Les Roud Léiwen ont bouclé l’une de leurs campagnes de qualification d’Euro les plus abouties. Et riche en enseignements aussi…
1. Les arbitres ne sont pas nos amis
«On est enfin pris au sérieux, respectés.» La phrase est d’Anthony Moris et elle n’est qu’en partie vraie. Car si tous les adversaires de ce groupe B des éliminatoires de l’Euro-2020 sont ressortis de leurs matches contre le Luxembourg en lui tressant des lauriers, il y a une autre partie des acteurs du jeu qui n’ont pas témoigné de la même déférence à l’égard des Roud Léiwen : les arbitres. On dit souvent que les arbitres ne prêtent qu’aux riches, qu’on ne siffle pas de la même façon, par exemple, le Real Madrid et le F91 Dudelange. S’il y a un fond de vérité dans cet adage, alors le Luxembourg continue de traîner comme un boulet son statut de nain du continent.
Le constat manque d’originalité puisque le sélectionneur a enfoncé le clou durant l’intégralité de l’année 2019. Il a même établi qu’avec la VAR, son équipe compterait «7 points au lieu de 4». Une vision fantaisiste ? Pas tant que ça. Refaisons le compte des erreurs d’arbitrage (minuscules aux lourdes conséquences ou évidentes) qui ont émaillé le parcours luxembourgeois. Il y a d’abord ce coup franc plus que très généreux accordé aux Ukrainiens (1-2) à l’aller et qui coûte un but dans les arrêts de jeu. Puis ce but de Christopher Martins annulé au retour (1-0) pour un hors-jeu que la vidéo a prouvé être inexistant et qui a suscité, déjà, cette réflexion de Holtz : «C’est la deuxième fois que l’arbitrage nous pique des points.»
Ce ne sera pas la dernière, même si ce sera moins flagrant. Un ballon contrôlé de la main à Belgrade, sur le troisième but de la Serbie (3-2), plus une poussette dans le dos de Jans sur le deuxième but portugais (0-2) alors qu’il restait cinq minutes à jouer pour clôturer. Quatre approximations fatales, à chaque fois contre une équipe top 30 ? On n’a même pas besoin de penser qu’il y a intentionnalité pour spéculer sur le fait que ce n’est pas un hasard non plus et que c’est humain, venant du corps arbitral.
Mieux vaut risquer la boulette au détriment du Luxembourg qu’au détriment d’un vice-champion d’Europe ou d’un outsider sérieux du prochain Euro (l’Ukraine). Mais le décompte de Luc Holtz prend de l’épaisseur. Si les coups de sifflet qui n’ont strictement jamais bénéficié au Grand-Duché (il paraît pourtant que ça s’équilibre sur une campagne, non ?) avaient été mieux répartis ou même donnés dans l’autre sens, oui, les Roud Léiwen auraient fini une campagne historique – dans ce siècle – à sept points.
On n’en tire aucun enseignement majeur si ce n’est que le pays doit encore s’installer dans le paysage et compter sur les résultats qu’il pourrait faire dans l’avenir pour rééquilibrer la façon dont il est regardé.
2. Il y a enfin des buteurs de rechange
On voulait attendre de voir ce que donneraient ces éliminatoires de l’Euro pour ne pas s’abrutir naïvement sur les chiffres trompeurs d’une Ligue des nations disputée contre San Marin, la Moldavie et le Belarus (onze buts inscrits en six matches). On a eu tort de ne pas l’écrire plus tôt : cette campagne a confirmé la tendance qui veut qu’Aurélien Joachim, longtemps seul au monde et qui a eu le courage de dire qu’il ne sait pas s’il reviendra un jour à son vrai niveau, compte non pas un, mais plusieurs successeurs.
Dave Turpel, qui prend souvent pour tout le monde sur le front de l’attaque dès qu’il y a une critique à adresser, a passé qu’on le veuille ou non un vrai cap : même en jouant peu à Virton, même en étant trimballé à plusieurs postes en sélection où son temps de jeu reste réduit, il a planté 3 buts sur cette campagne. Sur les 13 derniers matches, il a marqué 2 fois plus que sur les 38 premiers. Ça sent le mûrissement.
