Un endroit de légende pour un duel épique : Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar, les deux inséparables, s’affrontent à distance ce mardi lors d’un contre-la-montre alpin.
Honneur réservé au maillot jaune, Vingegaard s’élancera en dernier, à 17 h pile, juste après son rival slovène, pour environ 36 minutes d’effort sur un parcours aussi court (22,4 km) qu’exigeant entre Passy et Combloux.
Le profil de cette 16e étape, avec la terrible côte de Domancy (2,5 km à 9,4 %) au menu, convient parfaitement aux deux champions qui se tiennent en dix secondes au classement général et vont vouloir mettre les pendules à l’heure en Haute-Savoie.
Si le Tour pourrait basculer aujourd’hui, difficile de désigner un favori entre les deux ogres, irrésistibles en montagne et excellents rouleurs, qui disent de concert «aimer beaucoup» le parcours. «Les changements de rythme me conviennent parfaitement», souligne Vingegaard. «C’est le genre de chrono que j’adore», répond Pogacar.
«C’est un chrono pour montagnards», affirme l’architecte du tracé, Thierry Gouvenou. «Il y a Domancy bien sûr, mais aussi la côte de la Cascade de Cœur dès le départ. Et après Domancy, il reste encore trois, quatre kilomètres de montée jusqu’à la l’arrivée. C’est dur. Et en plus c’est au lendemain de la journée de repos», ajoute-t-il. «Il faudra vraiment être au sommet de son art. C’est fait pour les deux protagonistes-là. Je ne vois pas qui pourrait jouer avec eux sur une telle longueur d’ascension», ajoute Bernard Hinault, le maître des lieux.
Dans la tanière du «Blaireau»
Domancy est si intimement lié à Bernard Hinault que la route porte aujourd’hui son nom. C’est ici que le «Blaireau» est devenu champion du monde en 1980 sur un parcours monstrueusement dur, empruntant la côte de Domancy à… vingt reprises. Hinault s’est imposé avec une minute d’avance sur l’Italien Gianbattista Baronchelli après avoir broyé le peloton. Seuls quinze coureurs avaient réussi à finir.
«Il y avait beaucoup de supporters italiens qui criaient, la frontière est juste à côté. Mais quand je me suis échappé, on ne les entendait plus», se souvient Hinault dans un sourire carnassier. Il avait annoncé sa victoire dès le soir des Mondiaux 1976 où il s’était plaint du manque de soutien de ses équipiers. «J’étais allé voir l’entraîneur national, Richard Marillier, un colonel de la Légion. Je lui ai dit : « Ben on sera champion du monde en 1980« . On ne savait même pas encore où ça allait être. Quand j’ai vu le parcours, j’ai su que je n’aurais pas trop de soucis.»
Changer de vélo ou pas ?
Le parcours, alternant montées et parties plates ou en légère descente, pose une équation complexe aux équipes : changer de vélo ou non? «Je suis curieux de voir ce qu’elles vont faire en termes de gestion du matériel. On sait bien que dans des grosses pentes, un vélo de chrono n’est pas efficace», souligne Gouvenou. En 2020, dans le chrono à la Planche des Belles Filles où Pogacar avait renversé Primoz Roglic, tous les favoris avaient pris un vélo de grimpeur au pied de la dernière montée. Mais le profil de l’étape était différent, plus long (36 km) et avec une partie plus plate au début. «Ici c’est compliqué, un chrono très spécial, technique», souligne Joxean Matxin, directeur sportif de Pogacar chez UAE, qui refuse de donner ses plans pour aujourd’hui. Le leader de Groupama-FDJ David Gaudu non plus. Mais son équipier Thibaut Pinot dit qu’il va changer de vélo. À l’inverse, l’Espagnol Carlos Rodriguez (Ineos), troisième au général, estime que «ça ne vaut pas le coup par rapport au risque que ça constitue et le temps qu’on perd» dans l’opération.
Et après ?
L’écart entre Vingegaard et Pogacar est si infime que le moindre petit éclat pourrait faire la différence. Difficile d’imaginer pour autant que le Tour soit joué dès ce soir. Parce que le chrono est trop court pour creuser des écarts irrémédiables. Et qu’il reste encore deux étapes très difficiles, demain dans les Alpes et samedi dans les Vosges.
L’odyssée demain entre Saint-Gervais et Courchevel est, sur le papier, la plus difficile de toutes, avec notamment l’ascension du col de la Loze, «un monstre tellement raide que par moments tu ne vois que le ciel», explique Hinault. Avec 5 100 mètres de dénivelé, le col des Saisies et le Cormet de Roselend en apéritif, avant l’arrivée sur la piste de l’altiport de Courchevel cabrée à 18 %, il y aura de quoi faire vaciller les certitudes de la veille.