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Marathon des Sables : « On n’en repart pas comme on est arrivé »


Patrick Bauer et Simone Kayser ont écrit quelques belles pages de ce Marathon des Sables. (Photo Julien Garroy)

En 1986, Patrick Bauer lance la 1re édition du Marathon des Sables, une épreuve présentée souvent comme dantesque. Dimanche, l’épreuve fêtera sa 32e édition.

La douleur est une notion toute relative. À flanc de djebel les mains sur les genoux, un septuagénaire du Marathon des Sables relativise sa souffrance : «J’ai perdu ma fille et ma femme, quelle pire souffrance puis-je donc encore endurer ?» De quoi refroidir l’atmosphère malgré les 40°C ambiants, mais aussi de briser l’image d’une épreuve longue de 250 km (6 étapes) considérée de l’extérieur comme un véritable calvaire. Lestés non pas d’une croix, mais d’un sac à dos, les 1 200 concurrents au départ de la 1re étape, dimanche, découvriront au dernier moment (l’une des particularités de l’épreuve) le tracé. Une petite surprise pour ces «fadas» ayant déboursé – avec le sourire s’il vous plaît – quelque 3 100 euros (3 200 par personne pour l’épreuve par équipes) pour s’offrir le billet d’entrée de cette 32e édition qui se déroulera dans la région d’Ouarzazate.

Le 6 mars dernier, Alvisse Park Hôtel, Dommeldange. Dans l’une des salles de conférence située au sous-sol, Patrick Bauer et Simone Kayser ont invité les médias pour une conférence de presse qui ne s’en veut pas une. Entre le patron du MDS et la Luxembougeoise, triple vainqueur de l’épreuve (2002, 2004 et 2005), la complicité est évidente. À 60 ans, cet ancien photographe à Libération champagne porte un regard bienveillant sur ce(ux) qui l’entoure(nt). Pour éviter aux journalistes présents toute fatigue inutile, il s’embarque de son propre-chef dans un très long monologue (près de deux heures!) où il se charge, à quelques exceptions près, lui-même des relances. Jean-basket, chemise blanche, bracelets MDS aux poignets, l’homme au teint hâlé raconte posément une énième fois cette folle histoire dont il est un peu le héros.

Super 8, Peugeot 504 et Nina Hagen

Lui, l’enfant de Troyes (Aube), revenu de deux années à sillonner Togo, Bénin et Burkina pour le compte des éditions Bordas («j’arrivais dans les villages avec des bouquins pas adaptés»), se réveille un jour avec l’irrépressible envie de repartir en Afrique. «J’ai dit à mon frère : Je vais traverser le désert à pied. Va au magasin de photo, trouve une petite caméra Super 8. Il m’a pris pour un fou, mais trois semaines plus tard, on partait à bord d’une vieille Peugeot 504…»

En 1984, âgé alors de 27 ans, ce «naufragé volontaire» partira de Tamanrasset, «un vieux sac à dos de l’armée israélienne sur le dos», pour In Guezzam. Quelque 350 bornes en parfaite autonomie se dessinant non pas sur une carte, mais au fil des pas. De son inspiration. Seul impératif : éviter toute parcelle d’un goudron dont il cèdera l’exclusive jouissance à la 504 de son frère.

De retour en France, il utilise les séquences gravées sur sa Super 8 et monte un petit film où se superposent paysages marocains et Nina Hagen. «J’aime bien les mélanges», se justifie ce fan de Zappa, persuadé que «ce qui manque aujourd’hui, c’est de l’amour». C’est qu’à la lumière de «cette aventure hors norme», dépourvus de tout artifice, les corps et les âmes se révèleraient sous un autre jour. «Des couples se font, d’autres se défont, des amitiés se créent… Du désert, on n’en repart jamais comme on est arrivé…» Et cela dure depuis 1986, année d’une première édition montée de bric et de broc et dont le budget ne fut bouclé qu’à quatre jours du départ grâce aux 150 000 francs versés par un industriel bourguignon. «Comme quoi, il ne faut pas avoir peur de s’approcher du bord de la falaise…», sourit Bauer, organisateur d’un événement passé de 23 à 1 200 concurrents et pesant désormais quelque cinq millions d’euros de budget.

El Guerrouj, militaires et énergies telluriques

Les places sont chères et pour espérer avoir un dossard, mieux vaut s’y prendre longtemps à l’avance. Celles pour l’édition 2018 sont déjà en ligne. Ce succès, Patrick Bauer s’en félicite, mais s’interdit toute ouverture inconsidérée de ses portes à une épreuve parrainée par le roi Mohammed VI. Et ce, en échange de projets humanitaires, développés par l’organisation, tels Sport éveil académie et Femmissima situés à Ouarzazate et dont le programme va de la pratique sportive chez l’enfant à l’alphabétisation en passant par la sensibilisation aux questions d’hygiène et de santé ou bien encore au microcrédit. «Hicham El Guerrouj (NDLR : double champion olympique et recordman du 1500 m) nous a promis un chèque de 50 000 euros.»

Au vu du contexte géopolitique, Patrick Bauer se montre péremptoire : «Nous sommes plus en sécurité là-bas que dans les rues de nos capitales européennes.» C’est ce qu’il avait d’ailleurs déclaré le 31 décembre 2014 sur Europe 1, une semaine seulement avant l’attentat de Charlie Hebdo. L’organisation du Marathon des Sables peut ainsi compter sur la sécurisation du tracé par les autorités marocaines. «On ne les voit jamais, mais la frontière est constamment protégée par les militaires qui connaissent avec précision nos points de passage.» Ce à quoi s’ajoute une aide logistique : «30 camions militaires ainsi que 64 hommes de troupes pour le transport des tentes, du carburant et des tonnes d’eau».

Bref, question santé, les seuls véritables risques se résument majoritairement en deux mots : ampoules et déshydratation. Des maux que sont prêts à prendre en charge les quelque 70 médecins présents sur le tracé. Cela n’empêche pas les grosses frayeurs. Comme ce concurrent que Patrick Bauer a cru voir mourir dans ses bras. «Il avait fait un arrêt cardiaque, mais les médecins, après 25 minutes d’efforts, ont réussi à le réanimer. Et, récemment, il a recouru un semi…»

Dans le désert, si chaque concurrent doit satisfaire à ses propres besoins alimentaires (son sac est vérifié avant chaque départ), au bivouac il n’est pas rare d’échanger une carbonara contre un morceau de saucisson. «Le MDS, ce n’est pas que se surpasser, affronter la chaleur, le désert et l’autosuffisance, c’est aussi vouloir accéder à autre chose. Dans un monde qui est hyper connecté, c’est un réel luxe de pouvoir être connecté à la terre, aux énergies telluriques, à ses compagnons d’aventures, suivre les rituels ancestraux du thé, dormir dans un confort spartiate… Le désert nous ouvre des portes qui sont un peu verrouillées dans notre esprit.» Et Patrick Bauer le jure, passé six jours les pieds dans le sable, ce n’est pas l’enfer : «Bien sûr, il y a ceux qui cherchent la performance et qui courent à 14 km/h de moyenne, mais il y a aussi celui qui veut le faire en marchant, main dans la main avec sa copine. Pour être hors délai, il faut vraiment être à la ramasse…»

Charles Michel

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