Les manifestants pour le droit au logement ont eu la météo de leur côté samedi après-midi. Ils étaient plus de 500 à défiler dans les rues de la capitale pour marquer leur mécontentement.
Avoir un logement devrait aller de soi. Pourtant au Luxembourg, c’est de moins en moins le cas au fur et à mesure que les années passent. Les logements et les terrains sont chers donc rares. La spéculation s’insinue jusqu’à la campagne. Les logements sociaux pour loger les personnes les plus faibles socialement sont insuffisants et alors que les salaires baissent, la part destinée au logement ne cesse d’augmenter au point que certaines familles soient obligées de s’installer derrière nos frontières (quand elles en ont les moyens). Ces quatre dernières années, le prix d’achat d’un appartement neuf au Luxembourg a augmenté de 41% alors que les revenus moyens n’ont augmenté que de 10%. La situation ne date pas d’hier. Contre cette crise et dans l’espoir d’y mettre un terme, l’association Mieterschutz Lëtzebuerg/Association de défense des locataires de Luxembourg et 18 associations nationales, syndicats, mouvements citoyens et politiques, ont manifesté samedi après-midi.
Plus de 500 personnes ont traversé le centre-ville de la capitale pour se réunir au pied du centre Royal-Hamilius, tapant sur des casseroles pour se faire entendre. Parquées devant des boutiques de luxe, des femmes fardées s’interrogent sur ce déferlement de foule bigarrée progressant aux cris de «Un toit, c’est un droit» et sur ce tintamarre. Des pancartes et des drapeaux flottent dans les airs et quelques policiers veillent au grain. Pourtant, point d’agressivité, mais de la détermination, un ras-le-bol généralisé. Certes, le gouvernement propose des mesures pour contrer cette crise du logement, mais il ne va pas assez loin pour les associations qui n’hésitent pas à dénoncer un attentisme de la part des politiques ces dernières décennies.
«J’ai tout perdu»
Or, s’il n’est pas encore question de bidonvilles au porte de la capitale, la crise du logement, si elle perdure promet, selon Nora Back, présidente de l’OGBL, de se muer en crise sociale et devenir le moteur d’inégalités. «La politique n’a pas mis de barrières à la chasse au rendement et à la spéculation, mais joué le jeu des promoteurs et des investisseurs locaux et internationaux en leur permettant d’acquérir de plus en plus de terrains et de biens immobiliers au Luxembourg», accuse Nora Back. «Sur ce gâteau mal partagé, il appose une cerise : celle de l’exonération d’impôts pour les riches (…) alors qu’une majorité de la population s’endette à vie pour pouvoir avoir un toit.» Quand elle le peut encore.
Ce n’est pas le cas de Nicole, 53 ans qui témoigne : «Jusqu’il y a quatre mois, je vivais chez un propriétaire pour qui seul l’argent comptait. J’ai trouvé une chambre à Esch-sur-Alzette, mais en raison du nouveau PAG, je ne peux pas me déclarer auprès de la commune. J’ai donc perdu mon Revis. Je suis en mauvaise santé. J’ai tout perdu.» Ni des enfants de Jean, un retraité venu soutenir le mouvement. «Mon fils et ma belle-fille travaillent tous les deux, mais ils ne gagnent pas suffisamment pour mettre assez d’argent de côté. Leur apport n’est pas assez conséquent pour espérer obtenir un prêt. Alors ils louent un appartement au lieu de pouvoir investir dans un logement qui leur appartient.»
Ultimatum lancé au Premier ministre
La crise touche de plus en plus les classes moyennes. Elle est multiple et met également en danger les personnes sans emploi, les femmes battues, les familles monoparentales, les personnes réfugiées. Une maman de trois enfants témoigne : «Je consacre 48% de mes revenus au loyer. Si j’ajoute ma consommation énergétique, je passe à 57%. Où trouver un logement décent pour une famille avec quatre chambres à moins de 1 600 euros ?». Ou d’Ayman, un jeune syrien arrivé au Luxembourg il y a cinq ans : «Ma compagne et moi allons devenir parents dans sept semaines. Nous vivions dans une toute petite chambre. Je cherche un appartement depuis deux ans et je n’en trouve pas. Pourquoi ? Parce que les propriétaires me demandent si j’ai un contrat de travail. Je réponds oui. Si ma compagne en a un. Je dois répondre que non. Alors ils n’acceptent plus. Beaucoup de gens sont dans mon cas. Ils ont un travail, mais pas de logement. Je suis fatigué de chercher. L’assistance sociale ne peut pas m’aider parce que j’ai un travail fixe. Ce n’est pas acceptable». Les marchands de sommeil dorment sur leurs deux oreilles.
«A trois jours de la déclaration sur l’état de la nation, nous voulons avertir le Premier ministre et lui dire d’arrêter avec les réformes cosmétiques (…), ces petits pansements ne suffisent plus», prévient Nora Back, qui estime, comme les partis politiques et associations présentes, que le projet de bail à loyer est un affront pour les locataires et leurs droits. Ce projet de loi, comme celui du pacte logement 2.0, devrait, selon eux, absolument être revu de fond en comble. «Tant qu’il n’y aura pas d’obligation pour les communes et l’état de construire des logements sociaux pour répondre aux besoins du pays, le projet de pacte logement 2.0 n’est pas une réponse à la crise», poursuit la jeune femme alors que des cuillères en bois se déchainent violemment sur des fonds de casseroles. «Nous demandons à ce que la construction de logements locatifs devienne la priorité absolue du monde politique. Il doit être ancré dans la loi. Il ne doit pas être que facultatif. Quant à la question du financement, les politiques n’ont qu’à mettre un terme à la spéculation. Il faut couper l’appétit à ceux qui se nourrissent sur le dos de la population.»
Les hommes et les femmes descendus dans la rue samedi pour rappeler les bases du droit au logement ont promis de ne pas arrêter de se battre pour des prix abordables, pour un marché public sain en matière de construction de logements, pour le pouvoir d’achat et pour la paix et l’unité sociale. Les casseroles n’ont pas fini de retenir.
Sophie Kieffer