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Le télétravail avec modération


Le domicile des salariés n'est pas toujours en adéquation avec le télétravail qui peut vite devenir un enfer. (Photo : Adobe Stock)

Le télétravail est sur toutes les lèvres. Auparavant l’exception, travailler depuis son domicile est devenu la norme en attendant la fin de la crise sanitaire et le retour au bureau, pour le meilleur et le pire.

Des voix s’élèvent afin de ne pas revenir en arrière et continuer sur la voie du télétravail. Les «avantages» seraient nombreux : gain de temps personnel, meilleure conciliation de la vie professionnelle et vie privée, économie et écologie, réduction du stress et augmentation de la satisfaction au travail. Mais les désavantages existent également et peuvent avoir des répercussions, notamment sur les limites entre vie professionnelle et vie privée qui peuvent s’effacer. Explications.

Dans le monde d’avant, le télétravail était une exception. Il faut dire que pour un frontalier, au-delà de 26 jours de télétravail, le salarié était perdant d’un point de vue fiscal en plus de faire grincer des dents les pays de la Grande Région qui s’écorchent sur le sujet depuis bien trop longtemps.

Outre l’aspect fiscal, télétravailler permet un gain de temps précieux pour les salariés. C’est indéniable.

Selon l’enquête Luxmobil menée en 2017, les résidents mettent en moyenne 34 minutes (aller) pour se rendre au travail. Pour les frontaliers, selon une étude réalisée par le Liser en 2018, la moyenne des déplacements est de 2 heures par jour aller-retour.

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Une pression et des contraintes

La généralisation du télétravail a donc permis d’améliorer le confort de vie des salariés pouvant le pratiquer. Cela induit aussi moins de voitures et donc moins de bouchons et moins de pollution en plus de faire des économies en carburant. Bref, un trio gagnant. On pourrait y ajouter la possibilité de gérer son temps de travail de manière plus flexible le tout dans un espace à domicile souvent plus confortable et plus calme que dans un open space.

Sauf que la réalité est tout autre et très différente d’un cas à l’autre.

Sur le papier, le télétravail semble idyllique. Mais dans la pratique, les dérives existent. «On ressent une sorte de pression, celle d’être tout le temps disponible dans la minute et à toute heure sous prétexte que l’on travaille depuis la maison», explique Céline, jeune cadre travaillant dans la finance. «Effectivement je n’ai pas de temps de trajet, mais je ne compte plus mes heures non plus. Évidemment, personne ne m’oblige textuellement à travailler tard le soir jusque minuit, mais on nous charge toujours plus de travail en s’imaginant que l’on travaille « mieux » en télétravail et que l’on a plus de temps. En plus vers 16 h, les enfants rentrent à la maison et c’est un peu plus difficile d’avancer efficacement. Ce qui est normal, mais je n’ose pas imaginer la tête de ma direction si j’explique que j’ai des heures supplémentaires en télétravail car dans la journée je suis dérangée par ma vie privée», soupire-t-elle en ajoutant : «Je vois davantage mes enfants, mais je ne sais pas si je pourrais tenir ce rythme très longtemps où je n’éteins pas mon écran avant minuit, voire une heure du matin deux à trois fois par semaine et les week-ends.»

En effet, selon une récente publication du Statec, les personnes en télétravail prestent en moyenne quatre heures de plus que les autres, et le plus souvent en soirée et le week-end. Ainsi, 55 % des télétravailleurs triment aussi le soir, alors que ce pourcentage n’est que de 33 % parmi les personnes qui ne font pas de télétravail.

Toujours selon le Statec, le télétravail ne serait pas synonyme de satisfaction au travail. «En 2019, le niveau de satisfaction au travail des personnes qui font du télétravail était similaire à celui observé chez celles qui n’en font pas. Globalement, nous ne voyons pas d’effet positif du télétravail sur la satisfaction. Pourtant, si nous prenons en compte le nombre d’heures passées en télétravail, des différences importantes apparaissent : les personnes qui passent plus de deux jours par semaine en télétravail sont moins satisfaites (76 %) que les personnes qui travaillent exclusivement dans les locaux de leurs employeurs (82 %)», souligne l’institut statistique.

