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[Cyclisme] : «À l’époque, je me sentais un peu seule…»


C'est désormais devant sa télé et sur son rouleau que Christine Majerus pratique son sport. (Photo : dr)

Christine Majerus est montée très tôt au créneau pour demander qu’on arrête les courses. Malheureusement, les évènements dramatiques lui ont donné raison.

Où êtes-vous actuellement?

Christine Majerus : Je suis de retour dans ma base française dans le Val-d’Oise. J’étais rentrée pour faire une pause entre les courses.

Très tôt, vous aviez pris position en exprimant votre désaccord sur le fait que les courses ne soient pas annulées?

Effectivement. J’avais du mal à comprendre pourquoi on voulait nous faire courir en passant par des zones à risques, comme en Italie, par exemple, où des collègues devaient emprunter l’aéroport de Ste-Emilia. À l’époque, je me sentais un peu seule. Et finalement, l’UCI n’a rien fait, les organisateurs ont tenté coûte que coûte de maintenir leurs courses. Je trouve cela dramatique. Je suis peinée de voir qu’on préfère sauver sa course que des gens.

C’est vrai que depuis, la situation a totalement changé?

A posteriori, ma réflexion est tellement ridicule. Maintenant, tout le monde est confiné. On a l’impression d’être dans un très mauvais rêve.

Je suis dans une situation bien plus confortable que tout le personnel soignant, les médecins ou les malades

Qu’en est-il de votre situation?

Moi, je n’ai vraiment pas à me plaindre! Je suis dans une situation bien plus confortable que tout le personnel soignant, les médecins ou les malades. Je ne peux plus rouler dehors, mais je peux toujours m’entretenir. Ce n’est pas forcément évident d’un point de vue psychologique et, évidemment, pour préparer les JO ce n’est pas évident. Mais tout cela est, bien sûr, secondaire.

Vous évoquez les JO. Quel est votre situation par rapport à la prise de position du CIO, qui a choisi d’attendre et de voir?

Mon sentiment personnel, c’est que je ne suis pas du tout dans le mode JO. Sur le plan purement sportif, j’ai déjà ma qualification en poche, je n’ai pas cette pression de devoir aller chercher mon ticket. Tout cela me permet de relativiser par rapport à cette échéance. Maintenant, en tant que sportive, tout ce que je souhaite, c’est de pouvoir courir à nouveau. J’espère qu’avec les mesures prises par tous les gouvernements, la situation va s’arranger, qu’on viendra au plus vite à bout de ce virus et par la suite, qu’on pourra planifier la saison. Forcément, cela va demander un nouveau calendrier, il faudra attendre de voir ce que l’UCI va décider, ça c’est la première échéance. Concernant les Jeux, forcément c’est compliqué. Je suis persuadé qu’ils auront lieu car, il ne faut pas se le cacher, c’est une formidable machine à sous. Dans ce monde dicté par l’argent et la finance, il y a de tels enjeux marketing que, pour moi, c’est impossible d’annuler le plus grand facteur économique du sport moderne. Mais s’il y a le moindre risque par rapport au coronavirus, si ça s’éternise dans le temps, alors il faudra les décaler. Après tout, tout est déjà tellement chamboulé que ce ne serait qu’un chamboulement de plus. Décaler, ce serait plus équitable car actuellement, certains ne peuvent pas se préparer. Quand je pense aux nageurs, par exemple, c’est impossible d’envisager participer aux Jeux sans avoir la possibilité d’avoir un contact avec l’eau. Il faut que tout le monde dispose du même temps pour se préparer. Et si la santé des gens est en jeu, il n’y a pas de question à se poser.

Vous l’avez dit, vous êtes en France. Cela signifie que vous pouvez tout de même sortir?

Non. Pour moi, le discours du gouvernement est très clair et, en tant que sportif de haut niveau, on se doit de donner le bon exemple. Il ne faut pas rouler dehors pour réduire le risque de surcharge de travail des hôpitaux, par exemple, en cas d’accident. C’est qu’on fait en France, en Italie et en Espagne et on conseille à tous les amateurs et les cyclotouristes de faire pareil. Le mot d’ordre, c’est de limiter les déplacements au strict minimum.

Ma dernière sortie? C’était dimanche. J’en ai profité comme si c’était ma dernière

À quand remonte votre dernier sortie dehors?

C’était dimanche. J’en ai profité comme si c’était ma dernière. Et dans ces conditions, le parcours que vous faites tous les jours, vous l’appréciez particulièrement. Vous en profitez au max. Dimanche, c’était les élections et quand je vois des gens se balader en groupe en forêt, sortir pour profiter d’un dimanche ensoleillé normal, je suis un peu choquée. Bien sûr, ce sont des minorités mais à cause d’elles, les gouvernements doivent prendre des décisions encore plus strictes. Plus vite on les respectera et plus vite on pourra espérer retrouver une vie normale.

