Laurent Jans et Paderborn (Allemagne) pourraient très bientôt reprendre le championnat, mais entre les douches à deux maximum, les «lunchbox» à emporter et l’absence de duels, le Covid n’a pas disparu.
La Bundesliga veut reprendre. La Bundesliga va reprendre. Les clubs le veulent, les autorités ont validé leur protocole sanitaire et ce n’est théoriquement plus qu’une question de jours, désormais. Ils sont deux en Bundesliga à attendre ça avec impatience, mais dans une ambiance qui reste lunaire. Laurent Jans nous a raconté son quotidien de footballeur en sursis et que pourtant toute la profession, dans le reste de l’Europe, envie. Paderborn (presque) comme si vous y étiez…
Comment est l’ambiance à Paderborn au fil de ces entraînements un peu particuliers qui sont les vôtres depuis plus de deux semaines maintenant ?
Très spécial. Cela fait deux semaines qu’on s’entraîne comme ça, en tout petits groupes. On prend des habitudes très curieuses, très strictes. Bon, on est déjà heureux de s’entraîner, car beaucoup, en Europe, ne peuvent pas le faire. Chez nous, ce sont surtout les kinés qui contrôlent tout : le désinfectant, les masques… Au moindre petit bobo, on n’a pas intérêt à oublier son masque quand on va les trouver! Sinon, voilà, on est répartis dans plein de vestiaires différents et on n’est pas autorisés à prendre nos douches par plus de deux. Et dès que c’est fini, on file à la maison.
Finis les repas au club et entre joueurs, donc ?
Ah oui, maintenant, Tobi, le chef, prépare tout en avance et quand on a fini les séances, on retrouve des petites « box » dans le vestiaire, à nos places. Et on emporte ça à la maison. On reçoit une liste sur laquelle on peut cocher les cases de ce qu’on souhaite manger. J’essaye toujours de changer : un jour du poisson, un jour de la viande, des pâtes voire un plat végétarien. De toute façon, il y a toujours des légumes avec. Moi, je n’habite pas loin du centre, c’est encore chaud quand j’arrive. Et puis j’aime bien terminer par un smoothie. Fraise-banane. Ici, ils sont top!
Sinon, les entraînements, donc, c’est toujours sans duels, malgré l’imminence encore relative de la reprise du championnat ?
Toujours sans duels oui. Mais c’est normal, regardez : la salle de musculation est fermée et tous les exercices qu’on doit faire avant d’aller sur le terrain, on les fait dans nos vestiaires, séparés, où le staff a fait installer le matos. Alors des contacts sur le terrain, vous imaginez… Mais bon, l’idée de reprendre les entraînements, c’était surtout pour réhabituer le pied aux gestes techniques et les muscles aux changements de direction. Là, en ce moment, on fait beaucoup de jeux sans contact, on défend en zone, on coupe les trajectoires de passes. Bref, c’est ça : des passes, de la finition…
J’espère qu’on en arrivera vite à pouvoir faire ce qu’on veut
Pas de tacles donc.
Pas de tacles non plus, non. Mais finalement, c’est aussi bien : tous ces exercices de finition, on n’en fait pas souvent quand on est à un poste comme le mien. On n’a pas le droit d’en faire, presque. Alors là, c’est un aspect positif parce que je marque de plus en plus quand je suis face au but.
Cela ne vous manque pas, d’aller coller un bon tampon ou un gros tacle ?
(Il sourit) Mettre un tacle, c’est clair que ça me manque. J’espère qu’on en arrivera vite à pouvoir faire ce qu’on veut. Parce qu’on ne peut pas imaginer reprendre sans avoir pu mener de vrais duels à l’entraînement, avec de vrais matches, que ce soit des onze contre onze ou des cinq contre cinq. Il faut qu’on passe à l’étape suivante, là! Mais en ce moment, les décisions changent tous les jours. On attend ce que nous disent les hommes politiques. Même notre staff ne sait pas ce qu’on aura le droit de faire le jour d’après. Il n’est même pas exclu que demain (NDLR : l’interview a été réalisée mercredi), on ait le droit de s’entraîner enfin en groupe élargi. On découvrira ça en arrivant au centre ou au mieux à la radio, dans la voiture.
Certaines personnes chez nous risquent de perdre leurs emplois
En même temps, vous devez vous estimer extrêmement chanceux par rapport à beaucoup d’autres championnats qui ont, eux, une visibilité très réduite sur l’avenir, ne savent même pas encore quand ils pourront se réentraîner voire, pour la Ligue 1 française, ont déjà saison terminée.
Ah oui, ça, on est chanceux ! L’Allemagne a été un peu moins touchée que d’autres pays comme l’Espagne ou l’Italie. Si on s’était retrouvés dans la même situation, nous non plus on n’aurait sans doute pas encore repris. Mais l’Allemagne a aussi pris les bonnes mesures en s’appuyant sur les fautes qu’avaient pu commettre les autres, parce que le virus était arrivé plus tôt sur leur territoire.
Quoi qu’il arrive, une éventuelle reprise est conditionnée à des stades à huis clos. Dans cette situation, vous y êtes toujours aussi opposé ?
