Le soleil, la bière, la musique, les supporters forcément, mais aussi… un train. La soirée de ce samedi sera plus triste que d’habitude à Dublin, où le football est généralement une fête splendide.
L’Aviva Stadium sera théoriquement l’une des enceintes qui auront l’insigne honneur d’accueillir l’Euro-2020, l’été prochain. L’UEFA fait actuellement le forcing auprès de toutes les nations qui vont organiser l’événement pour que ce soit avec du public et donc dans des conditions les plus normales possibles, avec une jauge minimale fixée à 25% de remplissage. L’Irlande s’inquiète : pas sûr que son gouvernement donnera le feu vert d’ici au 17 avril, date butoir pour se prononcer. Dommage, les affiches prévues ont de la gueule, avec notamment les présences de Zlatan Ibrahimovic et Robert Lewandowski (les matches : Pologne – Slovaquie, Suède – Slovaquie, Pologne – Suède). En attendant, l’entrée en lice dans les éliminatoires du Mondial-2022 se fera pour les Roud Léiwen devant 50 000 sièges verts et vides. Ils y perdront beaucoup. Voilà ce que les gars de Luc Holtz, arrivés trop tôt par rapport au coronavirus et trop tard par rapport à l’ancien stade, véritable mythe, vont manquer…
Le soleil, pour mater dans le jardin des voisins
Cet immense stade présente un curieux particularisme. Il est doté de trois hautes tribunes, impressionnantes, complétées par une quatrième, microscopique mais flanquée d’une verrière du plus bel effet. Mythe ou réalité, il paraîtrait que le cabinet d’architectes a opté pour ces formes incurvées et cette structure en verre pour garantir aux maisons du voisinage nord un maximum de soleil, venant donc, du sud. Les habitants avaient en effet indiqué qu’ils craignaient que l’Aviva Stadium ne leur fasse trop d’ombre. En Irlande, tout le monde comprendra que cela a son importance, d’autant qu’il… pleuvra samedi. Fatalement, cela fait résonance avec l’autre antre de la ville, dédié aux sports gaéliques : Croke Park. Cette enceinte de 82 000 places, bien plus vieille, est construite sur le même modèle, avec une minuscule tribune rajoutée au bout de trois autres, monstrueuses. Au moins, Anthony Moris pourra s’assurer, quand il en aura le temps, que ça pousse bien dans le jardin des voisins.
50 000 spectateurs pour chanter Ireland’s Call
Fin janvier, l’Irish Mirror annonçait qu’après dix-huit rencontres sportives jouées à huis clos en 2020, l’Aviva Stadium pourrait vraisemblablement accueillir de nouveau du public «dans les deux semaines» suivant un protocole soumis au gouvernement et à l’autorité nationale de santé publique. Cinquante mille Irlandais, cela fait du bruit. Un nombre restreint de supporters aussi. Las, l’idée a vécu et ne se réalisera pas. Pas immédiatement en tout cas. Au point qu’aujourd’hui c’est tout un pays qui s’inquiète pour ses chances d’accueillir l’Euro cet été, une préoccupation futile, mais pas tant que ça, en pleine épidémie. Pas d’Ireland’s Call repris à pleins poumons par 50 000 spectateurs, donc, ni même par qui que ce soit.
Les 2 000 pintes à la minute
Sur l’île, avoir un stade ultramoderne sous-entend bien évidemment de pouvoir étancher la soif des spectateurs dans les meilleures conditions possibles. L’Aviva Stadium a été pensé dans cet esprit. L’on peut y remplir la bagatelle de 2 000 pintes à la minute et donc satisfaire l’intégralité du stade en moins d’une demi-heure. Ce n’est pas le titre de gloire essentiel de ce lieu qui accueillera le Grand-Duché, qui vient à Dublin pour la première fois depuis 1987 et une défaite 1-2 devant 18 000 spectateurs. Quarante-quatre ans plus tard, les effluves de Guinness feront défaut.
Le train qui passe sous le stade
Depuis 2007, c’est fini. Le modernisme a eu raison du particularisme. Le vieux stade de Lansdowne Road, bâti en 1872, a été détruit pour laisser place à l’Aviva Stadium, inauguré en 2010, et il était inconcevable qu’en accordant le «naming» de son stade à une compagnie d’assurances (qui a rapporté la bagatelle de 44 millions d’euros sur dix ans, jusqu’en 2020, pour un coût de construction quasiment dix fois supérieur), elle autorise encore… une ligne de chemin de fer passant sous la tribune principale de son stade national. C’était pourtant le cas pendant des décennies. Désormais, la ligne, toujours dans son jus, passe au pied de ce monstre de modernité, de verre et d’acier. Comme un souvenir lointain.
La musique live du mois de… juin
On ne sait par quelle mystérieuse tournure d’esprit les organisateurs de matches du monde entier continuent de se dire que faire cracher la sono du stade malgré l’absence de public aidera à compenser le déficit en ambiance. Ce soir, il y aura encore la musique parfois douteuse qui accompagne généralement le ballon rond. C’est oublier que l’Aviva Stadium a aussi été rentabilisé, ces dernières années, par toute une foule d’événements tels des matches de football américain mais aussi des concerts live, allant de Rihanna (en juin 2016) à Phil Collins (juin 2017) en passant par Robbie Williams (juin 2013). Mais comme on n’est pas en juin…
Julien Mollereau