Quel est votre rythme de vie au quotidien, a-t-il été bouleversé?

Je trouve qu’il est important de garder certaines routines. Ce ne sont pas les vacances. Si vous faites du télétravail, levez-vous à l’heure habituelle. En ce qui me concerne, je me lève normalement, à 10 h, je suis sur le vélo, je fais du rouleau et après je fais une séance de gainage et de stretching. Ça ne sert à rien de faire de l’intensité. Sur le rouleau, c’est comme sur la route? Non. On ne peut pas faire des sorties de quatre heures sur le rouleau, ça ne sert à rien. En plus, ça joue sur le système immunitaire, donc il vaut mieux éviter. Et quand on verra la lumière au bout du tunnel, on avisera.

Avez-vous reçu des consignes de la part de l’équipe?

Ils nous ont simplement dit de rester chez nous, de ne pas nous prendre la tête. On laisse le vélo de côté. Avec cette pause, il y a de fortes chances que la saison se prolonge jusqu’en novembre et il faut tenir compte de cela. Toute cette fatigue psychologique peut te péter à la gueule à un moment. Et si ça dure jusqu’en novembre, ça impacte aussi la suite, notamment avec la saison de cross. Maintenant, je ne me fais pas trop de souci même si j’arrive en fin de contrat, je sais qu’il y a des gens qui sont intéressés. Ma situation est un peu plus confortable que celle de coureurs qui sont en fin de contrat et qui doivent montrer leur valeur. C’est aussi dramatique pour les petites équipes qui ont des petits sponsors, ça peut tout remettre en question.

Que faites-vous de votre temps libre?

J’ai la chance d’avoir un jardin. Je prends tout cela avec philosophie. En tant que sportive, d’habitude, le temps libre, je le consacre à la récupération, je ne sors jamais. Maintenant, c’est pareil. Sauf que psychologiquement, c’est différent car tu n’as plus le droit de sortir.

Entretien avec Romain Haas

 

Certains roulent, d’autres font du rouleau

Si Christine Majerus a décidé de ne plus effectuer de sortie à l’extérieur, elle n’est pas la seule. Installé également en France, du côté d’Aix-les-Bains, Kevin Geniets suit les recommandations de son équipe de la GroupamaFDJ et se contente de faire du rouleau : «On a reçu un mail il y a deux jours qui nous demandait de ne plus aller sur la route. Rouler, c’est notre métier, on joue le jeu.» Le jeune Luxembourgeois observe actuellement la pause qu’il aurait dû faire normalement à l’issue de ParisRoubaix. Par la suite, il ne fera que du hometrainer : «Pas plus d’une heure trente, on perd trop de minéraux, ça devient impossible.» Alors qu’il a effectué sa dernière sortie à l’extérieure samedi, hormis l’entraînement, sa seule activité physique se résume à un quart d’heure de marche. Évidemment, ce n’est pas l’idéal. Ben Gastauer, membre d’une autre équipe française, AG2R, a lui aussi décidé de repousser à plus tard ses sorties : «Je joue le jeu. L’équipe nous a mis en semi-repos, on fait surtout de l’entretien. J’ai un home-trainer qui me permet d’avoir un programme de mon équipe, j’ai juste à suivre les instructions.» Mais là encore, pas question de rester trop longtemps sur cette machine infernale : «Deux heures max.» Philosophe, le vétéran schifflangeois voit le verre à moitié plein : «On a le temps de recharger les batteries et de travailler nos faiblesses.»

Jempy continue les sorties

D’autres ont fait d’autres choix. Tout en respectant, bien sûr, les règles. C’est le cas pour Jempy Drucker, qui continue à effectuer des sorties : «On s’isole le mieux possible, je sors seul, je ne touche personne. On peut rouler mais pas en groupe ou seulement avec les gens qui vivent sous ton toit», indique le coureur de la Bora-Hansgrohe. Mais pas question de faire des sorties de cinq ou six heures : «Je fais une ou deux heures, histoire de me vider la tête. Pour moi, la priorité n’est pas l’entraînement mais de retrouver une vie normale.» De son côté, Tom Wirtgen a lui pris le parti de continuer de s’entraîner, presque comme si de rien n’était : «La seule chose que j’ai changé, c’est que je m’entraîne seul. L’équipe ne nous a pas dit qu’on ne devait plus aller dehors, le gouvernement le permet, ce n’est pas illégal de rouler dehors. C’est vrai que ça a changé. Maintenant, il y a beaucoup moins de voitures et les gens font beaucoup plus attention à toi. Ils ne te frôlent plus», souligne le coureur de BingoalWallonie Bruxelles. Qui continue donc de s’entretenir : «Histoire de ne pas devoir repartir à zéro quand la saison reprendra.» Si, bien sûr, elle venait à reprendre prochainement. Ce qui est loin d’être gagné.

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