Je ne suis pas le premier qui vous le dira et sûrement pas le dernier non plus : je n’aime pas ça, les huis clos. Je peux même dire que je déteste. Je l’ai vécu avec la sélection contre la Serbie et c’est affreux, on n’a pas du tout le même feeling. Je peux même dire que notre concentration n’est pas la même. Le beau football, ce sont les supporters qui le font. C’est pour eux qu’on joue. Mais on en est à un point où tout le monde doit comprendre que ce n’est pas possible de faire autrement. C’est notre seul moyen d’y arriver.
Paderborn, comme la très grande majorité du football professionnel allemand, a réduit les salaires de ses joueurs durant cette crise. Avez-vous l’impression que ce geste permettra au club de s’en tirer financièrement parlant ? Et avez-vous l’impression d’avoir évité ce qui s’est passé dans beaucoup d’autres pays : une stigmatisation des footballeurs « nantis » et « trop payés » ?
De ce que j’ai entendu, oui ! Paderborn aura les moyens de s’en sortir sans avoir de trop grandes difficultés financières, mais il faut aussi que cela s’arrête vite. Il ne faut pas que cela s’éternise. Un club de foot, aujourd’hui, c’est une entreprise. Paderborn, par exemple, cela a beau être très familial, ce n’est pas du loisir, du « balla balla ». Les gens doivent bien se rendre compte que les choix qui sont faits, ce n’est pas pour rigoler, que certaines personnes chez nous risquent de perdre leurs emplois. Chez nous d’ailleurs, la question de la diminution des salaires a été très vite réglée et moi je l’ai acceptée d’autant plus vite que le football m’a déjà beaucoup donné et que je lui dois bien ça. Eh oui, effectivement, chez nous, en Allemagne, je n’ai pas eu le sentiment que ce débat sur les footballeurs trop payés ait vraiment eu lieu.
Mon sentiment… c’est que moi, je me sens très, très bien ici
En contrepartie, votre club vous a-t-il précisé ses intentions quant à votre avenir, pour la saison prochaine ?
Je n’ai jamais trouvé cet article dont tout le monde parlait et dans lequel on disait que Paderborn souhaitait lever l’option d’achat me concernant. Après, je n’ai pas cherché plus que ça et je suis vite passé à autre chose. J’espère qu’on aura ce genre de discussion une fois que le football aura vraiment repris. Mon sentiment… c’est que moi, je me sens très, très bien ici. Je sais qu’on est content de moi et j’ai d’excellents rapports avec tout le monde. Mais souvent, il y a plein d’autres facteurs qui dictent les décisions en football. En plus, le directeur sportif a changé depuis peu, donc j’imagine qu’ils vont approfondir ce genre de question bientôt.
Et les dirigeants messins ? Ont-ils appelé ces derniers temps ?
J’ai eu Philippe Gaillot (NDLR : le directeur sportif du club grenat) au téléphone il y a quelques semaines, quand tout s’est arrêté. Il m’a un peu parlé de la situation en France par rapport au Covid, m’a aussi dit de rester courageux face à tout ça. Ils ont suivi ma saison jusqu’à présent, et Philippe Gaillot m’a aussi dit qu’il était content de voir que j’étais bien. Alors voilà, Paderborn a une option d’achat et il peut la lever. J’imagine qu’il y aura une discussion parce que dans cette histoire, tout le monde doit être content. C’est pour ça que j’espère aussi que Metz me donnera son point de vue.
Si la Bundesliga reprend, quelles sont vos chances de sauver votre peau, vous qui comptez six points de retard sur le barragiste à neuf journées de la fin ?
Bien sûr qu’on y croit ! Soyons honnêtes : ça va être difficile, on le sait, mais on y croit ! On a jusqu’à présent perdu beaucoup de points bêtes, mais on joue encore le Fortuna Düsseldorf et le Werder Brême, deux concurrents directs, des matches à six points. Et puis depuis qu’on n’a perdu que deux fois 3-2 contre le Bayern et qu’on a fait match nul contre Dortmund (3-3), on sait qu’on peut prendre des points contre n’importe qui.
Un de vos meilleurs amis, Chris Philipps, s’ennuie un peu plus que vous en Belgique, à Lommel. Et se venge sur sa Playstation, puisqu’il a œuvré pour la section e-sport de la FLF, tout récemment…
(Il rit) Et je n’ai pas regardé ses matches ! Mais franchement, ça valait bien le coup d’éliminer la Belgique et Thibaut Courtois pour finir par tomber contre l’Arabie saoudite (NDLR : lors de l’eNations, qui aurait dû être une compétition officielle finalement annulée en raison de problèmes techniques et qui est devenue amicale, le Luxembourg a éliminé la Belgique puis la Suède avant d’être battu 5-4 par les Saoudiens)… Non mais, en vrai, à la Playstation, Chris, il est très fort. Le plus nul, c’est Ralph Schon. Et les rares fois où j’affronte Chris, en général, c’est dur… Mais demandez-lui, à l’occasion, le score d’un match qui nous a opposés, lui et moi, pour voir s’il s’en souvient…
Entretien avec Julien Mollereau