Avant le Tour de France femmes, Christine Majerus (35 ans) évoque, avec la passion et le recul qui sont les siens, sa participation à cette nouvelle épreuve tant attendue qui s’élancera dimanche de Paris en direction des Vosges.
Dans quelles dispositions vous vous trouvez avant votre participation à cette première édition ?
Christine Majerus : Après les championnats nationaux, j’étais censée ne plus avoir de compétition jusqu’au Tour de France et cela a changé au dernier moment. On m’a demandé de remplacer une coéquipière, testée positive au coronavirus (NDLR : la Britannique Anna Shackley). Donc, j’ai fait le début du Giro, mais j’étais libre de partir après six étapes, ce que j’ai fait. Finalement, j’ai passé une semaine dans la chaleur italienne. Cela n’était pas très agréable, mais je pense que c’était plutôt bénéfique. J’ai poursuivi avec une autre bonne semaine d’entraînement. Là, je croise les doigts pour récupérer encore un peu. Parce que je suis pas mal fatiguée. La canicule m’a un peu pompé de l’énergie. J’espère que ça ira mieux dans quelques jours. Et j’espère aussi avoir un test négatif pour être sûre d’être au départ (elle rit), parce qu’en ce moment, on ne sait jamais !
C’est compliqué de limiter les contacts…
Oui, c’est compliqué, nous, on le fait. Mais il faut vivre aussi. On continue de mettre les masques, mais je comprends que les gens qui ne font pas de sport prennent moins de précautions. Pour nous, c’est plus embêtant. Et puis, ces derniers temps dans l’équipe, on a eu pas mal de malchance. On verra bien !
Cette première édition du Tour de France Femmes vous inspire quoi par rapport à son tracé ?
Je pense que c’est un tracé assez bien équilibré. Comme la durée (NDLR : du 24 au 31 juillet). Par rapport à la taille de nos équipes et de notre peloton, c’est l’idéal. Je pense qu’ils ont fait un beau parcours, il y en aura pour tout le monde. Ce sont surtout les deux dernières étapes qui sont dures. C’est plutôt sympa. En comparaison, le Giro est quelquefois tellement dur qu’on sait qu’en tant que non-grimpeurs, on ne peut rien y faire. Le Tour me semble plus équilibré, cela me plaît davantage…
On ressent beaucoup d’envie et d’attente avec cette première édition du Tour de France Femmes. Comment percevez-vous les choses avec votre expérience ?
Oui, je confirme, les gens sont au taquet (elle rit). On voit que, pour les sponsors et les équipes, c’est important d’avoir du succès et de se montrer. On ressent pas mal de pression de ce côté-là. Cela se sent dans l’envie et l’approche qu’ont les coureurs. Personnellement, je me dis que cela reste une course comme une autre. Surtout dans ma position, je ne vois pas pourquoi je devrais la prendre comme une course différente. De toute façon, je me donne toujours à fond. Que ce soit pour un Tour de France ou une course de kermesse quelconque. J’essaie de ne pas me mettre de pression là-dessus. Mais on sait que c’est important pour notre équipe (SD Worx) et le cyclisme féminin en général.
Je pense qu’à la télé, il y aura du succès. Après, sur les routes, c’est mon point d’interrogation. Je ne sais pas si le public sera aussi présent que chez les garçons le long des routes
Important au-delà de la seule course ? Pour passer le test du très grand public et non plus d’un public averti ?
Oui, du très grand public, car cela sera sans doute la course la mieux suivie et la plus médiatisée de l’année. C’est sûr qu’on ne pourra pas se cacher. On parlera de ceux qui ont du succès. Ceux qui n’en auront pas, on ne va pas en parler ! Donc, c’est important de réussir ce Tour. Mais comme je l’ai dit précédemment, ça reste une course. En tant que coureur et en tant qu’équipière, c’est ce que je vais pas mal répéter cette semaine. La pression supplémentaire, je pense que cela ne mène nulle part. On sait ce qu’on vaut, nos coureurs et leaders sont forts et en forme. Il faut essayer de faire abstraction de ce qu’on attend de nous. Le mieux, c’est juste de courir comme on le fait toujours. On fait des courses intéressantes, pour la plupart.
