Le Dr Denis Langinier, médecin du Progrès et initiateur du protocole sanitaire qui va ramener les clubs européens à l’entraînement, nous donne sa version de l’après-Covid dans le foot.
Le Progrès ne l’a pas caché, il veut être moteur dans le retour des footballeurs sur le gazon. Son médecin, le Français Denis Langinier est ainsi à pied d’œuvre depuis un gros mois, à multiplier les réunions, coups de téléphone, lectures de rapports…
On en est où, actuellement, du football au Luxembourg dans l’après-coronavirus ?
Denis Langinier : On en est à un protocole édité de longue date avec distanciation, contrôle de température… La deuxième partie brille pour l’heure par son absence, c’est le suivi biologique. Car ce retour concerne pour l’heure quatre équipes, quatre groupes concrets. On mène des réflexions depuis plus d’un mois visant à déterminer quel est le protocole qui offre un maximum de sécurité, qui nous permette de contrôler et d’isoler un patient positif, alors qu’on se retrouve face à une population différente. Il nous faut proposer quelque chose de cohérent. On va être des défricheurs au Luxembourg.
C’est un gros travail ?
J’ai pris des renseignements par rapport à des biologistes, des épidémiologistes et hier soir (NDLR : mardi), après moult réflexions, nous sommes tombés sur un test nasal tous les quatre jours. La sécurité de négativité peut durer quatre jours. Et nous éditerons des ordonnances de six mois pour être sûrs de ne pas avoir à les renouveler sans cesse. Il y aura aussi un test sérologique à la charge du joueur à J-2.
On va être des défricheurs
au Luxembourg
Deux tests donc ?
Pour être complet et inattaquable. En effet, quelle attitude faudra-t-il adopter en cas de joueur positif ? On le met lui seulement en quarantaine ou tout l’entourage ? Et puis il faudra qu’on détermine aussi nous-mêmes dans quel contexte il est devenu positif. Là, il faudra faire le boulot : le signaler et déterminer qui il a pu contaminer. Il est hors de question de ne pas le faire : on déroge déjà à la règle qui vaut pour tout le monde, alors il est hors de question qu’on se sente à part. Nous sommes des hyper-privilégiés alors nous devons être exemplaires. Nous devons montrer qu’avec un protocole, nous pouvons nous en sortir.
Cela veut-il dire, aussi, que c’est la norme qui s’imposera à tous les clubs de foot du Luxembourg cet été, quand ils reprendront ?
Possible, oui. C’est aussi pour ça que nous procédons à un test tous les quatre jours, pour avoir un maximum de sécurité. Plus tard, on pourra peut-être passer à un test tous les sept jours auquel j’étais initialement favorable parce qu’il représentait un confort pour les joueurs, mais on a finalement décidé de faire comme les Allemands parce que ce n’est pas si invasif. J-7 c’est raisonnable mais J-4, c’est logique. Et si pendant six semaines, nous n’avons pas de cas positif, alors on redeviendra peut-être plus pragmatique en passant à une semaine. Après, il faut voir que dans nos clubs européens, on est dans un encadrement quasiment pro mais d’autres pourront-ils s’arranger pour que leurs joueurs soient testés au stade ou leur faudra-t-il se débrouiller seuls ? Il y a certains endroits où il faudra composer avec des aléas techniques. Et puis les joueurs peuvent aussi refuser…
Oui, il existe aussi une charte que vous voulez faire signer aux joueurs…
Une charte de responsabilisation est envisagée, oui. Elle implique aussi qu’ils s’engagent à respecter les règles de distanciation sociale hors du terrain. Il y aura aussi des prises de température régulières imposées. Ils auront aussi un questionnaire simplifié. As-tu ressenti des frissons ? As-tu de la température ? As-tu une gêne thoracique ? As-tu eu des contacts avec des gens non masqués ? Bref, on fera du socio-médical.
Les clubs européens ont-ils déjà présenté des cas de joueurs positifs ?
Je n’ai eu aucun retour. A priori, ils se sont bien protégés.
Luc Holtz, dans une interview récente, semble considérer que les jeunes sportifs sont quand même bien à l’abri…
Les formes de Covid trouvées jusqu’à présent sont assez hétéroclites et par exemple, il est impossible de dire que qui que ce soit est véritablement immunisé. Pas plus les enfants que les adolescents ou les jeunes sportifs. Ni d’ailleurs qu’ils ne contamineront personne. Après, il n’y a pas beaucoup d’exemples de joueurs pro qui soient partis en réanimation à moins d’une charge virale importante ou de défauts respiratoires. Des gens en difficulté respiratoire, j’en ai vu arriver à mon cabinet à 24-25 ans.
Sans aller jusqu’à parler de joueurs susceptibles de jouer leur vie en reprenant, certains rapports indiquaient qu’il pouvait y avoir un danger pour les sportifs à reprendre une activité physique s’ils sont contaminés.
Nous avons effectivement eu des cas de gens qui ont eu de gros problèmes à s’en remettre et pour lesquels on peut effectivement craindre des séquelles. C’est pour cela que nous estimons qu’il est de notre devoir de prendre un maximum de précautions. Je me mets dans la peau des parents de ces jeunes joueurs. C’est notre responsabilité humaine et pénale qui est en jeu vis-à-vis d’eux, alors nous ferons tout pour avoir des signaux d’alarme précoces au-delà de tout ce qui est fait, en plus, pour éviter toute contamination. On doit éviter de devenir un cluster. Et dans deux mois, être en mesure de fournir des chiffres qui prouvent que ça peut marcher.
Nous sommes des hyper-privilégiés, mais il est hors de question qu’on se sente à part
Avez-vous l’impression de prendre un risque ?
Oui, c’est clair, on prend un risque. Il doit être le plus faible possible, mais il est bien là. J’ai un code de déontologie qui m’oblige à tout mettre en place pour l’éviter, mais…
Il vous faudra, à l’échelle du Progrès, vérifier que les exercices du staff technique, respectent les règles sanitaires ?
Tous les exercices doivent être « protocolisés », d’autant que nous entrons dans les périodes chaudes, que la transpiration va plus loin et que ce sont des agents provocateurs. C’est au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie que l’on verra comment l’on peut s’entraîner. Aura-t-on le droit, bientôt, à des matches amicaux ? Je ne sais pas. On peut contrôler beaucoup de choses, mais pas tout. D’ailleurs, quand on en arrivera aux matches officiels, on ne maîtrisera plus grand-chose. À ce moment-là, il faudra sans doute en revenir à plus de contrôles. Nous devons rester très vigilants.
Concrètement, cela fige absolument tout pour un entraînement ? Les joueurs feront toujours partie des mêmes petits groupes afin de limiter l’ampleur d’une éventuelle contamination ?
Logiquement, oui. On a quand même demandé à la commune l’autorisation d’utiliser les vestiaires. On en a six. Cela pourrait faire trois à quatre joueurs maximum par vestiaire, avec prise de douches par un ou deux. C’est une organisation simple et surtout hygiénique. Je ne suis pas sûr non plus qu’il soit plus sain de renvoyer des joueurs mouillés à la maison après une pluie d’orage s’ils sont tous malades après… Le lavage, c’est important. On préfère les renvoyer sains à la maison.
Entretien avec Julien Mollereau