Pour Corinne, agent administratif, le télétravail a du bon. «Outre le temps de trajet, j’arrive à mieux m’organiser et à mieux jongler entre mon temps privé et mon temps de travail. J’arrive également à couper facilement en travaillant depuis la maison, mais c’est aussi parce que j’ai une pièce dédiée, un bureau. Quand je ferme la porte, c’est comme si je sortais de l’entreprise», explique-t-elle. Là encore, les cas sont différents et voir son espace de travail empiéter sur son salon ou sa chambre à coucher peut, à terme, affecter la motivation au travail. «Au début, j’ai installé mon ordinateur de bureau dans la cuisine. Au bout de dix jours, je n’en pouvais déjà plus d’être face à mon poste de travail alors que j’étais encore au petit-déjeuner», peste Céline. Depuis, elle a réaménagé son espace intérieur.

Des charges collatérales

Pour Christian, qui travaille dans la finance, la question du télétravail doit être mûrement réfléchie notamment sur les charges liées au télétravail. «Pour bien télétravailler il faut une bonne connexion internet à la maison. Une connexion qui n’est pas payée par l’employeur. Il faut également une bonne chaise de bureau, un bureau, quelques fournitures, une imprimante, il y a le coût de l’électricité, etc. Mis bout à bout, cela fait une somme qui est souvent à la charge du salarié car bien souvent on s’imagine qu’il faut juste son ordinateur portable pour télétravailler et que l’on fait ça sur son canapé ou sa table à manger, mais c’est faux», assène Christian. Pour Lara, le problème est tout autre. «J’habite dans un logement récent répondant aux meilleures normes d’isolation au Luxembourg. Je capte donc assez mal le réseau téléphonique et quand je télétravaille, c’est souvent difficile de me joindre», souligne la jeune femme.

Autant de cas différents qui laissent à penser que le télétravail n’est pas fait pour tous et n’est pas aussi facile à mettre en place. «Il faut le penser au sein de l’entreprise et même au niveau du droit du travail et des conventions collectives. C’est primordial, autrement les dérives arrivent très vite et le salarié se retrouvera être le dindon de la farce au niveau financier et du temps de travail», milite Christian.

Le télétravail est autant débattu, il faut pourtant préciser qu’il n’est pas possible de le généraliser à l’ensemble des personnes.

Avant le Covid-19, les travailleurs avec un diplôme universitaire étaient presque «trois fois plus susceptibles de travailler à distance que ceux avec un diplôme inférieur», selon le Statec. D’ailleurs, le télétravail est souvent accessible aux «cols blancs», autrement dit les professionnels qualifiés et les cadres où une présence virtuelle au travail peut s’avérer suffisante.

Pour Lionel, employé de bureau au Kirchberg, le télétravail n’est pas non plus durable sur le long terme : «C’est super de rester en caleçon et travailler de chez soi, mais après un mois, les relations sociales et professionnelles sont au plus bas, la communication et les retours des supérieurs et des collègues sont très difficiles. Il y a alors de l’incompréhension, des erreurs, etc.», souligne-t-il en expliquant que «le télétravail devrait être limité à quelques jours dans l’année, toute la question est de trouver la bonne dose».

Sans pouvoir faire de généralisation, si le télétravail présente des bons côtés, il peut donc aussi avoir des effets contraires, comme une communication et une collaboration qui s’avèrent plus compliquées à distance. Le contrôle de la production peut aussi augmenter mettant un peu plus la pression sur les télétravailleurs qui effectuent plus d’heures.

Dès lors, le télétravail pourrait très vite devenir propice à une dégradation des conditions de travail, d’où l’importance de le penser et de le réglementer.

Jeremy Zabatta

Un commentaire

  1. C’est faux le télétravail n’était pas moin intéressant pour le résidents francais puisque les impots francais sont moins élevés que l’impot luxembourgeois sur les personnes physiques. Un frontalier francais travaillant en France payait donc moins d’impot en travaillant de chez lui (sans compter toutes les autres économies liées au télétravail).

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