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[Rugby] «J’espère qu’on ne va pas se prendre une grosse claque»


Alexandre Benedetti : «Je suis fier d’être le DTN de cette fédération.» (Photo : Editpress)

À trois jours de la réception de la République tchèque lors de la 2e journée de la Conférence 1, Alexandre Benedetti, le DTN, dresse un état des lieux du rugby luxembourgeois.

Directeur technique national depuis août 2015, pouvez-vous nous faire un état des lieux du rugby luxembourgeois ?

Alexandre Benedetti : C’est relativement facile et simple : après une bonne dynamique ces dernières années, la crise sanitaire est passée par là. Avec deux saisons blanches, l’impact a été conséquent sur les catégories U16-U18, celles qui doivent assurer la relève. Les effets du covid-19 se font ressentir : ainsi, si lors de la saison 2018/2019, on avait franchi la barre des 1 000 licenciés, nous sommes difficilement à 800.

Cela fait un cinquième de moins, ce qui est loin d’être anodin pour une fédération comme la nôtre. Le premier bilan est celui-ci : ce qui est positif, c’est qu’on a de nouveaux joueurs sur les petites catégories. Ce qui l’est moins, c’est de voir que des joueurs qui ont arrêté, n’ont numériquement pas été remplacés. Mais nos clubs se battent et innovent pour remédier à cela.

J’exagère peut-être, mais je pense ne pas être si loin de la réalité

Et c’est compter sans les absents…

Non. Ça s’est encore autre chose. Ça touche surtout les U16 – U18. Mais cela s’explique du fait qu’à partir des U14, il n’y a plus de championnats domestiques. Les clubs évoluent en Belgique. Là-bas, il n’y a pas de pass sanitaire et il n’est pas nécessaire d’être vacciné ou de présenter un test négatif pour pouvoir jouer.

Ce qui n’est pas le cas au Grand-Duché alors, les clubs belges refusent de venir chez nous. Alors, on nous a expliqué que si on voulait jouer, il fallait disputer tous nos matches en Belgique. Même ceux à domicile.

Bon, généralement, c’est en Wallonie, du côté de Bertrix, donc ce n’est pas si loin, mais cela fait quand même plus d’une heure de route. Après, on se déplace aussi en Flandres à l’occasion de nos fameux matches à l’«extérieur ». Et si vous ajoutez à cela le risque éventuel de contamination…

Pourquoi avoir accepté ces conditions ?

Cela faisait presque deux ans sans compétition, il était nécessaire, voire indispensable, de retrouver les terrains.

Vous évoquiez les difficultés liées à la crise sanitaire, or le virus semble faire son retour. Cela vous inquiète-t-il ?

J’ai l’impression que la situation commence à se tendre au Luxembourg. Cette semaine, et alors que je n’avais pas eu un seul cas depuis le début de la saison, trois pensionnaires de la Lëtzebuerg Rugby Académie (NDLR : centre de formation) ont été mis en quarantaine pour cas contact à l’école.

Par le passé, que ce soit en football ou en handball, afin de hisser leur niveau de jeu, la question de voir des clubs intégrer des championnats étrangers fut évoquée sans que cela aboutisse. Le rugby, lui, c’est le contraire. N’y a-t-il pas une forme d’absurdité ?

Je ne connais pas les détails concernant le football ou le handball, mais j’imagine que s’ils s’interrogeaient sur la pertinence d’évoluer à l’étranger, c’était dans un esprit de compétitivité. Nous, ce n’est absolument pas le cas. On y va par nécessité et besoin. Ni plus ni moins.

Le RC Luxembourg évolue en Bundesliga, Walferdange en 2e Bundesliga. Or au vu de leurs résultats, il semblerait que ces deux clubs ne soient pas à leur place, non ?

L’Allemagne, par exemple, n’est pas un grand pays de rugby, cela ne l’empêche pas d’avoir d’autres moyens que les nôtres. Les meilleurs clubs de Bundesliga ont un fonctionnement qui se rapproche du professionnalisme. Nous, nous sommes assez loin de tout ça.

Par exemple, quand l’entraîneur de Francfort dispose de 60 joueurs à l’entraînement, 60 mecs qui ont pour ambition de gagner leur place en équipe première, le nôtre passe encore des coups de fil la veille au soir à tel ou tel joueur pour être certain qu’il sera bien dans le bus le lendemain.

J’exagère peut-être, mais je pense ne pas être si loin de la réalité. Après, sportivement, nos clubs ont gagné leur place. Et si c’est dur pour eux, ça l’est aussi pour une bonne moitié des équipes de leurs poules.

Le problème, c’est qu’avec cinq clubs, c’est difficile de créer un championnat domestique, non ?

C’est presque impossible… On pourrait avoir des idées ! Mais l’investissement et l’effort demandés sont peut-être trop grands pour nos clubs. De plus, le changement ainsi que la peur de l’inconnu a fini par pousser les clubs à ce compromis « cross-border ».