Chez les garçons, il y a aussi des courses moins intéressantes. Il y a des gagnants et des perdants, des gens qui vont très vite en montagne. Des gens qui vont très vite au sprint. Des gens qui luttent pour rentrer dans les délais. Cela ne va pas changer quoi que ce soit, garçons ou filles. Je pense qu’à la télé, il y aura du succès. Après sur les routes, c’est mon point d’interrogation. Je ne sais pas si le public sera aussi présent que chez les garçons le long des routes. J’espère que oui, mais je pense que non, du moins, pas dans cette dimension-là. J’aimerais bien me tromper. Il faut partir de quelque chose et j’espère qu’on partira de plus haut que ce qu’on pourrait croire.
Concernant votre équipe SD Worx, vous partez avec deux leaders désignées, Demi Vollering pour le classement général et Lotte Kopecky pour les sprints…
Pour le général, il y a Demi (Vollering) et Ashleigh Moolman, qui sont à l’aise quand ça grimpe bien. Pour finir, il faudra décider, mais je pense que la course nous forcera à décider de toute façon. Et puis, après, Lotte (Kopecky) est un peu la Wout Van Aert du peloton féminin. Je pense qu’elle visera le maillot vert. Il y a pas mal de boulot qui nous attend. De mon côté, comme je l’ai déjà dit, j’espère faire ma part de boulot pour ces filles et retrouver de bonnes sensations.
Si jamais je me sens vraiment bien, alors, pourquoi ne pas choisir une journée pour essayer de partir en échappée. Je pense que jusque dans les Vosges, cela restera une course assez ouverte. Si je me sens bien et que je peux donner des garanties, j’aurai sans doute la liberté de partir en échappée. Pour le reste, mon rôle est très clair, je suis là pour rouler, protéger, filtrer. Faire en sorte que mes collègues se retrouvent dans les meilleures dispositions, un peu comme je viens de le faire au Giro. Voilà, j’espère que cela va bien se passer !
Je suis surtout très contente d’avoir vu Bob (Jungels) revenir à son meilleur niveau et en claquer une belle. C’est mérité après tant d’années de galères
Vous avez reconnu des étapes ?
Non, je n’en ai pas eu le loisir, puisque cela était censé être fait pendant le Giro. J’ai dû supprimer les reconnaissances. Mais je pense qu’il ne faut pas se prendre la tête. Les livres de route d’ASO (les organisateurs) sont assez bons. Et puis, on a d’autres données qui nous permettent presque de faire des reconnaissances sans y être allé. Et des fois, c’est bien aussi de ne pas savoir (elle rit). Pour moi, cela ne fera pas une grande différence. Mais mes leaders ont reconnu les étapes importantes. Elles pourront me raconter!
Quel est votre premier souvenir du Tour ?
Des journées devant la télé. Et en vrai, le prologue de Luxembourg (2002). J’avais fait plein de photos, elles étaient toutes moches. Il n’y en avait pas une de cadrée! Je les ai développées et j’étais contente de ma journée. On se demande bien pourquoi maintenant, mais voilà, c’est mon premier souvenir lorsque j’étais présente. On n’était pas de ceux qui font les routes du Tour de France en été.
Pour finir, quel regard portez-vous sur le Tour masculin ?
C’était un Tour très dur avec la chaleur, qui a expliqué pas mal de craquages, et avec le covid, qui nous rappelle à l’ordre encore et encore. Je suis surtout très contente d’avoir vu Bob (Jungels) revenir à son meilleur niveau et en claquer une belle. C’est mérité après tant d’années de galères. Cela montre qu’il faut continuer et ne pas trop écouter ce que les gens disent. Quand tout va bien, tout le monde est content. Lorsque ça ne va pas bien, ils ne savent plus qui vous êtes. Il ne faut jamais désespérer.
Et puis, on a vu Kevin (Geniets) faire du super boulot. Dommage qu’il soit tombé malade. C’est du top niveau ce qu’il fait. Ce que les gens voient rarement… un peu comme pour moi, même si lui peut suivre un peu plus longtemps dans les bosses. Je sais ce que c’est que de courir pour quelqu’un d’autre. Cela demande beaucoup d’énergie. Cela ne donne pas la reconnaissance qu’il faudrait. C’est super ce qu’il fait. À l’avenir, il pourra sans doute aller gagner des étapes. Sinon, devant, il y a deux extraterrestres et un homme en vert. Bon, je vois ça de l’extérieur…