Des essais, Kablan Davy N’Goma, le nouvel ailier du RFCU, en a fait beaucoup. Tellement et de si dingues qu’aujourd’hui, alors qu’il pense avoir trouvé le bon club pour s’épanouir, il peut en rire.
Vous évoluiez récemment en D2 tchèque. D’où sortez-vous donc comme ça ?
Kablan Davy N’Goma : (Il rit) Si vous me demandez comment le RFCU m’a trouvé, je répondrais « bonne question ». Moi-même, je ne sais pas. Il faut croire que mon agent connaît des gens au club, mais je ne sais pas comment. Et si c’est le cas, pas assez pour ne pas m’épargner l’essai. Sinon, si cela avait été des relations d’amitié, j’aurais signé direct (il rit). Mais les essais, finalement, je n’ai fait que ça dans ma carrière. Du coup, je commence à avoir l’habitude et j’ai appelé Ilies Haddadji, le directeur sportif du club, avant de venir, histoire d’avoir une bonne conversation. Je ne voulais pas me déplacer pour rien. Il m’a répondu qu’il pensait que je pouvais convenir, mais qu’il voulait juste voir. Dès lors, la balle était dans mon camp.
Quand vous dites que vous avez passé votre carrière à faire des essais…
J’ai dû en faire au moins une grosse dizaine. Souvent concluants, mais ce n’est pas pour ça qu’on signe… Vous voulez que je vous raconte ? Vous avez un peu de temps ?
Ce n’est pas normal, tu dois avoir un problème psychologique
Allez-y.
Les essais, non seulement il faut être bon, mais en plus, il faut savoir se faire accepter par le groupe, par le coach, par le directeur sportif, il faut que l’agent fasse bien son travail… Un exemple : un jour, je fais un essai à Sainte-Geneviève (N2). Ça commence comme ça : le coach me prend à part avant l’entraînement et me balance « on me dit que tu es une sorte de Messi noir, mais écoute-moi bien, c’est le groupe qui va décider de ton sort. Si tu t’imposes avec les pieds, OK. Sinon, tu dégages ». Moi, tout timide, les crampons au pied, bonjour la pression. Pourtant, ça se passe super bien et je ne perds pas un ballon. Le coach revient et me dit « c’est peut-être aussi un coup de chance ». Il me fait donc revenir le lendemain pour un amical… Je perds un ballon. Puis encore une semaine. J’en perds… allez, quatre, pas plus. À l’époque, je n’ai pas d’agent. On commence à négocier, et là, le coach me dit « avec de telles qualités, tu devrais être pro, ce n’est pas normal que tu sois là, tu dois avoir un problème psychologique ». Et il ne me prend pas. J’en ai pleuré. Un de mes meilleurs potes, c’est Tanguy Ndombélé (NDLR : Tottenham). Quand je lui raconte ça, il me dit « franchement, ça ne me donne pas envie de rire ». Mais des histoires comme ça, j’en ai plein.
Vous nous racontez la République tchèque ?
Tronquée. Encore un essai (il sourit). Je ne comprends rien à ce qui se passe, à ce qui se dit, mais j’y vais au culot et ça marche. C’est mon premier contrat pro. Mais très vite, on ne se retrouve plus payés et notre président annonce un truc fou dans les journaux, alors qu’on se bat contre la relégation et que c’est en train de marcher : « On va se laisser reléguer parce qu’on n’a plus d’argent, les caisses sont vides. » Bien évidemment, tous les joueurs commencent à se sauver, à appeler leurs agents pour trouver une solution et finalement, on descend.
La nana avait tout bidonné. Rien n’était vrai (…) Mais je vais porter plainte
Vous en avez beaucoup, des histoires comme ça, à 26 ans ?
