Neil Pattison est certain que son Etzella, plombé par des départs importants, tiendra la route. Cela ne l’empêche pas d’avoir un discours sans langue de bois sur la désertion des jeunes formés au club.
La période officielle pour les transferts au pays est passée. Le vivier ettelbruckois a été pillé tout ce printemps. Pimentel au Fola et Holtz au Progrès étaient des départs attendus et logiques, mais Rodrigues à Rosport, Medina à Differdange, Barrela à Pétange… ont singulièrement miné le moral des dirigeants et du staff technique. Qui y va cash dans ses explications.
Cela vous a bien agacé de perdre tous ces jeunes, non ?
Neil Pattison : Oui, un peu. Si tu perds tous tes jeunes, ceux que tu as eus pendant des années, que tu as préparés, à qui tu as donné leur chance en DN alors qu’ils sont encore juniors… C’est un sacré investissement, notamment en formateurs. En plus, ce n’est pas le bon moment pour partir. Pas à cet âge-là, alors qu’on a tout à prouver et qu’on a tout juste joué quatre ou cinq matches en BGL Ligue.
Pensez-vous qu’ils peuvent se perdre ?
Ah oui, ils peuvent. Là-bas, l’entourage ne sera pas le même, ils veulent jouer le top, il y a une autre concurrence, il y aura le trajet à coupler avec les études… Là-bas, ils seront « un » joueur, pas « leur » joueur, là-bas, ils seront un nom, pas un vécu et un passé que le coach connaît. Un Pimentel, un Holtz, ils le méritent, les autres non. Ce n’est pas une bonne idée, mais je n’ai pas le droit de le leur dire.
Votre président n’en finit plus de le rappeler : sa plus grande hantise, depuis quelques années, ce sont les agents de joueurs. Pour vous aussi ?
Ah ça, c’est un grand problème, les agents ! Vous savez quoi ? Un joueur n’a même pas voulu venir à notre rendez-vous pour parler de son avenir. Il nous a répondu « parlez à mon agent ». Avec celui-là, on n’a pas perdu grand-chose. En tant que coach, les agents, je les vois partout désormais. Ils vous appellent, vous envoient des mails, vous envoient des SMS, vous disent « j’ai un joueur pour vous ». Et tout ça, c’est juste pour se faire sa petite commission. Les joueurs qu’on nous propose, souvent, ils font six mois maximum dans leurs clubs. Donc on nous les propose et on essaye déjà de les refourguer ailleurs en même temps. Ça ne m’intéresse pas. Quant aux joueurs et aux parents, on leur promet qu’on peut rechercher à l’étranger pour eux… alors qu’ils n’ont pas le niveau. Franchement, ils les traitent comme… On pourrait comparer ça à du proxénétisme. C’est « j’encaisse et tu fais ce que je veux ».
Ce sont les jeunes de maintenant (…) Ils font tout par écrit. Peut-être parce qu’ils n’ont ni les couilles ni les compétences pour une conversation
Votre discours n’a pas de prise sur eux ?
Mais, personnellement, je n’ai qu’un seul joueur qui ait eu le courage de m’appeler pour me dire qu’il partait ! Et encore, ça a été très court. Il m’a dit que ce n’était pas forcément son choix, mais que son agent pensait que c’était mieux pour son avenir. Notre gardien (NDLR : André Barrela), lui, m’a juste envoyé un SMS, même si, par rapport à nos discussions, on avait bien compris qu’il cherchait à gagner du temps, que c’était tactique et qu’il voulait attendre les délais pour les déclarations de non-transfert avant de nous dire qu’il partait. Ce sont les jeunes de maintenant. Ils ont des problèmes à parler en face à face. Ils vous envoient un message et vous voulez une explication, alors vous leur téléphonez… et ils ne répondent pas. Alors vous renvoyez un message et là ils vous renvoient un message. Ils font tout par écrit. Peut-être parce qu’ils n’ont ni les couilles ni les compétences pour une conversation.
Vous parliez d’André Barrela, parti pour Pétange. C’est visiblement l’une de vos grandes déceptions de ce mercato.
