Raymond Conzemius va quitter le Sportlycée, qu’il dirige et qu’il a créé, pour intégrer la direction technique du COSL. L’ancien athlète, entraîneur, formateur et directeur évoque son parcours.
Vous avez été un très grand athlète (NDLR : recordman national du saut en hauteur avec 2,22 m), un très grand entraîneur, vous avez formé des entraîneurs et créé et dirigé le Sportlycée. Le fait de rejoindre la direction technique du COSL, c’est la suite logique de votre parcours ?
Raymond Conzemius : En tout cas, je ne peux pas dire que c’était l’idée au départ. Mais une opportunité s’est présentée à moi. Je me suis dit que c’était l’occasion de me rapprocher du sport et notamment du sport d’élite.
Selon vous, qu’est-ce qui a convaincu le COSL de retenir votre candidature ?
Je pense que l’élément-clef, c’est le fait que je connais le monde sportif luxembourgeois sous toutes ses facettes. Je connais le milieu, le Sportlycée ne fonctionne pas trop mal, je pense. Mon expérience a certainement joué. J’ai discuté avec le président Hoffmann, avec ma famille et après quelques mauvaises nuits de sommeil j’ai décidé de me lancer dans l’aventure.
Vous rejoindrez le COSL le 1er novembre et Heinz Thews, à qui vous allez succéder, s’en ira en avril 2022. Que ferez-vous pendant ces 18 mois ?
Déjà, je tiens à préciser que je m’entends très bien avec Heinz. Durant cette période, je vais pouvoir profiter à fond de son savoir-faire, de ses compétences. Je vais pouvoir me documenter sur des sujets qui ne me sont pas familiers actuellement, comme les critères de sélection des cadres ou les Jeux olympiques. Je vais aussi certainement mener moi-même certains projets. Trop souvent, on retrouve des personnes remplacées du jour au lendemain. Là, c’est une occasion unique de bénéficier d’un transfert de savoir-faire en ayant le temps. C’est quelque chose de formidable pour moi.
Savez-vous quel directeur technique vous serez, une fois que Heinz Thews aura passé la main ?
Non. Il est encore trop tôt pour le dire. Il y a des personnes que je ne connais pas encore. Je dois encore me familiariser au fonctionnement du COSL. Pour moi, c’est un pas énorme de passer vers le mouvement sportif. Mais je suis persuadé que mes trois à six premiers mois vont me permettre d’analyser la situation avant de pouvoir me positionner clairement sur ce que sera ma fonction. En tout cas, j’aborde cette nouvelle aventure avec enthousiasme, même si je sais que ce ne sera pas toujours facile.
J’ai toujours aimé aider les sportifs à progresser et faire les bons choix. Rien ne me fait plus plaisir que d’avoir l’impression d’avoir participé à l’évolution d’un sportif
Quel est votre moteur ?
J’ai toujours aimé aider les sportifs à progresser et faire les bons choix. Rien ne me fait plus plaisir que d’avoir l’impression d’avoir participé à l’évolution d’un sportif. Là, je vais pouvoir soutenir les sportifs dans leurs démarches à des moments heureux ou moins heureux de leur carrière, tout cela me fascine.
Quel regard portez-vous sur la situation du sport au Luxembourg ?
Je trouve qu’il a considérablement évolué, notamment ces dix dernières années. Mais je pense qu’il y a encore des pistes pour l’améliorer. Selon moi, la petite taille du pays doit être une opportunité unique pour que le sport soit mieux reconnu dans la société. Je pense que les gens ne réalisent pas encore trop bien l’impact que le sport a sur la santé. Sur le bien-être d’une nation. On doit utiliser tous les aspects du sport pour créer un cercle vertueux qui va permettre d’avoir un plus grand nombre de sportifs encore mieux encadrés.
Un domaine qui vous tient particulièrement à cœur…
J’ai toujours eu de l’intérêt pour les jeunes. Je pense qu’il est possible d’encore mieux encadrer les jeunes talents du pays. Il faut promouvoir les fédérations, leur donner plus de moyens. Utiliser le réseautage au niveau des institutions. Le système peut avoir certaines failles. L’argent arrive-t-il au bon endroit ? Est-il utilisé pour la bonne cause ? Les concepts au niveau des fédérations sont-ils bien subventionnés ? Il ne faut pas des mesures et des actions isolées, mais réfléchir à comment les intégrer dans un système global où chaque rouage est à sa place.
Comment cela ?
Pour moi, c’est un premier pas dans la discussion. Il faut se pencher sur le rôle des différents intervenants. Le système doit valoriser les entraîneurs dont on ne parle plus du tout. Ceux chez qui les sportifs ont débuté. C’est normal qu’au fil de leur carrière les sportifs les oublient, mais les institutions ne doivent pas les oublier, mais au contraire les valoriser. Pour un jeune, chaque étape est importante et il est crucial que les bonnes personnes soient aux bonnes places. Au Luxembourg, plus encore qu’ailleurs, on ne peut pas se permettre de voir de jeunes talents arrêter leur carrière parce que leur entraîneur n’a pas su leur transmettre les bonnes valeurs. Souvent cela vient d’une formation qui n’est peut-être pas adaptée. Il y a des entraîneurs qui sont mieux pour des enfants, d’autres qui sont faits pour travailler avec des adultes. Le système doit promouvoir les bonnes qualités avec les bonnes structures. Ensemble, on a un chemin à tracer.
