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[BGL Ligue] Fiorani : «Pour Tchernobyl, je n’étais pas né»


Alessandro Fiorani doit aller aussi vite contre le virus que sur son aile droite de la Jeunesse Esch.

Alessandro Fiorani, ailier de la Jeunesse Esch, travaille au ministère de la Santé. Et depuis plus d’une semaine, il est sur la brèche, accaparé par le ravitaillement des hôpitaux.

Alessandro Fiorani était sur le point de revenir aux affaires pour de bon quand le coronavirus a mis tout le pays à l’arrêt et à plus forte raison son football. Mais alors que la plupart de ses coreligionnaires de DN rongent leur frein à la maison, lui est en état de stress permanent puisqu’il est l’un des rouages du mécanisme mis en place par le ministère de la Santé pour tenir le cap en ces temps de crise majeure.

Quelle est l’ambiance au ministère de la Santé?
Alessandro Fiorani : Elle est… (il ne finit pas sa phrase). Il y a énormément à faire. J’ai moi-même intégré une cellule logistique d’une trentaine de personnes venues de plein de corps de métiers différents. Je m’occupe de la gestion du stock et il y a du pain sur la planche, mais on est confiants vu tout ce qui a déjà été mis en place depuis une semaine.

«Je m’occupe de la gestion des commandes. Genre masques chirurgicaux.»

Quel est exactement votre rôle dans cette machine de guerre?
D’habitude, au ministère, je gère les finances mais, là, je m’occupe de la gestion des commandes, de la prospection pour l’achat du matériel de protection individuelle. Du genre des masques chirurgicaux. C’est un budget conséquent, pas mon budget traditionnel. Il y a beaucoup d’argent à débloquer. Ce matériel, il faut le rechercher et dans un domaine que je ne connais pas. Ma chance, c’est qu’il y a beaucoup d’entreprises qui postulent pour nous approvisionner. Un acheteur étatique, ça n’est pas rien. Mais moi, dans tout ça, je suis juste quelqu’un qui donne un coup de main dans une situation compliquée.

À quoi une de vos journées types de crise ressemble-t-elle?
Samedi, j’ai travaillé toute la journée. Dimanche, j’ai quand même eu le temps de rentrer manger. Mais le reste de la semaine, j’étais là à 7-8 h du matin et je ne rentrais au mieux qu’à 18 h. Mais dans les temps difficiles, c’est plutôt normal. Et puis notre cellule vient de se créer, elle a besoin de temps pour prendre son rythme de croisière. Après, on pourra effectuer un roulement, je pense. Je ne m’attends pas à faire du sept jours sur sept, douze heures par jour, pendant cinq ou six mois. De toute façon, si l’épidémie dure, on sera là pour accroître l’approvisionnement. On ne manquera de rien. Le matériel médical continuera d’arriver et on réagira en conséquence si la crise s’amplifie. Je suis confiant.

«Quelle autre crise internationale de cette ampleur y a-t-il eu?»

C’est du jamais vu.
Pour moi oui. Pour Tchernobyl, je n’étais pas né. Quelle autre crise internationale de cette ampleur y a-t-il eu? Le 11 septembre 2001? Une qui nous touche comme ça, en tout cas, jamais.

On ne pense plus à soi?
Moi là, avec l’absence de football, je pète un câble. Deux semaines qu’il n’y a plus rien. Je vais courir, je fais du fitness à la maison, mais ce n’est pas la même chose.

Récemment, le joueur de Differdange Gonçalo Almeida, policier dans le civil, nous racontait que les gens ne semblent pas suivre énormément les consignes gouvernementales de confinement. Avez-vous des conversations, au ministère de la Santé, sur ce sujet?
Franchement? Non. On n’a pas le temps de discuter. Et moi, j’arrive en général au boulot avant que les gens ne sortent et j’en ressors après qu’ils soient rentrés. Je sais que chez nous, ceux qui ne se sentent pas de se promener dans les locaux sans masque ne le font pas. Ils se protègent.