Quand je vois ce que le Titus a comme gardiens sous la main, ils sont plus forts que lui. Ils ont déjà trois garçons qui peuvent jouer ce poste. Et il se passe quoi s’ils voient qu’il est encore un peu jeune pour ce niveau ? Cela peut gâcher sa carrière. Il suffirait qu’ils se disent, là, maintenant, qu’il leur faut faire venir un gardien de l’étranger pour assurer le coup. Mais pourquoi a-t-il pris cette décision ? Parce que le contrat est plus intéressant ? OK, mais s’il reste deux ans en tribunes, alors c’est fini, plus personne ne voudra de lui…
Dans les clubs comme Ettelbruck, on fait souvent comme s’il s’agissait avant tout d’une déception humaine, mais vous seriez sans doute moins regardants si vous retombiez sur vos pattes financièrement, non ?
Au barème, on touche 800 euros seulement par saison. Pour dix années de formation, c’est ridicule. Si le joueur dispute beaucoup de matches de DN, qu’il fait quelques pas en sélection, ça va chercher au maximum dans les 2 000 euros, alors franchement. Mais bon, c’est comme ça, l’Ajax aussi se fait prendre ses jeunes.
Bon, cela dit, certains ont décidé de rester. Les Soares, Schlesser, Nicolay, Bella Abega…
Eux, je savais qu’ils resteraient. C’est le genre de gars qui sont presque nés au club. Ils ont dit qu’ils restaient, que l’âme du club continuerait à vivre sur le terrain et dans le vestiaire. Ils ont plus la tête sur les épaules. Ça, c’est des vrais mecs. On n’a finalement pas perdu grand-chose.
Tous ces départs de joueurs clés ne vous mettent-ils pas en danger ?
Je pense que ça va aller très bien. C’est surtout le départ de Kevin Holtz qui va nous aider. Lui, c’était l’aimant de l’équipe, tout notre jeu était basé sur lui. D’autres vont pouvoir se mettre en évidence.
Ne faudrait-il pas institutionnaliser du travail spécifique au poste d’attaquant dès l’âge de 15 ans dans notre école de foot? Cela peut devenir un business model
D’autres juniors par exemple ? Il y a déjà une génération capable de succéder à celle qui vient de s’en aller ?
Nous avons proposé un contrat de stagiaire à cinq de nos juniors cette saison pour voir s’ils ont les qualités pour la DN. Après, pour les autres, il y a beaucoup de clubs de D1 autour de nous qui viennent les chercher, mais là, je comprends, c’est normal. On essaye même de trouver des arrangements avec des clubs comme Mertzig et Useldange, qui font du bon travail, pour voir comment les joueurs se développent.
Cela fait un bout de temps qu’Etzella ne produit plus d’attaquant hors normes comme Dan Da Mota ou Dave Turpel. Simple hasard ?
Ce sont un peu des exceptions. Pour l’instant, on n’a pas, dans nos jeunes, de joueurs capables de faire la même carrière. En plus, il n’y a pas de n° 9. Les bons attaquants, c’est rare. Après, oui, on peut se poser la question : puisque c’est si rare, plutôt que d’aller en chercher à l’étranger, ne faudrait-il pas institutionnaliser du travail spécifique au poste d’attaquant dès l’âge de 15 ans dans notre école de foot ? Cela peut devenir un business model. Pour gagner enfin de l’argent. Pour ça, il faudrait qu’on prenne le risque de leur offrir de très bons contrats sur une ou deux saisons, qu’ils jouent vraiment pour nous et partent ensuite à des conditions plus intéressantes pour nous. C’est-à-dire plus chers.
La prochaine génération, comment est-elle ?
Intéressante, mais différente. Surtout au niveau du gabarit. On a une génération plus petite. Et puis des Barrela, des Medina ont reçu une bonne formation à la fédération. Donc, on perd quand même en qualité au niveau footballistique. Mais ils ont plus de caractère et de compétences sociales.
Entretien avec Julien Mollereau