Ah, l’histoire de ma vie, elle m’est arrivée juste en partant de République tchèque, l’été dernier. Le coach qui a sous-entendu que j’étais fou, à côté, c’est de la gnognotte ! L’été dernier, un club de D1 tchèque voulait de moi. Mais mon président en demandait 50 000 euros. C’était trop. Lui, il avait un accord avec un club de D1 slovaque où je ne voulais pas aller. J’ai devant moi différents contrats rédigés dans des langues que je ne comprends pas. Et là, débarque comme par miracle une agente de joueurs qui me dit qu’elle va m’aider. Elle multiplie les courriers aux différents clubs, m’inscrit dans des boucles WhatsApp dans lesquelles je vois qu’elle négocie en direct avec plein de monde. Et là, ça commence à s’emballer. Je vois arriver des intérêts de partout. Je me dis « bon sang, j’ai galéré toute ma vie et il suffisait de l’avoir, elle ! ». Et finalement, au milieu d’intérêts de Twente, Maritimo, Huesca… je reçois un contrat de trois ans à 8 000 euros par mois de Schaffhausen, en Suisse. Mais la veille d’aller signer, elle m’annonce qu’ils ont changé d’avis. Et d’un coup, la veille ou le jour même de chaque signature, bizarrement, tous les clubs, un à un, se rétractent. Un jour, je suis à Paris et je rencontre des potes joueurs qui s’y connaissent. Ils avaient quelques numéros de directeurs sportifs avec lesquels mon agente était censée avoir négocié et ils se rendent compte que ce ne sont pas les bons numéros. C’était quoi ce délire ? La nana, en fait, avait tout bidonné. Rien n’était vrai. Moi, je ne comprenais pas ce qui se passait, je n’en dormais plus. Et je ne comprends toujours pas quel était son intérêt de me faire ça. Mais j’ai tous les soi-disant documents et je vais bientôt aller porter plainte. Le temps que je me réveille, le temps qu’elle m’a fait perdre, c’est fou.
Toute votre carrière, depuis votre départ du centre de formation d’Amiens, a été comme ça ?
Il y a eu un moment où je me suis retrouvé à Avoine, dans une toute petite ville, mais à un bon niveau (N3). Le coach était un ancien gardien de but. Il avait été pro. Moi, j’étais jeune, j’étais prêt à faire tout ce qu’il me disait les yeux fermés. Sauf qu’aux séances, on faisait tout à une touche. Fatalement, quand votre jeu, c’est la technique et l’élimination, vous perdez vite vos qualités. J’ai failli arrêter le foot. Je me retrouve alors… à l’essai, en Autriche. Quand un certain William Prunier (NDLR : ancien international français ayant joué à Auxerre, Marseille, Bordeaux, Manchester United…) m’appelle pour me dire « tu te rappelles de moi? ». Ce n’est pas ma génération, je ne connaissais pas. Mais apparemment, c’était l’entraîneur de Toulon et moi j’avais été à Tarbes. « Tu avais mis la misère à mon latéral, il me dit. Maintenant, je suis à Canet-en-Roussillon, c’est un beau projet, on veut monter. Il me reste une place, elle est pour toi. » Entre ça et un essai de plus, en Autriche, j’ai vite fait mes bagages. Et ça a marché. On monte. Derrière, je dois signer en N1 à Béziers, mais le covid arrive et fiche tout par terre parce que Béziers est relégué quand le championnat est arrêté et les positions gelées.
Après tout ça, le RFCU, cela ressemblerait presque à des vacances.
Tout ça m’a appris que dans le foot, l’extrasportif, c’est crucial. Longtemps, moi, je n’ai pas su me vendre. En sortant du centre de formation d’Amiens, j’ai même joué gratuitement à Épinal, parce que tout ce que je voulais, c’était jouer. On m’avait dit qu’on me paierait sur la deuxième partie de saison si j’étais bon. Mais dans le foot, personne ne te respecte si tu n’es pas payé. Ton salaire, ça dit aussi qui tu es. Je veux bien que tu puisses jouer par amour, mais l’amour, ça ne te fait pas manger. Ni respecter.
En arrivant au RFCU, avec toutes ces expériences négatives, sur quels joueurs vous êtes-vous appuyé pour avoir l’assurance de ne pas rater votre coup ?
J’ai été bien accueilli et je vous dis ça parce que, contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas toujours le cas. Forcément, puisque tu viens prendre la place d’un copain. Les gars qui étaient là avant toi se demandent : « pourquoi l’autre et pas mon pote ? ». Toi, tu es le mec qui vient manger dans leur assiette. Alors qu’au RFCU, ils m’ont pris comme un renfort. J’ai eu à cœur de leur prouver que j’étais là avec eux et pas contre eux. J’ai été formé à Amiens comme Romain Ruffier, j’ai des amis communs avec Yann Mabella. Forcément, quand un nouveau arrive, tout le monde regarde d’où il vient, ce qu’il a fait, et il n’est pas rare qu’on se trouve un truc en commun…