alerte, on n’aurait pas eu de changement de pratiques», résume-il. En fin d’audience, la défense annonce avoir cité le supérieur hiérarchique de Marius Kohl. Le directeur de l’administration des Contributions directes, Guy Heintz, est convoqué pour le lendemain par le biais d’un huissier de justice.

Quatrième journée (29 avril 2016) : PwC travaille pour le fisc

Les 35 minutes d’audition du témoin Guy Heintz ne font pas lumière sur le fonctionnement et les procédures suivies concernant la vérification et la validation des rulings. Le témoin s’appuie sur trois textes légaux : le « code pénal», le «statut des fonctionnaires » et le « secret fiscal ». La majorité des questions posées par la défense restent sans réponse. Tout ce qu’on apprend, c’est qu’une cinquantaine de personnes étaient affectées en 2010 au bureau 6.

10 h 15 : Tous les témoins ayant été entendus, l’audition des trois prévenus peut commencer. Raphaël Halet est le premier à être entendu à la barre. L’ancien responsable de la numérisation des documents de PwC au Luxembourg explique avoir été « choqué» après avoir visualisé l’émission Cash investigation, réalisée par Édouard Perrin, en mai 2012. «J’ai compris davantage le contenu des documents qu’on voyait passer [chez PwC].» En divulguant au journaliste 16 déclarations fiscales de sociétés clientes, il dit avoir « fait (so)n devoir de citoyen ». Mais la suite de ses propos diffère de la version qu’il a donnée devant le juge d’instruction en janvier 2015. À la barre, Raphaël Halet disculpe le journaliste Édouard Perrin. Il soutient que ce dernier ne lui a pas demandé de documents précis. Le parquet s’interroge sur ce revirement.

L’audience se termine d’une manière quelque peu habituelle. Le tribunal accepte que Me Bernard Colin interroge son propre client. À partir de toute une série de questions, Raphaël Halet déballe le système des rulings tel que pratiqué par PwC à l’époque. Il estime à 40 à 50 le nombre de tax rulings qui partaient le mercredi après-midi au fameux bureau 6 d’imposition des sociétés de Marius Kohl. Les rulings partaient à 13 h 30 pour revenir à 17 h 30. Selon le prévenu, les trois quarts revenaient signés. Et PwC s’occupait également d’imprimer les rescrits fiscaux sur papier à en-tête de l’administration des Contributions directes.

Cinquième journée (3 mai 2016) : «Devoir de citoyen»

La deuxième semaine du procès débute avec l’audition du lanceur d’alerte Antoine Deltour et du journaliste Édouard Perrin. À la barre, l’ex-auditeur de PwC affirme avoir été à la recherche de documents de formation qui pouvaient lui être utiles à l’avenir, quand il est tombé sur les 45000 pages de documents concernant plus de 400 rescrits fiscaux, la veille de son départ, le 13 octobre 2010. «Je suis surpris d’avoir un accès libre à ces documents. C’est un peu l’opportunité qui me fait prendre la décision de copier sans intention précise», finit par répondre le prévenu interrogé sur sa motivation. En transmettant les documents au journaliste quelques mois plus tard, Antoine Deltour estime avoir «fait (s)on devoir de citoyen : Si j’ai accepté sa demande, c’est pour susciter un débat sur la pratique des tax rulings.»

Lire aussi : Quand le juge défend la réputation du Luxembourg

 

À la différence de l’audition d’Antoine Deltour qui a duré près de deux heures, celle d’Édouard Perrin se termine au bout d’une bonne demi-heure.  À la barre, le journaliste confirme que c’est Raphaël Halet qui a pris contact avec lui. Il est toutefois formel : il n’a jamais demandé de documents précis au collaborateur de PwC. Le journaliste conteste ainsi la déclaration de l’enquêteur selon laquelle il a «tout orchestré». «Je suis journaliste. Et je ne suis commanditaire de rien du tout», conclut Édouard Perrin. À la question du parquet de savoir s’il est intervenu pour que Raphaël Halet essaie de le disculper, il réplique : «La réponse est clairement non.»

Sixième journée (4 mai 2016) : la défense plaide la relaxe

C’est l’avocat de la partie civile, Me Hervé Hansen représentant PwC, qui entame le long marathon des plaidoiries. Il réclame un euro symbolique pour le préjudice. «Le chiffrer avec précision nécessiterait une enquête considérable», plaide-t-il. PwC demande, par ailleurs, au tribunal «de reconnaître sa qualité de victime». Enfin, la partie civile remet en cause le statut de lanceur d’alerte d’Antoine Deltour et Raphaël Halet. Selon Me Hansen, il s’agit d’une «invention ex post facto concoctée pour les besoins de la défense».

Les avocats de la défense, quant à eux, plaident la relaxe. Ils soulèvent l’intérêt général de l’action de Raphaël Halet et Antoine Deltour. «PwC a mis en œuvre la promotion d’une évasion fiscale à une échelle industrielle», constate Me Bernard Colin, l’avocat de Raphaël Halet. «L’action des lanceurs d’alerte aura permis de dénoncer la pratique de l’évasion fiscale.»

Même refrain du côté de la défense d’Édouard Perrin : «Il s’agit de faire la balance des intérêts commerciaux de PwC et l’intérêt du public», estime Me Olivier Chappuis. L’avocat parisien parle, par ailleurs, d’«un véritable procès en sorcellerie» contre son client. « Toute autre décision qu’une relaxe serait une atteinte à la liberté d’expression du journaliste», souligne-t-il avant de conclure : «Vous devez relaxer Édouard Perrin. En le condamnant, c’est le Luxembourg qui se condamnerait lui-même.»

La suite des débats

Initialement, six audiences étaient prévues pour le procès LuxLeaks. Ce mardi matin à 9h, le procès entame sa septième journée. C’est désormais au tour des plaidoiries de Me Roland Michel, l’avocat luxembourgeois d’Édouard Perrin, ainsi que celles de Me Philippe Penning et Me William Bourdon, avocats d’Antoine Deltour. Suivra le réquisitoire du procureur d’État adjoint, David Lentz. Si les débats ne sont pas achevés en fin d’audience, ils se poursuivront mercredi après-midi à 15h.

Fabienne Armborst