En tant que directeur et créateur du Sportlycée, y a-t-il un sportif dont vous êtes particulièrement fier du parcours ?
Non. Je dirais juste qu’on a essayé de jouer notre rôle. On est content d’avoir pu aider l’un ou l’autre sur le plan scolaire ou sportif. Et d’une manière générale, je trouve que ce n’est pas aux intervenants de se mettre en avant. C’est le travail de toute une équipe. Nous sommes tous « Team Lëtzebuerg ». Et le parcours de chaque athlète est très différent. Chacun doit suivre sa propre voie.
Pouvez-vous nous rappeler, justement, quel avait été la vôtre ?
J’ai commencé l’athlétisme car ma sœur en faisait et c’était plus pratique qu’on prenne le même bus pour mes parents. Après deux séances, j’ai eu le déclic. Et j’ai eu la chance d’avoir comme premier entraîneur Raymond Mores, qui a toutes les qualités qu’un coach doit avoir. Par la suite, je me suis retrouvé dans un groupe avec Mett Kayser. On était une demi-douzaine à sauter au-delà de deux mètres, il y avait une ambiance folle. Il y a un livre qui s’appelle Die Talentlüge, le mensonge du talent, qui explique que le talent ce n’est pas génétique. C’est surtout beaucoup de travail. Et tout cela permet de créer des athlètes de haut niveau venant de petits villages.
C’est vrai que j’aurais apprécié de pouvoir bénéficier de certaines structures qui existent désormais. On voyait que le réseautage international était très important. De mon côté, j’ai eu un entraîneur roumain, Dan Vladescu, qui a entraîné une des meilleures sauteuses mondiales, et un entraîneur luxembourgeois, c’était la meilleure solution pour moi. Maintenant, est-ce que j’aurais pu sauter plus haut? Je n’en sais rien. Les programmes d’entraînement ont évolué, je n’avais pas toute cette préparation physique de base mise en place désormais. Et puis, j’ai aussi décidé très tôt de devenir entraîneur. Si je m’étais concentré à fond sur ma carrière d’athlète, peut-être que j’aurais pu aller plus haut. Mais en étant entraîneur, on va plus à fond dans la matière. Je n’ai pas de regrets.
Vous avez également touché au basket et au volley ?
Oui. J’ai eu des soucis au genou qui m’empêchaient de sauter. Alors, je me suis lancé dans une petite carrière de basketteur à Contern. Plus tard, mon fils a fait du volley à Lorentzweiler et je suis devenu entraîneur.
Il y a des sports que je connais moins bien que d’autres. Mais tout m’intéresse quand il y a des gens passionnés derrière
Y a-t-il un sport qui ne vous intéresse pas ?
Il y a des sports que je connais moins bien que d’autres. Mais tout m’intéresse quand il y a des gens passionnés derrière. Au Sportlycée, on avait une joueuse d’échecs. Si on regarde son fonctionnement, c’est comme un basketteur ou un athlète : cela réclame de la préparation, de la concentration, de l’endurance, du physique…
Comment va se passer votre succession à la tête du Sportlycée ?
C’est quelque chose dont je suis fier. On a construit une structure stable qui fonctionne bien. Avec une équipe de direction forte. Le passage de témoin sera émotionnel mais paisible. Pascal Schaul est directeur adjoint, mais c’est au ministre Meisch que revient la décision de la nomination.
Comment le sport luxembourgeois a-t-il vécu la période de confinement?
Je dirais que dans le sport en général, chacun a profité de ses compétences pour gérer au mieux la situation. Beaucoup ont fait du sport et ont réalisé à quel point c’était bon pour le bien-être et la santé. Ensuite, il y a eu beaucoup de discussions pour gérer les étapes du déconfinement. Maintenant, on peut refaire du sport. Mais il ne faut surtout pas oublier de respecter les règles sanitaires mises en place en espérant qu’on pourra prochainement refaire du sport comme avant.
Quel est votre état d’esprit ?
Ces derniers mois, je n’étais pas à l’aise. J’ai annoncé jeudi que j’allais quitter le Sportlycée. Je pense que c’est la bonne décision et j’espère que je serai la bonne personne au bon endroit. Le week-end dernier, j’étais vraiment enthousiaste, relâché mais pas naïf. Et maintenant, je prépare la rentrée du Sportlycée. Je suis encore en place jusqu’au mois de novembre.
Comment les gens vous perçoivent-ils?
Il faudra leur demander. Mais je pense qu’ils savent que je veux bien faire mon boulot. Que je dis ce que je pense. S’il y a un désaccord, je le dis. Pour moi, il est important que les choses soient claires. Maintenant, si on m’oppose de bons arguments, je ne suis pas obtus, je suis prêt à écouter et à changer d’avis.
Vous avez fait énormément de choses dans votre vie. De quoi êtes-vous le plus fier ?
Hormis la naissance de mes enfants, je dirais le fait d’avoir créé et dirigé le Sportlycée. Un projet qui n’a pas été du tout évident à mettre en place, il a fallu du temps pour persuader de l’utilité d’une telle structure. Et s’il y a quelque chose que je pense avoir réussi, c’est bien ça !
Entretien avec Romain Haas