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[Cyclisme] Pogacar, son univers impitoyable


Tadej Pogacar a écœuré dimanche Mathieu Van der Poel et Wout van Aert qui sont restés K.-O. debout… 

Son écrasant succès dimanche dans le Tour des Flandres fait du Slovène un nouveau type de coureur. Tout-terrain et toujours dominateur.

Il suffisait de parcourir l’aire d’arrivée, de scruter tous ces visages ravagés par la fatigue et d’y lire l’expression du dépit. Tous les coureurs et ils sont nombreux, qui ont eu à subir la loi de Tadej Pogacar affichaient peu ou prou la même mine déconfite dimanche à Audenarde en cette fin d’après-midi ravageuse. Pas besoin de rembobiner le film d’un Tour des Flandres mené grand train par le Slovène pour mesurer l’importance du sacre du double vainqueur du Tour.

Quelque chose s’est passé dimanche sur les monts des Flandres. Quelque chose qui fera date, référence, dans l’histoire du cyclisme. Qu’un coureur du Tour, taillé grimpeur, certes très bon rouleur, se paie la peau de tous les spécialistes, pouvait apparaître comme une incongruité, et resterait évidemment incompréhensible. Mais on a déjà vu à l’œuvre, le Slovène, un an plus tôt sur les mêmes pavés. Comme on l’a revu voici une dizaine de jours sur le Grand Prix E3.

Morphologie atypique

Ses succès divers et variés, sur les routes blanches des Strade Bianche, sur les côtes ardennaises de Liège-Bastogne-Liège et de la Lombardie cadraient davantage avec ses caractéristiques physiques et un rapport poids-puissance assez remarquable. Qu’il explose tous les gros bras des classiques flandriennes, que ce soit Mathieu van der Poel, Wout van Aert et Mads Pedersen, de véritables armoires à glace pour les plus emblématiques d’entre eux, c’est évidemment du jamais vu sur ce terrain-là. Une telle polyvalence n’a réellement jamais existé. C’est un peu comme si on avait demandé à leur époque à Alberto Contador ou à Andy Schleck de venir sur les Flandriennes pour faire la peau à Fabian Cancellara ou Tom Boonen. Ce n’est pas infamant à leur endroit de présupposer qu’ils n’y seraient jamais arrivés! Même avec la meilleure volonté. Et d’ailleurs sans une grande préparation spécifique dans le cas de Tadej Pogacar.

Bien sûr, on évoque Eddy Merckx, lequel remarquait d’ailleurs et à juste titre, hier, dans les pages de L’Équipe que «Pogacar était bien plus qu’un champion», poursuivant que Pogacar faisait «renaître un cyclisme qu’on avait oublié et même un perdu». Mais l’ancien coureur belge était doté d’une tout autre morphologie qui dans le cyclisme des années 60-70 lui permettait de passer d’un domaine à l’autre avec la même efficacité. Il s’agissait d’un autre cyclisme. On évoque le Paris-Roubaix de Bernard Hinault. Mais le Breton détestait les pavés, ne s’amusait pas du tout dans «cette cochonnerie», imageait-il d’ailleurs volontiers, au contraire du Slovène qui s’est pris au jeu de courir toutes les épreuves avec, pour le moment encore, cette farouche volonté de faire chaque course ou presque pour la gagner. Et de continuer à sourire sans jamais se plaindre ni hausser le ton, ce qui en fait un parfait ambassadeur.

Un nouveau genre

Ce n’est pas dans l’ancien, dans le passé, qu’on comprendra le présent. On ne peut que constater que Tadej Pogacar a bousculé toutes les lignes du cyclisme. Il faisait déjà partie du courant de jeunisme qui vient, ces dernières années, de frapper son sport. Il avait déjà fait sauter (avec le Belge Remco Evenepoel), tous les présupposés qu’il fallait laisser longtemps mijoter les futurs champions avant d’en extraire patiemment la quintessence. C’était vrai, ce ne l’est plus vraiment, même si la visibilité d’une carrière à long terme s’est considérablement réduite.

Aujourd’hui, celui qui, en 2018, faisait un détour par la Flèche du Sud, avant quelques mois plus tard, de remporter le Tour de l’Avenir et valider pour l’année suivante son passeport professionnel dans cette même équipe UAE à laquelle il est lié jusqu’à fin 2027, est le seul à pouvoir prétendre guerroyer sur tous les terrains. Un jour, il fracasse les colosses des pavés, dix jours après, il peut partir avec l’idée de déculotter les purs grimpeurs sur la Doyenne des classiques. Tadej Pogacar redéfinit un nouveau genre. Pour le plus grand bonheur du public qui ne s’est presque jamais autant régalé, il incarne avec légèreté un tout autre type de coureurs, mais derrière son sourire lame de couteau, son univers est impitoyable.