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[Gardiens de la nature] Le bel envol de la viande bio


Cinquante vaches de race limousine et leurs petits sont élevés dans la ferme d’Arthur Meyers. (Photos : erwan nonet)

Ces dernières années, la viande bio luxembourgeoise connaît un réel essor. Avec la création d’un groupement d’intérêt pour la commercialiser (l’IVLB), le secteur a su s’organiser pour répondre à la demande.

Longtemps, l’expansion de l’élevage bio luxembourgeois a été freinée par la difficulté de créer un réseau efficace de production, de transformation et de commercialisation. Pourtant, l’Interessegemeinschaft Vermarktung Lëtzebuerger Biofleesch (IVLB, Groupement d’intérêt pour la commercialisation de la viande bio luxembourgeoise, en français) a semble-t-il compris la recette. Aujourd’hui, la coopérative rassemble 46 éleveurs, soit pratiquement la totalité des producteurs de viande bio luxembourgeoise. On y trouve essentiellement des bovins, mais aussi des porcs et des moutons.

Depuis sa ferme située dans le petit village de Hersberg (commune de Bech), aux portes du Mullerthal, Arthur Meyers se félicite du dynamisme du secteur. «Le nombre de membres augmente désormais régulièrement, nous n’étions que 28 en 2018», illustre-t-il. Cette croissance s’explique pour différentes raisons.

La plus importante, sans doute, est que le marché évolue. La première marque créée par l’IVLB a été Bio Maufel, lancée dès la constitution du regroupement. Mais à l’origine, pour trouver cette viande, il fallait aller directement dans les fermes des adhérents ou dans la seule boucherie qui la vendait, à Belair (Oswald, aujourd’hui Niessen), ou dans les supermarchés Naturata, où par nature, la viande n’est pas la denrée la plus prisée. Les clients devaient donc être motivés pour l’acheter, mais la demande restait faible.

Depuis, le programme Natur Genéissen lancé en 2014 par le Sicona (le syndicat intercommunal pour la protection de la nature, dans l’ouest du pays) a fait beaucoup de bien. Grâce à lui, les cantines des maisons relais de son réseau se fournissent désormais en viande bio luxembourgeoise labellisée Bio Maufel.

Et depuis, l’an passé, c’est Restopolis qui est devenu client et prépare cette viande bio aux élèves des écoles et des lycées du pays. À tel point qu’aujourd’hui, «la demande excède l’offre», reconnaît Arthur Meyers. Alors, faut-il produire plus  «Oui, bien sûr, mais nous devons également être raisonnable.» Créer une bulle qui mènerait à la surproduction serait catastrophique pour la filière.

De plus en plus d’éleveurs (…) ne sont plus très loin de franchir le pas du bio

Il faut être patient, aussi. On ne transforme pas une exploitation du conventionnel au bio sur un coup de tête. Cela se prépare longtemps en amont, s’apprend petit à petit et, une fois que l’on est prêt à se lancer, il faut encore attendre deux ans avant de valider sa conversion et avoir le droit de poser le label bio sur sa production. «Ce sont deux années délicates puisque l’on est en bio avec tous les surcoûts que cela implique, mais on vend de la viande conventionnelle, donc pas au prix du bio.» Tout cela se budgétise, mais ce n’est pas une décision à prendre à la légère. Toutefois, «je constate qu’avec l’accroissement de la demande, de plus en plus d’éleveurs qui étaient en phase de réflexion ne sont plus très loin de franchir le pas aujourd’hui».

Une autre raison de la réussite de l’IVLB, c’est son argument massue : il est le seul à fixer les prix de la viande qu’il distribue. «Nous les lançons après concertations en septembre, les acheteurs sont prévenus quatre semaines à l’avance, précise Arthur Meyers. Ces prix sont les mêmes pour tout le monde. C’est un avantage pour nous, bien sûr, parce que nous n’avons pas à négocier le prix de chaque bête, mais c’est aussi bénéfique pour nos clients qui savent exactement ce que la viande va leur coûter dans l’année.» Pour que ce système fonctionne, il faut évidemment rester raisonnable pour que tout le monde puisse s’y retrouver et c’est visiblement le cas : «Nos prix sont acceptés sans problème par les acheteurs.»

Fort de ses deux labels (Bio Maufel et Bio Green Beef, ce dernier distribué en exclusivité dans les supermarchés Cactus), les éleveurs bios adhérents à l’IVLB ont donc le vent en poupe. Il reste toutefois un acteur de taille modeste sur le marché national. Sur les 24 000 bêtes abattues au Luxembourg, seules 900 proviennent de ses étables. La proportion monte cependant entre 30 et 50 % pour les veaux (âgés de moins de 8 mois) et les jeunes bovins (entre 8 et 12 mois).

Et c’est logique, explique Arthur Meyers. «Engraisser les animaux pour les abattre quand ils sont adultes est plus compliqué en bio, puisqu’il faut leur donner du maïs ou du soja, des cultures qui posent problème sur le plan environnemental. Les jeunes bêtes, chez nous, se nourrissent uniquement du lait de leur mère, ainsi que de l’herbe en pâturage ou comme ensilage et des grains (orge, avoine, blé…) produits sur la ferme.»

Ces arguments essentiellement économiques sont évidemment capitaux, mais ils ne suffisent pas. Pour mener une exploitation agricole en bio, il faut être convaincu par le bien-fondé de la démarche, dans son sens profond. Dans la ferme d’Arthur Meyers, l’affaire n’a jamais vraiment fait débat. «Mon père n’a jamais voulu travailler de manière intensive et le système bio fonctionne très bien dans une exploitation de la dimension de la nôtre, ce qui n’est pas toujours le cas partout.»

L’agriculteur, qui est également enseignant au lycée technique agricole de Gilsdorf, avance deux arguments qui ont fait pencher la balance du côté du bio. Tout d’abord, «le fait d’être indépendant de l’agrobusiness. Les firmes comme Bayer imposent leurs semences, leurs produits, amenuisant le libre-arbitre des fermiers». Et puis, de manière pragmatique, «un bon nombre des prairies et cultures de l’exploitation sont situées dans des zones de protection de l’eau souterraine et comme je bois beaucoup d’eau du robinet, je préfère faire attention à ce que je mets dans mes champs!».

Vrai que ce paysage vallonné, riche de nombreuses structures (haies, bosquets, forêts…), donne envie qu’on le protège!

Où est mangée la viande luxembourgeoise?

Techniquement, le Luxembourg n’est pas loin d’être autosuffisant puisque les éleveurs produisent 90 % de la quantité de viande qui y est vendue. Et pourtant, dans nos assiettes, seul un tiers de la viande provient d’une ferme du pays.

Pourquoi? Une bonne partie des animaux élevés au Luxembourg sont exportés vivants pour être abattus ailleurs. Beaucoup de quartiers avant de bovins (pièces moins nobles : poitrine, tendron, paleron, gîte…) sont également envoyés à l’étranger, faute de demande locale.

On peut regretter ce constat et les kilomètres qui en découlent, mais il suggère aussi que le potentiel de développement de l’élevage luxembourgeois, a fortiori bio, est important.

Carte d’identité

Nom : Arthur Meyers

Âge : 56 ans

Fonction : éleveur membre de l’IVLB, enseignant au lycée technique agricole de Gilsdorf.

Profil : ingénieur agronome diplômé de l’université de Vienne, Arthur Meyers a travaillé dans le privé (abattoir de Luxembourg, Convis…) pendant que ses parents œuvraient encore à la ferme. Il s’y implique davantage depuis qu’ils sont pensionnés, tout en formant la relève au LTA.

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