Avec la folle croissance de l’e-sport ces dernières années, et les sommes mirobolantes désormais en jeu, la lutte contre la triche est devenue un enjeu majeur pour les différents acteurs du secteur, déterminés à assurer l’intégrité des compétitions.
Fin septembre, un vaste scandale de triche a éclaboussé des tournois de Counter Strike, l’un des jeux vidéo les plus populaires de l’e-sport. Très dynamique et spectaculaire, Counter Strike est un FPS, c’est-à-dire un jeu de tir à la première personne. Comprenez : l’écran de l’ordinateur affiche un paysage similaire à celui que verrait un être humain en immersion dans le décor en 3D du jeu (par opposition aux jeux à la « troisième personne » où l’on voit le personnage de dos). En vingt ans d’existence, la popularité du jeu édité par Valve n’a jamais flanché.
Objectif d’une partie disputée à cinq contre cinq : faire exploser une bombe ou tuer tous ses adversaires avant la fin d’un round de deux minutes. La stratégie d’équipe joue un rôle très important, tout comme l’agilité et la rapidité d’exécution et le spectateur est soumis à des montagnes russes d’émotions.
Trente-sept entraîneurs ont été sanctionnés par l’ESIC, un organisme indépendant qui se consacre aux questions d’éthique dans l’e-sport. Leur tort : avoir profité d’un bug dans le jeu pour divulguer des informations stratégiques à leurs joueurs pendant les matches. Les coachs, à la tête d’équipes professionnelles, semi-professionnelles ou amateures, ont écopé de suspensions allant de quelques mois à trois ans.
Ces annonces drastiques ont eu des conséquences immédiates sur la scène Counter Strike, et certaines équipes, à l’image de « Mousesports », se sont aussitôt séparées de leur coach. « (Je présente) mes excuses les plus sincères aux adversaires affectés par mon erreur. Mon erreur de jugement a pu avoir des conséquences sur votre carrière et c’est quelque chose que je ne pourrai jamais retirer et que je regrette au plus haut point », a réagi sur Twitter Allan « Rejin » Petersen, l’entraîneur licencié par l’équipe allemande.
Des « enjeux colossaux »
Cette affaire, qui concerne des compétitions remontant jusqu’en 2016, n’est ni la première ni la dernière à ébranler l’e-sport, un secteur passé en quelques années d’un loisir de niche à une industrie majeure. Régulièrement, des joueurs sont exclus de compétitions, suspendus, voire bannis à vie, pour avoir cédé à la tentation de la victoire facile.
« Pourquoi il y a de la triche dans l’e-sport ? C’est parce que les enjeux sont devenus colossaux », explique Désiré Koussawo, directeur général de la branche française de l’ESL, l’un des principaux organisateurs d’événements e-sportifs. « Quand on sait qu’on peut aujourd’hui gagner des millions de dollars en remportant une compétition, forcément, les équipes, les joueurs, peuvent être plus tentés d’utiliser des manières détournées de gagner », poursuit-il.
Avant les qualifications pour la Coupe du monde de Fortnite l’an dernier, plus de 1 200 comptes de joueurs avaient ainsi été suspendus pour tricherie. « Il y a peu de données empiriques ou de statistiques concernant la triche. En revanche, il y a depuis de longues années des témoignages de joueurs qui se plaignent », explique Nicolas Besombes, sociologue de l’e-sport.
« Aimbots », « wallhacks »…
Car la triche n’est pas récente dans le monde du jeu vidéo et des logiciels de triche développés par des hackers circulent depuis longtemps sous le manteau. Entre les « aimbots », ces programmes d’aide à la visée qui permettent de tirer sur ses ennemis plus facilement, les « wallhacks » qui permettent de voir les adversaires à travers les murs, ou les « scripts », des macros qui exécutent des commandes automatiquement… Les moyens de tricher sont multiples.
« D’année en année, on a su s’adapter et élever le niveau de sécurité de nos PC et de nos configurations pour éviter ce genre de choses, affirme Désiré Koussawo. Mais les gens sont très inventifs… »
En 2018, l’équipe péruvienne Thunder Predator avait par exemple été éjectée des phases de qualifications de « The International », un prestigieux tournoi de Dota 2, car l’un de ses joueurs avait utilisé une souris programmable qui lui donnait un avantage déloyal dans le jeu.
La traque aux tricheurs est donc devenue une activité à plein temps pour les organisateurs d’événements et les éditeurs de jeux. « Nous pensons qu’il est dans l’intérêt à long terme de l’e-sport que les atteintes à l’intégrité soient traitées de front », a déclaré l’ESIC au moment des récentes révélations de triche sur Counter Strike.
AFP/LQ