Cela étant, je suis convaincu qu’il faudra, pour grandir, être en mesure d’avoir plus d’autonomie domestique. Rien n’est idéal, mais ne serait-il pas temps, au vu des circonstances, de réfléchir à un projet qui irait pour le bien collectif ? Il est primordial d’avoir l’adhésion des clubs. En période covid depuis deux ans, aurions-nous moins souffert si l’on s’était montré plus collectif ? J’ai la faiblesse de croire que oui.

Un « Tri-nation » à la luxembourgeoise pourrait nous permettre un début de visibilité et occuper la place sur la scène nationale

Dans chaque crise, après une période de solidarité vient celle du repli sur soi. Le rugby luxembourgeois est-il dans cette phase actuellement ?

C’est ça… Maintenant, en tant que DTN, je me dois d’être neutre. Mon boulot, c’est de privilégier le rugby luxembourgeois. Son avenir et son développement. Après, au vu de la situation, si quelqu’un avait une idée de génie, ce serait bien.

Cette forme de repli est je crois naturelle et il est difficile de reprocher ce comportement. Pour grandir nous devons réfléchir « par », « pour » et « avec » le rugby luxembourgeois un peu plus souvent. Une idée comme une autre, et parce qu’il faut bien commencer quelque part, serait éventuellement de faire le recensement de tous les joueurs licenciés en catégorie seniors et constituer plusieurs équipes à partir de l’effectif total en oubliant à court terme la couleur ou le nom du club.

À court terme, cela paraît compliqué voire impossible! Mais philosophiquement un « Tri-nation » à la luxembourgeoise pourrait nous permettre un début de visibilité et occuper la place sur la scène nationale. Que ce soit pour le gamin ou le spectateur, ne jamais voir son club jouer à domicile, ça va un temps…

Et puis, c’est un peu le serpent qui se mord la queue : on veut grandir, mais aujourd’hui en a-t-on vraiment les moyens? Ne va-t-on pas trop vite? Bon, concernant le championnat, il y aurait un autre problème.

Lequel ?

Il y a cinq clubs. Or on n’a pas autant de terrains…

Êtes-vous inquiet ?

On pourra vraiment faire le bilan une fois sortis de cette crise. J’espère juste qu’on ne va pas encore se prendre une grosse claque.

On vous sent un peu fatigué. On se trompe ?

Cela fait des mois que l’on jongle avec toutes les contraintes actuelles. Au quotidien, c’est assez lourd. Et, aujourd’hui, sans être pessimiste, si on n’a pas d’aide ou d’idée de génie, ça va être compliqué. Le ministère des Sports a déjà fait beaucoup en offrant, par exemple, la première licence à tout nouvel adhérent.

Mais on aurait besoin d’autres moyens. J’ai bien conscience que nous ne figurons même pas parmi les dix premières disciplines au Luxembourg. Nous sommes un sport confidentiel, alors de quel droit pourrait-on revendiquer quoi que ce soit? Il faut d’abord penser à donner avant de recevoir. Alors, on va continuer de travailler.

À vous écouter, on a l’impression que le rugby luxembourgeois est face à un chantier pharaonique…

Oui. Et justement, au vu des moyens humains qui sont les nôtres à la fédération dont je suis le seul salarié, ne serait-il pas préférable de réduire les chantiers ? Quand tout repose sur trois ou quatre personnes et que celles-ci ne sont pas épargnées par la crise, c’est parfois difficile.

Et, le week-end venu, je n’ai même pas la tête à regarder un match de rugby. Parfois, j’ai l’impression qu’on a une planche, dix clous et, à la place du marteau, une paire de ciseaux…

Ce samedi, justement, l’équipe nationale affrontera lors de son deuxième match de la Conférence 1, la République tchèque au stade de Luxembourg. Trois semaines après un premier match soldé par une lourde défaite en Suède (51-5)…

Le score est lourd et il faut rappeler le contexte : nous sommes partis le jeudi pour arriver le soir même à Norköpping. On n’a eu que deux entraînements collectifs avant ce match. Cette fois, le staff et les joueurs se retrouveront dès ce matin pour une mise au vert.

On a hâte de jouer dans ce stade flambant neuf. C’est vraiment une chance de pouvoir évoluer sur une pelouse de cette qualité. Mais tout cela a un prix. C’est bien simple, entre la réception des officiels, l’hébergement de la sélection et les dépenses liées à la sécurité, la buvette et diverses réceptions d’après-match s’élèvent à quelque 30 000 euros.

C’est quasiment deux fois plus cher que notre déplacement en Suède. Mais bon, l’époque où, en guise de troisième mi-temps, on demande à la sœur du cousin de l’oncle de préparer un taboulé pour accompagner la saucisse grillée, c’était bien il y a vingt ans…

Maintenant, a-t-on les moyens d’assumer toutes ces dépenses ? Je ne sais pas. J’espère juste qu’il y aura du monde au stade ce samedi. 18 h, c’est parfait pour aller au stade, non ?

Charles Michel

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3 plusieurs commentaires

  1. Cette personne assassine la fédération dont il est le seul employé en trouvant de nombreuses (fausses) excuses pour son échec cuisant. Pathétique.

  2. Walfer fait bien plus que se défendre … super match samedi dernier contre Bonn

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