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Disparition d’Oumar Sylla, la gentillesse pure


Oumar Sylla, milieu de terrain du F91, s’est éteint hier à 26 ans. La faute à un cancer du foie, dont il souffrait depuis quelques mois. À Dudelange et bien au-delà, on pleure un homme à la douceur gigantesque.

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Oumar Sylla (au c.), le 22 juillet, lors de sa dernière titularisation à Dudelange, en match retour du deuxième tour de Ligue des champions face aux Bulgares de Ludogorets (1-1). (Photos : Julien Garroy/Jean-Jacques Patricola)

La vie d’Oumar Sylla n’a jamais été un long fleuve tranquille. Simplement, il se la rendait agréable à coup de savoir-vivre, de rencontres et de bonnes valeurs. Un cocktail auquel on ne peut carburer que lorsqu’on est devenu un homme avant l’heure.

Oumar Sylla n’a pas encore 16 ans quand il quitte son Sénégal natal pour atterrir à Genève. Tout est ficelé : il doit intégrer le centre de formation du Servette dans l’espoir de devenir footballeur professionnel. Le destin l’amène à refaire ses valises plus vite que prévu. À peine arrivé en Suisse, l’adolescent apprend que le club entame une descente aux enfers qui le conduira au dépôt de bilan quelques mois plus tard. Point de centre de formation.

> « De l’or en barre pour un entraîneur »

Bienvenue en Haute-Normandie, à 650 kilomètres de la Suisse. Il rejoint sa grande sœur du côté d’Elbeuf, près de Rouen, quelque part entre la verdure, les immeubles et le ciel gris. Oumar est alors un buteur fou, qui inscrit 23 buts en PH (« dont beaucoup de la tête », avoue-t-il alors) lors de son unique saison à Caudebec-lès-Elbeuf (2004/2005). Le genre de performance qui suffit pour taper dans l’œil de l’US Quevilly, où il reçoit un complément de la formation dont il avait rêvé. Rapidement promu des U18 à la CFA, qu’il découvre à 18 ans et deux mois, Oumar, devenu défenseur central ou milieu défensif, change de nouveau d’adresse.

Richard Déziré, ancien coach de l’USQ arrivé à Raon-l’Étape en janvier 2007, débauche un an et demi plus tard cette grande carcasse (1,92 m, 80 kilos) sur qui il avait gardé un œil. Il est l’entraîneur qui va changer sa vie. « Oumar, c’est de l’or en barre pour un entraîneur. Ça n’a pas été facile pour lui d’arriver tout jeune dans les Vosges, là où il ne connaissait personne. Il n’y avait pas une intimité absolue entre nous, mais on s’est fatalement beaucoup rapprochés. Il vient de Caudebec-lès-Elbeuf, moi d’Elbeuf, la ville à côté. Il m’a fait découvrir la cuisine africaine… Ce qui arrive est insupportable. C’est une grande perte. Il a été admirable jusqu’au dernier souffle. Pour moi, Oumar, c’est un sourire. Un beau et grand mec. Quand Oumar rigolait, on voyait bien toutes ses dents et le bonheur était contagieux », récite Déziré, actuel entraîneur d’Avranches (National).

Ce premier mentor n’est pas la seule personne à avoir témoigné son amour pour Oumar Sylla la gorge serrée.

Après trois ans à Raon, le joueur poursuit son bonhomme de chemin en CFA, à Amnéville. Là où les belles rencontres se multiplient.

> « Je perds mon copilote »

Après deux saisons pleines, il emboîte le pas au deuxième coach de sa vie, Pascal Carzaniga, ainsi que de deux coéquipiers, Nicolas Fernandes et Romain Ney. Ce dernier jouait d’ailleurs le rôle de chauffeur de Sylla, adepte du covoiturage, qui n’avait pas son permis de conduire mais s’était mis à bouquiner le code de la route ces derniers temps. « Je perds mon copilote et mon ami. Cette nouvelle m’a fait beaucoup de mal », déclare Romain Ney.

« Il fait partie de mes fistons, souffle Carzaniga, répertorié dans le téléphone de Sylla à « coach Amnéville ». Il a été un combattant sur son lit d’hôpital comme il l’était sur le terrain. J’ai toujours répété dans mes vestiaires à quel point Oumar était exemplaire. Ça le gênait même, il m’appelait le soir pour me dire de ne pas le dissocier du reste de l’équipe. Cet été, j’ai écourté mes vacances d’un jour car il m’a prévenu qu’il serait titulaire contre les Bulgares (NDLR : de Ludogorets) en Ligue des champions. » Et puis la santé du Sénégalais s’est dégradée. Il perd rapidement 11 kilos et comme quelques coéquipiers accusent également quelques kilos en moins sur la balance, on croit qu’il s’agit d’une intoxication alimentaire contractée en Bulgarie, ce qui s’avèrera être le cas pour tous. Sauf pour Sylla.

Le F91 est parti en stage en Espagne la semaine dernière. Pas une seconde ne s’est passée sans une pensée pour le milieu défensif qui a participé activement au titre il y a huit mois. En arrivant à l’aéroport de Liège samedi soir, Sébastien Grandjean a rassemblé une dernière fois ses troupes. « Je leur ai dit ce qu’ils savaient déjà : qu’on pensait tous fort à lui, qu’il était l’un des nôtres… En Espagne, ses potes ont été exemplaires et dignes comme lui savait l’être. Je comptais sur lui, sur sa taille, sur ses qualités de combattant. Mais le football, c’est très peu… Il est parti en pleine fleur de l’âge. Quelque part, c’est un soulagement pour lui, mais pour nous, c’est une journée atroce », prolonge Grandjean.

À peine rentré d’Espagne et alerté la semaine dernière que l’état de leur pote n’allait pas en s’arrangeant, Sofian Benzouien, Saïd Idazza, Yassine Benajiba et Lehit Zeghdane ont rempli leur devoir amical et humain en se rendant au chevet d’Oumar. C’était dimanche. Son dernier jour.

La vie est définitivement une garce et laisse les proches d’Oumar Sylla dans une tristesse immense. Son épouse était notamment venue du Sénégal il y a quatre mois et la vraie vie devait commencer.

Mais puisque Oumar était avant tout un sourire, Jonathan Joubert, son capitaine au F91, garde en lui une image de joie : « À son arrivée, lors d’un stage à l’hôtel Leweck, il avait fait un bizutage remarqué. Il nous avait sorti une chanson africaine et la danse qui va avec, ce qui avait déclenché un fou rire général. »

De notre journaliste Matthieu Pécot