La MLS reprend ce jeudi. Sanitairement, sociologiquement, météorologiquement, ce sera bouillant pour le défenseur des Roud Léiwen Maxime Chanot.
Samedi, New York City et Maxime Chanot ont eu droit à leur première séance d’entraînement à Disney World, Orlando, Floride. Température : 32 °C. Humidité : 98 %. Jeudi, la Major League Soccer reprend chez Mickey après quatre mois d’interruption totale des compétitions. Mais elle le fait sur un volcan tout près d’exploser. Dans l’État qui est désormais l’épicentre de l’épidémie de coronavirus dans le pays le plus mortellement frappé avec plus de 131 000 morts recensés. Avec la résurgence devant les télés du pays du mouvement «Black Lives Matter», qui veut profiter de la visibilité offerte par la reprise du premier championnat professionnel américain, pour marquer le coup dans la défense des droits des Afro-Américains. Avec des joueurs dont l’état de santé mentale risque de vite se dégrader tant l’isolement qui leur sera imposé a été voulu sévère.
Mais pourquoi aller chez Mickey, là où l’épidémie est la plus forte actuellement ?
Disney World, avec 100 kilomètres carrés de surface, a la taille d’une ville comme San Francisco. Accueillir ces 26 équipes de MLS alors que les activités touristiques du site sont à l’arrêt permet de rentabiliser un peu et de braquer les projecteurs sur Mickey. Et d’un.
Historiquement, l’endroit est aussi très lié à la NBA : le groupe Disney est diffuseur de la NBA depuis un bout de temps via la chaîne ABC et le réseau câblé ESPN, moyennant 1,4 milliard de dollars par an. C’est bien pour cela que fin juillet, la saison de basket reprendra précisément sur ses installations, en vue d’y disputer plus d’une centaine de matches. Disney protège ainsi ses investissements et sauve cette manne financière pour les clubs en s’assurant que la compétition reprendra devant des caméras de télévision.
Mais le football dans tout ça ? Eh bien Disney possède aussi les droits de la MLS, même si ces derniers ne s’élèvent qu’à quelques dizaines de millions de dollars par an. La logique est donc à peu près la même : il faut reprendre. Question de business. Toutefois, comme pour la NBA, d’autres lieux ont été envisagés pour accueillir le retour à la compétition. Las Vegas, Atlantic City ou les Bahamas. Seulement, Orlando était la seule option viable, celle qui garantissait une infrastructure performante et surtout à l’écart des lieux publics. Une réouverture partielle de Disney World aux visiteurs est prévue pour le courant du mois de juillet mais dans des zones éloignées de la cité sportive qui accueillera Maxime Chanot et quelque 700 joueurs.
Reprendre à Orlando, c’est dangereux, sanitairement parlant ?
Le 2 juillet, les États-Unis ont battu un record de nouveaux cas de Covid-19 identifiés avec plus de 57 000 contaminations en 24 heures, portant le total de personnes ayant été touchées à 2,8 millions et le nombre de morts à près de 130 000. Jusqu’alors, Maxime Chanot et ses coéquipiers de New York City ont vécu en apnée au beau milieu de la ville la plus touchée au monde avec plus de 22 000 morts fin juin (trois fois plus qu’une année normale) mais les voilà partis pour une reprise d’activité dans le nouvel épicentre américain : la Floride. Les ambulances et corbillards ne circuleront plus sous leurs fenêtres puisque leur hôtel est installé loin de tout, mais l’ambiance risque d’être pesante. Les informations, elles, arriveront bien jusqu’à eux…
De l’autre côté du pays, en Californie, où l’épidémie se remet à flamber dans des proportions moindres, il a été décidé que les restaurants, cafés, musées et cinémas fermeront de nouveau pour trois semaines. Est-ce raisonnable, dans ce cas, de rejouer au football, même dans un isolement total, au beau milieu de cette poudrière ? Ce week-end, certaines plages floridiennes ont été fermées au public pour la fête nationale mais le peuple américain a déjà prouvé à maintes reprises, depuis le début de l’épidémie, que sa vision toute personnelle des libertés individuelles peut être un terrain propice à la propagation.
D’ailleurs, ces dernières semaines, les équipes de sports collectifs qui passent par la Floride ne sont elles-mêmes pas épargnées. En stage en Floride fin juin, l’équipe de base-ball des Phillies a compté cinq joueurs et trois membres de son staff contaminés, et son hôtel a été fermé pour désinfection. Un joueur de l’Inter Miami, club de David Beckham, a été testé positif. L’équipe féminine des Orlando Pride, avec dix personnes touchées (dont six joueuses), a dû renoncer à se rendre à la Challenge Cup, dans l’Utah. Et comble du comble, le 23 juin dernier, le célébrissime Tom Brady, quaterback de l’équipe de foot américain de Tampa Bay, était pris avec son équipe des Buccaneers en flagrant délit d’entraînement collectif alors que cela leur était strictement interdit et que deux joueurs venaient d’attraper le Covid. Bref, le virus semble partout et les sports collectifs incapables de l’enrayer.