«J’ai appelé mes coéquipiers pour leur dire d’aller faire leurs courses avant la grande panique»

Vos dirigeants de la Jeunesse, votre staff, vos coéquipiers vous contactent-ils pour prendre des nouvelles en avant-première?
Oh! je pense que, d’une part les médias relaient assez bien tout ce qui doit l’être, mais aussi que le ministère est très transparent. On communique tout le temps, on actualise régulièrement les chiffres, il y a des affichages pour les gestes essentiels à connaître, vraiment tout est public. Moi, je ne pourrai pas leur offrir beaucoup plus d’informations. Bon, si, une fois, au tout début de la crise, j’ai appris une heure à l’avance que les écoles allaient être fermées. J’ai appelé mes coéquipiers pour leur dire d’aller faire leurs courses avant la grande panique, pour qu’ils ne se fassent pas agresser dans les rayons (il rit).

Quand votre club a vendu l’idée de continuer les entraînements malgré le confinement, comment avez-vous réagi?
Ah! il a fallu aborder ça avec le staff, discuter. Cela ne m’a pas choqué. Le point négatif, c’était de traîner 30-45 minutes aux vestiaires tous ensemble. La solution qu’on avait trouvée était crédible (NDLR : les joueurs devaient se changer chez eux et repartir sans se doucher) mais quelques jours plus tard, tous les déplacements non essentiels étaient interdits. Donc… Si ça avait été pour me prendre un PV parce que je rencontrais des policiers et que je leur expliquais que je me rendais à l’entraînement de la Jeunesse Esch…

«Les gens ont vraiment peur. Luxembourg-Ville, en ce moment, c’est le calme de la campagne»

À quoi ressemblent les rues de ce Luxembourg confiné, vous qui avez le droit de sortir?
C’est… vide. La semaine dernière, il y avait encore quelques gens dehors, dans les rues, et même parfois en groupe. Mais là, j’ai pris une quinzaine de minutes pour me balader dans le parc et me changer les idées et je n’ai pas vu une seule personne. Là, je me rends compte que les gens ont vraiment peur. Luxembourg-Ville, c’est le calme de la campagne. Je n’ai jamais vécu ça.

Devoir sortir, ça vous fait peur?
Je n’angoisse pas. Ma copine, qui travaille dans une banque, est en télétravail à la maison. Si je dois attraper le coronavirus, je ne pourrai pas l’empêcher. Je respecte les distances de sécurité, les gestes d’hygiène.

Et vous parvenez, dans cette situation, à prendre soin de votre condition physique, l’une des angoisses de tous les coaches du pays en ce moment?
Oui, j’y arrive. L’autre fois, j’ai couru pour aller au travail. De Mamer jusqu’en ville. Sept kilomètres en un peu plus de trente minutes. Sans montée ni descente, rien de fantastique. Sans croiser presque personne, et ça c’était incroyable. Bon, je ne l’ai pas fait pour rentrer, le soir : ma copine est venue me chercher.

«Ce serait égoïste de rejouer au football cette saison. Je suis contre»

À combien estimez-vous les chances de pouvoir rejouer au football, cette saison?
Cela n’engage que moi, c’est ma propre réflexion car je ne suis pas médecin, mais je pense que ce sera compliqué. Imaginez que l’on reste sans jouer jusqu’à fin avril. Un mois et demi d’arrêt? Et après une semaine on se remet à jouer? Le risque de blessures est énorme et les hôpitaux, pour le moment, ont bien d’autres choses à faire que de réparer une cheville pétée. Ce serait égoïste de rejouer au football. Je suis contre.

Croisez-vous souvent Paulette Lenert, la ministre de la Santé, à l’heure actuelle? Comment vous paraît-elle vivre la situation?
Oui, je la croise tous les jours puisqu’elle passe vérifier que tout va bien dans notre cellule. Je trouve ça super bien. Elle n’a pas eu de chance que cette épidémie se manifeste trois semaines seulement après son entrée en fonction (NDLR : elle a été intronisée le 4 février). Elle m’a l’air confiante en tout cas.

Recueilli par Julien Mollereau