Gerson Rodrigues est sur le même ratio : 3 buts mais surtout une stature de match-winner et de faiseur de coups d’éclats. Parfois intenable contre des nations huppées et des défenseurs rompus à ce qui se fait de mieux au niveau continental, l’ailier gauche a confirmé en cette fin de campagne, malgré un coup de mou après l’été, que le centre de gravité déplacé dans les couloirs par Luc Holtz a une raison d’être.
Trois en 24 capes pour Gerson, 6 buts en 51 sélections pour Turpel. Les temps de passage sont plutôt très bons. Il avait fallu 34 apparitions sous le maillot national à Joachim pour compter 3 réalisations et Turpel a encore 6 matches pour faire mieux que lui pour son septième but.
On n’oublie pas deux garçons qui vont forcément très vite compter. L’un, Vincent Thill, quand il aura retrouvé à Orléans le rythme qui était le sien à Pau la saison passée, l’autre, Danel Sinani, qu’on sait grâce à l’Europa League largement en mesure de peser efficacement à un tel niveau. Sans oublier qu’avec Maurice Deville, Luc Holtz a peut-être enfin trouvé la pointe inusable qui lui fait défaut depuis que Joachim est en retrait par la faute de ses blessures à répétition de la saison passée. Bref, il y a une offre et un potentiel offensifs tout à fait séduisants.
3. L’axe défensif a un vrai problème
Le Luxembourg a un pris un quart de ses buts, ces neuf derniers mois, sur des phases de jeu gênantes, car parties de très loin, avec des infiltrations dans le dos de la défense centrale, ce que n’a pas manqué de relever Fernando Santos, le sélectionneur lusitanien, une fois la qualification acquise, notamment grâce à une très longue ouverture de Bernardo Silva et à un appel de Bruno Fernandes dans le dos d’une défense très mal alignée (0-1).
Le mal était récurrent depuis un bout de temps, mais il a pris une ampleur plus symptomatique dimanche après-midi contre le champion d’Europe, avec un Lars Gerson et un Laurent Jans traînant au départ du ballon bien plus bas que l’homme sur lequel ils sont potentiellement censés s’aligner : Maxime Chanot.
Où est le hic ? Un ballon perdu le long de la ligne de touche et très vite expédié dans le dos de la défense avait déjà permis à la Lituanie (2-1), lors du premier match de groupe, d’ouvrir le score au Barthel. C’est un génial petit ballon lobé dans le dos de l’axe qui avait aussi offert un but à l’Ukraine (1-2) au Grand-Duché, une ouverture à peine plus longue en amical contre Madagascar (3-3) avait fait mouche durant l’été.
Cela ne pose pas que la responsabilité de la défense, mais aussi celle d’un entre-jeu sans doute trop permissif en la matière.
Mais puisque la Lituanie a égalisé chez elle en balançant un dégagement dans la surface et que la Serbie a aussi scoré à l’aller après un duel perdu par Gerson, de la tête, plein axe, se pose la question de savoir comment s’exposer moins en jouant aussi haut. Kevin Malget, s’il ne s’était pas un peu enterré en scorant contre son camp à Dublin en amical, pourrait dans ce domaine rendre d’immenses services athlétiquement parlant, lui qui sait entrer dans les duels comme presque personne.
Mais il semble évident que Luc Holtz privilégie largement les qualités de relanceurs de sa nouvelle paire fétiche, le duo Chanot-Gerson, auteure pour le coup d’une campagne raisonnablement bonne, si ce n’est plus. C’est donc vraisemblablement un cran plus haut qu’il faudra régler le problème, au départ du ballon, ainsi que dans la communication, une donnée fondamentale que cette équipe ne maîtrise pas encore et qu’elle va devoir développer dare-dare.
4. Le milieu va parler cap-verdien
La puissance, la maîtrise technique et la force de projection de Christopher Martins ont cruellement manqué devant la défense toute cette deuxième partie de campagne. Mais en son absence, celui qu’on pouvait légitimement supposer comme étant son binôme en devenir, Leandro Barreiro, a progressivement endossé un costume de patron qui le désigne, effectivement, comme le complément idéal de «Kiki». Infatigable gratteur de ballons, adepte du jeu simple quand son aîné n’adore rien tant que d’aller provoquer balle au pied, il a montré contre le Portugal qu’il a déjà franchi un palier monumental sur cette campagne (neuvième joueur le plus utilisé).