Il y a deux semaines, l’immunologiste américain Anthony Fauci (recadré sèchement par le grand virologue Donald Trump), interrogé sur une reprise du foot US en septembre, répondait ceci : «À moins que les joueurs ne soient regroupés dans une bulle, isolés de la population et qu’ils ne soient testés presque tous les jours, il est très difficile d’imaginer comment l’on pourrait jouer au foot cet automne.» Et en juillet ?
À quoi la vie des joueurs va-t-elle ressembler ? Un enfer de solitude
Il y a trois semaines, Maxime Chanot nous avait décrit le concept dans ces colonnes. «Un étage d’hôtel par équipe avec 50 personnes maximum par équipe, un joueur par chambre et interdiction de sortir. Juste pour s’entraîner et jouer les matches.» Mais pour arriver à cet isolement mentalement difficile (il n’y aura bien sûr pas de public au stade), encore fallait-il avoir le droit de monter dans l’avion, en subissant deux tests négatifs séparés de 24 heures. Suivis d’un troisième en arrivant sur place et d’une quarantaine stricte en attendant le résultat.
Parmi les équipes qui vont participer au tournoi, les premiers cas positifs n’ont pas tardé à émerger. Six joueurs de Dallas se sont retrouvés dans la charrette… à leur arrivée. Ils sont venus s’ajouter à la vingtaine d’éléments touchés un peu partout dans le pays, sur les 668 joueurs testés depuis début juin.
Ceux qui sont passés entre les gouttes vont avoir droit à un régime particulier. Cette semaine par exemple, le thermomètre ne descendra jamais sous les 25 °C… la nuit. Le reste des journées, il fera entre 31 et 33 °C, avec une humidité effarante. L’organisation va donc s’adapter. Son premier match, jeudi, New York City le disputera à… 9 h du matin contre Philadelphie. Le second, face à l’équipe locale d’Orlando, débutera lui à… 22 h 30, le mercredi 15 juillet. Cinq jours plus tard, il s’agira enfin d’un horaire «normal» contre Chicago : 20 h. Si NYC se qualifie, il disputera ensuite des matches à élimination directe sur le modèle de ce qui se fait sur un Mondial, en commençant au stade des huitièmes de finale.
Chanot et ses coéquipiers pourraient ainsi passer plus d’un mois et demi dans cette ambiance si particulière, si d’aventure ils vont jusqu’en finale. En jeu, une place pour la Ligue des champions de la Concacaf. Mais il faudra être très costaud psychologiquement pour aller au bout, comme le rappelle l’ancien international français Thierry Henry, qui coache l’Impact Montreal : «J’ai joué beaucoup de tournois. Mais on pouvait sortir, on pouvait avoir une journée de congés, on pouvait visiter les alentours, voir sa famille. Rien ne se compare à ce qu’on va vivre. Les conditions physiques et mentales ne seront pas évidentes. Il y aura peut-être des choses qui se passeront.»
Une scène incroyable pour les revendications des «Black Lives Matter»
Plus de 70 joueurs professionnels américains ont créé récemment une association visant à lutter contre le racisme, la Black Players Coalition. Cette dernière proclame d’emblée qu’il va «y avoir du changement». Dirigée par Justin Morrow, défenseur de Toronto, cette nouvelle organisation «va se battre contre les inégalités raciales dans notre championnat».
Même si les États-Unis en arrivent à un moment de leur histoire où même des États comme la Virginie ou le Mississipi commencent à déboulonner des statues ou décrocher des drapeaux en lien avec leur passé confédéré datant de la guerre de Sécession, c’est donc qu’il y a, aussi, des discriminations à l’intérieur même de la Ligue ? Si c’est le cas, il pourrait se jouer énormément de choses lors de ce tournoi de reprise, sous l’œil de millions de téléspectateurs sevrés de sport de haut niveau depuis très longtemps et alors que la MLS est le premier championnat professionnel à redémarrer.
Souvenez-vous de Donald Trump qui avait qualifié Colin Kaepernick de «fils de pute» quand le joueur de foot US a commencé à s’agenouiller pendant l’hymne américain, dès 2016. Dans la foulée, la NFL avait coupé les ponts avec le joueur des 49ers de San Francisco, qui n’a jamais plus retrouvé de contrat. Et récemment, la NFL a fait marche arrière, en abrogeant la règle 604-1 qui obligeait les joueurs à rester debout pendant le Star Spangled Banner : «Il était devenu clair que notre politique était erronée.» Mais il a fallu, pour en arriver là, que la mort de George Floyd, le 25 mai 2020, entraîne de massives manifestations de soutien à la cause noire partout dans le pays.
La raison d’être de la Black Players Coalition à côté du mouvement sociétal «Black Lives Matter» pose donc la question de la situation des joueurs afro-américains en MLS et de l’importance de leur mouvement corporatiste. Et donc de l’impact que cela pourrait avoir sur l’opinion et donc de l’ambiance générale de ce tournoi.
Thierry Henry aussi, d’ailleurs, compte faire entendre sa voix : «Il y a quelque chose que je voudrais faire, mais je le garde pour moi.» Ça risque d’être tendu. Surtout si, à quelques mois de l’élection américaine, Donald Trump réagit à la moindre provocation.
Julien Mollereau (avec AFP)