«On leur aurait causé plus de problèmes avec…» Dans la bouche de Luc Holtz, vous pouvez remplacer les points de suspension par le nom que vous voulez puisqu’il a prononcé cette phrase en la complétant avec les noms de ses deux récupérateurs à l’une ou l’autre occasions, dans cette campagne.
Ce fut patent avec Lars Gerson ou Florian Bohnert en dépannage dans l’entrejeu. Aussi avec un vrai spécialiste du poste, Chris Philipps, qui doit d’abord penser à lui par les temps qui courent et se trouver un point de chute pour repartir de l’avant. Olivier Thill, avec son volume de jeu, pourrait faire illusion mais le sélectionneur le préfère nettement un cran plus haut.
Le seul finalement, et c’est une divine surprise, qui ait semblé pouvoir assurer un passage de témoin, c’est un Aldin Skenderovic revenu de nulle part et qu’on n’avait presque plus vu sur un terrain avec la sélection depuis juin 2018. C’est une bonne nouvelle mais cela n’empêche pas le «problème» de rester entier. Une dépendance se fait jour à ces deux garçons qui ont une moyenne d’âge de 20 ans et demi. Une paire d’avenir pour les dix prochaines années ? Ce n’est pas exclu puisque Martins semble enfin apte à s’imposer dans un grand championnat (la Suisse, avec les Young Boys) et que Barreiro ne devrait plus tarder à avoir un peu plus sa chance à Mayence. On a hâte de les revoir ensemble, en Nations League, faire la loi…
5. L’expérience explose de tous côtés
À l’heure actuelle, les onze de départ des Roud Léiwen ne changent plus énormément. Luc Holtz était heureux d’affirmer qu’il avait trouvé un groupe à l’issue de la Nations League et qu’il serait difficile d’y pénétrer.
On le ressent d’autant plus aujourd’hui que c’est carrément une équipe qui se dessine. Holtz a utilisé 23 joueurs sur cette campagne mais 8 ont littéralement servi de «béquilles» jouant, tout cumulé, l’équivalent de moins d’un match et demi soit 135 minutes sur 720 possibles. Restent 15 joueurs, c’est grosso-modo 11 titulaires et leurs 3 remplaçants. Avec plusieurs cadres quasi inamovibles : Jans et Gerson R., les seuls joueurs de champ à avoir joué l’intégralité de la campagne (en plus de Moris aux buts) et 6 autres éléments aux alentours des 600 minutes effectives (L. Gerson, Chanot, Carlson, O. Thill, V. Thill, Barreiro). Kiki Martins y serait sans sa pubalgie.
Bref, ce n’est plus une ossature, c’est un squelette et il est en marche. La preuve : alors que tout le monde s’attarde sur l’âge moyen de cette équipe ultrajeune, elle accumule une expérience folle en très peu de temps. À 27 ans, Laurent Jans compte déjà 63 sélections. Vincent Thill fêtera théoriquement en mars sa 30e cape à 20 ans seulement. Leandro Barreiro (19) et Danel Sinani (22) seront bientôt à 20 capes, Dirk Carlson (21), Olivier Thill (22) et Gerson Rodrigues (24) lorgnent eux les 25, tandis que Christopher Martins (22) pointe à 38 et en serait à 44 sans sa blessure.
Dan Da Mota, l’actuel joueur le plus capé du groupe avec 98 apparitions sous le maillot des Roud Léiwen, qui est un point de référence assez pertinent de par la précocité de son entrée à la FLF, avait par exemple dû attendre ses 25 ans pour fêter sa 25e cape.
C’est donc un vécu énormissime pour une génération de cette envergure, qui dessine une maturité internationale très précoce. Alors que tous les observateurs s’accordent à dire que ce n’est désormais plus qu’une question de temps, encore faut-il se poser la question : combien de temps ? Peut-être celui que leurs clubs prendront à leur faire, à tous, confiance.
Julien Mollereau
bonjour à tous,
un aperçu plutôt bien ficellé. Confirmé par une prestation intéressante contre des Portugais en mal d’équilibre sur la surface de Barthel. Pas toujours utile d’être techniquement doué mais le courage fait parfois/souvent la différence. Les Luxembourgeois en connaissent un bout. Seul bémol, à quand un vrai 9 de type « renard des surfaces » un voleur de buts, quoi !